Eryndel, le 02.06.2009 à 09:14, dit :
C'est un peu l'état du moment... Disons qu'à cette période de l'année, j'ai tendance à voir les choses en noir - surcharge de travail, stress des examens (même si je n'en passe plus... C'est pour ceux de mes élèves que je m'inquiète à présent lol)...
Ca se sent, c'est à la fois éthéré dans la noirceur et ancré dans le réel...
De mon coté, l'humeur de ce que j'écris est à l'inverse de la mienne. Les textes les plus sombres, je les écris à des moments où tout va bien, où j'ai la solidité pour les encaisser. Quand ça ne va pas, c'est des choses optimistes en général.
En voilà une plus légère :
JOSETTE
(Fable inutile)
Les froids rayons matinaux du soleil se faufilèrent un chemin, entre deux toits et quelques arbres collés à l'horizon, jusqu'à la paupière droite de Raymond. La paupière cligna sous la chaleur naissante, sans s'ouvrir, empétrée dans une lie de conjonctivite. Il cligna sourdement de ses yeux fermés, doigts en éventails, s'imaginant que sa femme les lui avait collés à la superglu. Il tatonna à sa droite, la place de Josette était vide, déjà froide. Il froissa l'oreiller et l'envoya dinguer à l'autre bout de la chambre. Il entendit un flacon se casser par terre, et presque immédiatement, les effluves de Rêve de Patchouli (Paris) emplirent la pièce jusqu'aux limites du supportable. Les yeux toujours collés, il voulut descendre du lit un peu vite. Son pied droit se prit dans un repli du drap conjugal, et il bascula tête première dans le monolithique radiateur en fonte de la chambre, qui carburait à plein régime. Sa joue demeura un instant écrasée par l'arête du radiateur, et il s'y serait réendormi si celle-ci n'avait pas été à plus de 60°. Il se remit sur son gros séant en se tenant la joue,palpitant sous l'hématome et la brûlure. Qui mettait le radiateur comme pour aller au sauna ? Josette ! Il commença à ramper vers l'épicentre de la catastrophe odorante quand il s'aperçut qu'il y voyait comme robocop quand on lui avait triffouillé les circuits, et qu'il avait conséquemment risqué de se larder les mains des débris du flacon sinistré. Il rétablit son aplomb, et entreprit de se frotter les yeux avec ses petits doigts boudinés, comme ton zizi, disait Josette, certains soirs, quand elle voulait dormir tranquille. Elle le trompait, il en était sur. Salope, Josette. Avant que la lumière apparaisse enfin entre ses paupières, le fessier rebondi de sa femme dansa au fond de sa rétine.
S'étant convenablement gratté, il ouvrit ses yeux injectés de sang, et parcourut des yeux la chambre à la recherche de la Traitresse.
Josette ! Mon amour !, geignit-il dans la chambre vide.
Il pesta et courut chercher de quoi éponger le parfum. Un rouleau de PQ plus tard, le sol de la chambre était sec et ses mains étaient infestées au troisième degré par le patchouli, il s'y était fait quelques petites coupures qui le mettaient au martyre. Avait-elle mis de l'acide dans le patchouli ? Il s'était bien des fois demandé si le goût de carbonisé de la viande du déjeuner ne cachait pas quelque sombre mixture.
Au bout de quelques minutes de recherches tatonnantes à travers la maison, il dût se rendre à l'évidence : Josette était partie, comme ça, sans le réveiller. La dernière fois,il y a deux ans, elle avait disparu corps et bien pendant trois semaines, lapidant leur compte-joint. Elle était juste partie s'éclater avec une copine comme elle disait. Il l'avait retrouvée dans une taule de commissariat du XXe, à Paris, en train de disserter éthyliquement avec la copine en question. Un travelo. Elle avait trouvé normal de partir s'éclater trois semaines avec un travelo. Précision : elle était alors enceinte de six mois, de...
Jacky ?! Le petit lit de Jacky était vide !
Josette tapa du pied gauche sur l'asphalte, frénétiquement, comme si elle voulait écraser son talon aiguille. Elle y parvint. Le dit talon roula dans le caniveau. Elle força soudain l'immobilité, bancale sur son talon cassé. Calme Josette, Calme Josette, tu es calme, tes membres sont détendus, récita-t-elle, se rappelant le regard anodin mais magique de Gérard Majax. Elle écrasa son talon gauche d'un coup sec. Immobilité, trente secondes. Elle empoigna la poussette du petit Jacky, qui subit stoïquement l'embardée à 180° de son engin, agrippé aux montants, les dents serrés, comme un genre de singe de laboratoire dans une centrifugeuse. Jacky savait sans le savoir que quand sa mère était comme ça, il ne fallait rien dire, et surtout ne pas pleurer bêtement à la cantonnade. D'un pas drôlement décidé, elle poussait Jacky à plus de cinq bons kilomètres heures, ralentissant à peine pour monter et descendre les trottoirs.
Raymond, dégainant ses charentaises d'un coup de pied, enfonça ses pieds nus dans ses chaussures, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas outre mesure. Emmitouflé dans le peignoir vieux siècle de son grand père défunt, il renonça à continuer à s'habiller et commença à faire l'inventaire des catastrophes possibles. Il fonça dans la salle à manger, et ouvrit à toute volée le grand buffet, et il ouvrit le troisième tiroir en partant de la gauche, découvrant l'étui de son 38mm. Il poussa l'étui de coté et serra victorieusement son chequier de compte-joint. Il souffla un instant de répit. Si ce n'est pas ça, ça doit être bien pire! s'exclama-t-il en son for intérieur. Il ouvrit l'étui, où son 38mm reposait, fidèle comme une vieille fille.
Il se gratta le crin du menton, tournant la tête de tous les cotés, et fila à la cuisine. Il entreprit de compter la batterie de couteaux de cuisine Binzu 3000 que sa femme (bon sang mais c'est bien sûr, se dit-il en son for intérieur) avait voulu acheter contre vents et marées. Ces vacheries coupaient aussi volontiers le boeuf semelle que le plomb, ou accessoirement les doigts, bague de mariage comprise. Il fouilla tiroirs, évier, lave vaisselle. Un couteau à pain, 2 couteaux à viande, un hachoir, 18 couteaux simples, 8 couteaux à poisson, un couteau à beurre, tous armés d'un système élaboré de dents vengeresses, issu de la redoutable tradition millénaire chinoise. Tous là ? Non ! Il manque le cadeau de bienvenue au club Binzu 3000, une magnifique machette de survie 60 cm. Elle devait être dans le congélateur. Josette préférait la machette au hachoir pour sectionner les morceaux de viande. Elle lui faisait peur, quand elle s'acharnait à grands coups de machette sur un malheureux tendon récalcitrant Devant le meuble vrombissant de froid, il eût lui aussi un frisson dans le dos. Il imagina un instant son petit Jacky en morceaux dans des sacs plastiques, entre le lapin, le poulet, et les côtes de porcs. Le lapin, le poulet et les côtes de porc y étaient, mais de Jacky, point.
Le petit Jacky grimaçait de froid dans sa poussette, et une stalactite de morve poussait à son nez.. Il reconnaissait bien le jardin, où il se rappelait avoir balancé sa pelle, son seau et une mixture de sable, de terre et de patée pour chat sur la figure de son papa. Où est papa ?, dit-il en langage bébé. Il reconnaissait la petite fenètre des WC, toujours ouverte, qu'il convoitait parce qu'il n'avait pas encore le droit d'y aller. Pour lui c'était encore popo.
A quelques mètres de là, un vacarme s'échappait de la cabane du Jardin, le territoire de Raymond pour tout dire. Josette retourna la tondeuse à gazon dans tous les sens (qui n'avait pas servi depuis belle lurette). Elle la reposa avec un juron, et continua sa quête convulsive. Elle bousculait cartons, boites à outils, tournevis, scies, perçeuse, et autres vieux pneus, qui étaient déjà suffisamment en bordel comme ça. Elle secoua les bidons vides d'huiles et d'autres produits non identifiés, les jetant par terre. Enfin, derrière un carton de scie et la fourche, les yeux en rictus, elle pensa avoir trouvé son bonheur.
La porte de la cave s'ouvrit lentement. Raymond alluma sa lampe électrique et descendit l'escalier. Il détestait les caves, et tout particulièrement celle-là, exigüe, toute en longueur, seulement meublée du cumulus et du tableau électrique. Il avait laissé les lampes griller sans les changer, puisqu' il n'y mettait les pieds que pour remettre le jus quand le disjoncteur avait sauté. Comme ça, personne n'avait l'idée d'y entasser une décharge de bibelots remplis de toiles d'araignée (Il devrait tôt ou tard chambouler pendant trois heures ce capharnaüm cauchemardesque, pour en extirper je-ne-sais-quoi-encore que Josette aurait perdu depuis quatre ou cinq ans). La cave était déserte. Au sol, pas de trace d'une fosse comblée au ciment frais du jour. Au fait de capharnaüm, Raymond se rappela qu'il n'avait pas regardé dans son atelier.
Dans la petite ampoule 1,5V de la torche, le filament de tungstène se consuma dans un bref éclair ridicule, et laissa Raymond seul dans le ventre noir de la cave aux prises avec ses pires cauchemards. Celui-ci jura avec dépit, et entreprit de longer le ciment du mur jusqu'à l'escalier providentiel. Au bout d'une minute, il buta du front contre le cumulus. Il s'était trompé de coté. Un reste de claustrophobie mal liquidée se rappela à son bon souvenir, et il commença à se demander s'il sortirait de la cave vivant. Il se rappela qu'une nuit, Jacky avait pleuré pendant une coupure de courant, car il avait peur du noir. Josette l'avait d'abord consolé, et voyant qu'il ne se calmait pas, avait commencé à lui crier dessus, en lui balançant des claques. Perdu dans les ténèbres à quelques mètres de la scène, Raymond n'avait rien pu faire, subissant la montée sonore de la crise hystériquoïde de sa femme sur le pauvre Jacky. Il avait peur de Josette, mais plus encore il avait peur du noir.
Le petit Jacky avait commencé à pousser un cri quand il sentit sa poussette faire un bond en avant. Il reconnaissait le pas impérieux de sa mère, mais après avoir hésité un instant, il l'appela d'une voix craintive : Môman ? Môôman ?
Josette ne répondit pas. Elle acceléra.
La porte de la cave fit un Bôm! sourd. La poignée tourna, et la lampe torche alla se fracasser contre une plinthe. Raymond, tout pétri de fureur, avait retrouvé tous ses moyens. Il sortit de la maison comme un diable de sa boite, et entra dans l'appentis de son atelier. Tout était en dessus-dessous. Autant que d'habitude, mais c'était pas son désordre à lui. Qu'est ce qu'elle avait bien pu chercher ? Il fouilla l'atelier, faisant le décompte de ce qui pouvait manquer. Tout à coup, en regardant derrière la fourche, saisi d'effroi, il se tapa le front de la main, comme Columbo, mais en plus fort.
Ses cent trente kilos bien calés de chaque coté de son vieux 102, Maurice Tribouchon pédalait pour faire démarrer sa machine, pensant à Bernard Hinault franchissant le col du Tourmalet pour se donner du courage. Il reprit son souffle un instant. En effet, à moitié cachée derrière une voiture, une brune incendiaire, l'opulente poitrine moulée dans une provoquante robe rouge, venait à dans sa direction. Il s'imagina un tout autre genre d'exploits sportifs, et regretta de ne pas s'être lavé aujourd'hui. Ni depuis trois jours non plus. Son Ninas sclérosé par les p'tits jaunes et les gauloises sans filtre essayait de se frayer un chemin sous sa bedaine, moitié contenue au dessus de la ceinture, moitié en dessous. En direction de la belle qui s'approchait, il lanca une oeillade. Il fut refroidi par le regard en lames de couteaux de la brune. Boitant sur ses talons cassés, elle propulsait une poussette où se tassait un môme terrifié, accessoirement elle tenait d'une seule main une tronçonneuse.
Raymond, toujours en robe de chambre, décannillait dans la rue adjacente. Il soufflait et suait, mais il s'étonnait de pouvoir encore courir aussi vite vu sa forme pitoyable. Il scrutait le croisement qui s'approchait, traversé par l'artère principale (interdite aux poids lourds) du village de Gourieu le Ruisseau. Il ne savait pas bien au juste si c'était le courage ou la trouille qui le faisait foncer comme ça. Mais il savait que s'il ne la trouvait pas dans la rue principale, eh bien, il n'osait pas savoir du tout. Encore sur la chaussée, il entamait son virage tel Carl Lewis au 200m pour arriver au carrefour quand il faillit se faire écraser par un gros boudiné sur un 102, qui détalait en sens inverse. Raymond, vu le regard hanté par la peur du rougeaud en fuite, sut qu'il fuyait précisément sa femme. Il acheva son virage olympique et tout en continuant à courir, il reconnut la silhouette de sa Josette; comme un feu maléfique dans le matin d'hiver de la basse montagne. Il entendait d'ici ses éructations, scandées par de grands moulinets de bras. Des gens se retournaient. Aux fenètres, moult ménagères (ou post-ménagères) apparaissaient, délaissant qui le téléachat du matin, qui une obscure serie étrangère relatant les périgrinations extraconjugales de chirurgiens libidineux. Ca blablatait à tout-va par dessous la moustache. Que fait la police ? Que font les pompiers ? Que fait la télévision ? Rassurons nous pour la télévision, Mme Veuve Fimat-Ribollot a déjà en ligne la secrétaire du service d'information d'une célèbre chaine de télé commerciale dont nous tairons le nom.
Cri de Jacky, sanglé dans la poussette.
Volte-face de la femme rouge.
Froid soleil sous le voile gris.
Clef de contact qui tinte sur le bitume.
Vieille tennis de Raymond volant dans l'air froid du petit matin blème.
Lame de tronçonneuse se levant derrière une voiture.
Un agent bleu de la force publique, largué par ses petits copains de fourgon peu scrupuleux, cherchait un téléphone pour prévenir la Gendarmerie, quand il vit la sus-mentionnée tronçonneuse. Objet contendant mécanisé. Il se jeta derechef à terre, mettant en joue de son arme de poing, cran de sécurité enlevé. Il faut dire qu'ils sont bien entrainés pour faire face à l'imprévu, à la Gendarmeie de Foumion le Rotrou.
-Sortez de là, mains en l'air, cria-t-il, visant au jugé où apparaîtrai la tête. Il était heureux, oui.
Raymond, étalé de tout son long, un pied à l'air sentit monter l'adrénaline, voyant la scène.
- Non... la loupe pas..., supplia-t-il.
La tronçonneuse avait disparu derrière la voiture. Mais l'agent de la force publique avait fort judicieusement remarqué que l'objet contendant mécanisé n'était pas en état de marche. Un peu décu, il était. Il commença à ramper en direction de la voiture, malmenant son beau costume uniformisé. Il fût bientôt dos contre portière, haletant en silence, l'air grave, le pistolet relevé, comme dans Chips. Sous la voiture, il avait aperçu deux jambes accroupies gainées de bas, et les roues d'une poussette.
D'une roulade, il passa de l'autre coté de la calandre de la voiture, il finit accroupi en joue.
- OH! MAIS MERDE! VOUS!, éructa Josette, qui reçut sur les jambes 80 cl d'essence qu'elle essayait de transvaser de la tronçonneuse dans le réservoir de sa voiture.