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(h) Premier Jet D'un Récit Steampunk


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#1 Artémus

Artémus

    Les mystères de l'Ouest


Posté 28 février 2008 - 17:06

Prologue



L’horloge accusait 16h, et ce n’était que mon deuxième godet de Gin, pour peu qu’on ose appeler Gin ce liquide infâme dont se remplissent les prolétaires du quartier Ouest. Dehors, la pluie avait cessé de tomber sur l’avenue des anciennes fonderies. J’étais attablé près de la vitre grasse qui servait de devanture à cette gargote et donnait sur une ruelle ouverte vers le nord, aux bâtisses de briques fardées de suie épaisse semblant se prolonger à l’infini.

La fumée coutumière des complexes bourdonnants, généralement visible par temps clair, était balayée vers les bas quartiers, formant de larges colonnes grisâtres dans le ciel a peine teinté du crépuscule. Quelques gouttes sales perlaient encore sur la surface brune de la vitre qui affichait en lettres d’or terni « Chez Ted ».

Je lorgnais pensif le fond de mon verre, le promenant sur la table rustique, jouant avec les nœuds du bois triste, poli par les mains calleuses des buveurs sans répit qui me précédèrent.
Chaque soir, je ressassais ainsi ma journée, tentant de récapituler chaque déficience mécanique, chaque pièce changée et chaque référence à commander pour les rafistolages à venir.
Je me levai ensuite, sans un mot, laissant mon obole a l’exécrable tenancière au chignon gris qui me jaugeait, altière, planquée derrière son mur de Zinc souillé d’alcools nocifs.

La rue était calme et fraîche en cette journée d’automne, les chalands s’activaient, et l’on entendait geindre parfois une poignée de misérables, tirant les longs manteaux des ouvriers embourgeoisés pour leur soutirer quelques pièces jetées à la hâte. Les façades, imprégnées de pluie et de charbon, regardaient passer de leurs fenêtres closes les fiacres et les Tractions-Vapeur des citadins les plus riches.

Satisfait de ma journée, l’envie me prit de savourer un vieux cigare en faisait du lèche vitrine. Je décidai de me poser quelques instants à la boutique du vieux Tommy jouxtant le bar et le revendeur de pièces d’horlogerie. C’était une sorte de quincaillerie bric à braque qui proposait parfois quelques importations rares ou atypiques venues des quatre coins du globe.

A peine avais-je poussé la porte de son échoppe que Tommy bondit de derrière son comptoir. Il avait cette fâcheuse manie avec tous ses clients, plus particulièrement encore lorsqu’il était en mesure de proposer une nouvelle curiosité technologique.

« -Ah ! Jack ! Tu tombes on ne peut mieux ! » Lança t’il, avant de chausser ses larges binocles.
-Laisse-moi deviner. Un nouvel arrivage ?
-Entre autres choses.
-Bon, fais vite . . . »

Tommy s’éclipsa dans la remise qui était en réalité commune à la boutique voisine tenue par son cadet. Je profitais de ce moment de calme pour observer les nombreuses vitrines et étagères surchargées du petit commerce. On trouvait véritablement de tout ici : Savons parfumés, cigarettes plus ou moins douteuses, montres, réveils défectueux, pièces de petite mécanique, breloques, encens, remèdes périmés ou gadgets incompréhensibles. La décoration était aussi fouillis que la marchandise, composée de meubles dépareillés, de publicités jaunies et de calendriers vaguement érotiques étalés jusqu’au plafond dont la toile pendait par endroits.
Le vieux Tommy revint, visiblement satisfait de ce qu’il s’apprêtait à me montrer. Il posa un large coffret de bois clair sur une petite table encore vierge et marqua un temps de pause :

« -T’es un bon client, alors tu la boucles, compris ?
-On se met au trafic pour arrondir les fins de mois ? » Plaisantais-je alors, convaincu qu’il s’apprêtait a me sortir un de ces psychotropes en écrin de cristal.
« -C’est pas la question. Disons qu’on est pas sensés vendre ce genre de pièces, surtout dans l’quartier Ouest.
-Abrège. »

Il fit alors tourner une petite clé dans la serrure du coffret, puis l’ouvrit avec une révérence troublante. Je compris pourquoi. Il y avait là toute une collection de pièces neuves pour armes à feu : chambres de révolver, crosses, canons …

« J’ai même de quoi bricoler un silencieux dans ce fourbi » avoua t’il a demi mots.

Je pris une pièce au hasard et commençai à l’inspecter sous toutes ses coutures. A ma grande surprise, rien ne permettait d’identifier un quelconque fabriquant ou numéro de série.

« -On dirait des pièces détachées de chez Lenoir » me risquais-je enfin.
« -Les plans sont les mêmes, mais c’est pas du Lenoir.
-J’peux savoir où t’as dégotté ça ?
-C’est pas tes oignons. Dis-moi plutôt combien tu m’en donnes.
-Combien t’en veux ?
-Un pareil bijou, ça va chercher dans les cinq cent livres d’argent.
-Tu te fous de moi ?
-Mettons trois cent cinquante.
-Deux cent cinquante et un service rendu ?
-Faut voir. »

L’aubaine était trop belle. Les armes à feu de cette qualité étaient totalement introuvables dans les quartiers prolos à moins d’appartenir à un cartel dominant. Je me laissai le temps de la réflexion et promit au vieux Tommy de repasser, quitte à me priver de cigares et de femmes pendant plusieurs mois.

Encore une fois, un soir banal s’annonçait. Dans l’immédiat, je devais passer voir Barnabé, le contremaître affecté à la station numéro Sept du métropolitain afin de m’assurer du rétablissement de sa jambe broyée récemment au cours d’une  « inspection de routine ». En réalité, ce salaud n’avait pas confiance dans son « remplaçant » et comptait sur moi pour tout lui rapporter en échange d’une rétribution minime. On achève bien les chevaux . . .
Enfin,  comme tous les Vendredis, j’irais trouver la belle Polly dans sa chambre au 9 de la rue des mineurs, histoire de passer la nuit au chaud et de m’épargner la puanteur glauque du foyer des cheminots une dernière fois.

Je pris en direction du boulevard des crieurs qui longeait un petit canal d’eaux usées. Le courant charriait toutes sortes de détritus qui surnageaient au milieu d’une écume verdâtre et épaisse.
Quelques rues plus haut, j’arrivai finalement devant la gueule du métro. Elle vomissait un groupe de gaillards à la démarche nonchalante, vêtus à la diable et coiffés de casquettes identiques. Je reconnus les types de l’entrepôt 15 affecté au stockage de matériaux ferroviaires que j’avais déjà croisé une heure plus tôt à l’angle du boulevard des souffleries.

Après avoir contemplé une dernière fois le ciel à présent dégagé, je m’engouffrai dans le ventre suffoquant du métropolitain, plissant les yeux et laissant derrière moi la lueur déclinante du soir.
Comme à chaque entrée, l’odeur huileuse et âcre des tunnels m’assaillit et, tandis que le crissement des roues sur les rails s’ajoutait au bourdonnement las des essieux de métal, je guettais avidement l’habitacle trouble d’un wagon, prêt à bondir sur la première banquette capitonnée laissée vacante.

Le monstre d’acier et de bois sombre stoppa sa course à hauteur du Quai 2. Ses lourdes portières s’ouvrirent dans un cliquètement sourd. A ma grande surprise, le wagon dans lequel je m’installai était désert. Quelques tintements de clochette plus tard, la machine entamait sa progression souterraine, d’abord lente et essoufflée, puis rythmée par les sempiternels mouvements mécaniques qui assuraient son suivi parfois hasardeux de la voie.
Je regardais défiler quelques rares lampes de cheminots dans la noirceur charbonneuse et froide des sous sols de la ville.
Au hasard d’une déviation se découvrait parfois la nudité spartiate d’un nouveau site de forage, éclairée par quelques sphères électriques gainées de verre grossier. On pouvait discerner, sur des échafaudages de fortune, la silhouette des colosses chargés de déblayer les monceaux de gravats phosphorés dans de lourds chariots rouillés… J’étais soulagé à l’idée de ne plus mettre les pieds dans ces cloaques souillés de sang et de sueur.

Il y a deux ans de cela, la compagnie du Métropolitain de la ville avait fait appel à des mécaniciens confirmés capables d’assurer le bon fonctionnement des moyens de locomotion souterrains. Mes quelques connaissances en la matière m’avaient alors valu une mutation rapide au sein de l’équipe de maintenance des voies et wagons, ainsi qu’une haine viscérale de la part de mes camarades restés sur les sites de forage.

Je devais être à mi chemin de la station Richepointe quand je sentis l’habitacle vibrer. Un sifflement aigu, si caractéristique du freinage laborieux de l’appareil, semblait indiquer une décélération forcée. Je n’en fus pas surpris outre mesure. Le conducteur avait probablement localisé un obstacle sur la voie, immobilisant le convoi le temps de tout déblayer.
Ces obstacles, très courants, étonnaient souvent par leur diversité : éboulis, chariots laissés par malice, animaux égarés, misérables suicidaires ou travailleurs ivres, tout ce que la misère pouvait laisser traîner dans ce dédale clos et bruyant avait une chance de finir broyé sous les mâchoires de fer du Métropolitain.

Plusieurs longues minutes s’écoulèrent. J’envisageais déjà l’éventualité qu’un passager pris de malaise ait tiré sur la chaînette d’urgence.
Tout était étrangement silencieux. On ne percevait plus que le râle lointain et froid des autres convois, répercuté en échos sur les parois humides du tunnel.
Les lumières électriques qui diffusaient une clarté jaunâtre vacillèrent alors. Je ne pus réfréner un frisson de malaise. Il n’était pas courant qu’une halte s’éternise à ce point.
Après un instant à tripoter nerveusement le couteau que je gardais replié sous une boucle de ma ceinture, je me levai de mon siège, faisant les cent pas d’une vitre à l’autre en tentant de discerner la moindre chose mouvante à l’extérieur. Le wagon était ceinturé de ténèbres profondes. Je collai alors mon front sur la vitre froide, m’efforçant de reconnaître un élément quelconque.
Après quelques secondes d’adaptation, mon sang ne fit qu’un tour : un homme maigre, de petite taille, me faisait face dans l’obscurité.
Je m’écartai de la vitre, stupéfait et troublé par cette vision, guettant frénétiquement l’issue la plus proche et l’endroit où se tenait l’étrange individu.
Il s’approcha.
Les lumières vacillèrent une nouvelle fois tandis qu’une main pâle et maigre frappait à la large vitre du compartiment.
J’effleurais mon couteau. Troisième micro-coupure. Tout s’éteignit.

J’eus à peine le temps de discerner un visage dans le dernier soubresaut des globes électriques et ce que j’avais pris à l’instant pour une apparition inquiétante était en fait un vieillard, blafard et tétanisé.

Le racket de passagers était fréquent en cas d’immobilisation prolongée. Je repris mon sang froid. Cet homme était probablement en danger. Après avoir tâtonné pour forcer l’ouverture des portes sécurisées, je passai ma tête dans le grand vide noir et venteux de la galerie. Des pas s’approchèrent, trébuchant sur les rails. Je demandai timidement à l’individu de s’identifer et n’eus pour seule réponse qu’un « remontez » chevrotant et sans souffle. J’ouvris la marche à l’homme, l’aidant à se hisser à l’intérieur de l’habitacle dans ces ténèbres opaques. Quelque chose n’était pas normal. . . A peine rétabli, je sentis le poids mort de l’homme s’affaisser sur moi, me faisant trébucher en arrière, manquant de peu de percuter l’un des cylindres de métal permettant aux usagers de s’agripper dans les cahots. L’homme suffoquait. Il se crispa dans ce qui ressemblait à un dernier soubresaut et demeura immobile à quelques centimètres de l’endroit où j’avais heurté le sol. Je n’osais faire le moindre mouvement. « Monsieur ? ». Pas de réponse . . . Je cherchais, accroupi dans le noir, le corps du vieil homme, lorsque le courant électrique se rétablit brusquement.
J’eus un haut le cœur insoutenable quand je le vis, là, recroquevillé juste devant moi et baignant dans une épaisse flaque de sang.
Baissant encore les yeux, Je réalisai avec effroi qu’il avait également souillé mon pantalon et la manche à laquelle il s’était agrippé en se hissant dans l’appareil. Je sentis mes membres se glacer et trembler quand dans la lumière glauque du wagon immobile se dessina une silhouette stoïque et familière. C’était un agent de police . . .


*
*    *


Chapitre I



Je me souviendrais longtemps de cette foutue journée…
Impossible de dire depuis combien de temps je suis brinqueballé dans ce fiacre, entouré d’agents aux visages plus froids que le marbre des Tribunaux. J’ai rien vu venir. Embarqué et traîné hors des galeries par des gros bras en uniforme, je me voyais titubant sur les rails glacés de la voie 6-bis sans en connaître la raison. Le sang du vieillard encore humide et imprégné dans les fibres de mes vêtements de fortune dégageait une odeur âcre et cuivrée qui, mêlée aux vapeurs de souffre et de cambouis, m’infligeait des nausées insoutenables.
Après avoir été ainsi promené sur quelques centaines de mètres, à la lueur des lampes tremblantes et cliquetantes, j’arrivai enfin sur le quai où se précipitaient déjà d’autres policiers, suivis de près par des journalistes bardés de dictaphonographes, le dernier gadget technologique à la mode.

J’entendais déjà les questions fuser, de toutes parts, adressées aux policiers muets et à leur supérieurs. Je réalisai que même si je parvenais à prouver mon innocence, le remue ménage de cette affaire me ferait certainement perdre mon boulot… L’idée de retourner aux galeries de forage provoqua en moi un vif dégoût qui faillit, l’espace d’un instant, rendre ma culpabilité plus confortable.

M’efforçant de demeurer tête baissée, je contemplais sottement le dallage de marbre rouge de la station numéro sept, « Richepointe » réputée pour ses pickpocket et son superbe dôme d’acier.
Je n’osais dévisager la foule qui s’amassait alors autour de moi, de peur d’y reconnaître Barnabé, de nouveau sur pieds grâce a un de ces greffons mécaniques vendus au marché noir.

Après une attente pénible sous les sphères jaunâtres du sous-sol, je fus enfin rendu à la lumière du jour. Il devait être un peu plus de cinq heures, le vent avait chassé les nuages et glaçait à présent le pavé souillé de boue et d’eau noirâtre. Quelques attroupements encombraient la sortie du métro, mais je n’eus pas le temps de m’y attarder, le fiacre de la brigade arrivait déjà du haut de la rue du Général D.Krant.
Rapidement jeté à l’intérieur, je demeurais silencieux et hermétique au regard accusateur des gorilles qui me lorgnaient dans la semi pénombre de cet habitacle austère. J’imaginais, par delà le grillage oxydé de l’unique lucarne, les allées d’arbres nus et les façades grises. Les vitrines chargées d’étoffes noires et pourpres, l’œil vacant des badauds qui rentrent lentement chez eux, contents du travail accompli. Plus loin, je songeais à la grande digue, à la terrasse des châtaigniers, au vieux port en ruines où je musardais autrefois. Comptaient-ils me condamner à mort ? Je n’y avais pas vraiment songé. Je ne réalisais pas encore tous les tenants et aboutissants de ma situation…

Enfin, l’arrêt du fiacre. La porte s’ouvre pour laisser descendre un des agents. Un courant d’air glacé s’engouffre alors. Dehors, la haute grille d’acier du commissariat me nargue de toute sa hauteur. L’agent parle au petit interphone de cuivre situé à droite du portail principal. . . La herse se lève . . . Je sais que la nuit sera longue. . .


*
*    *



Il doit être sept heures, Peut être plus, je n’en sais rien… Ces salauds m’ont fait attendre dans le hall après m’avoir minutieusement fouillé, encadré par trois hommes en armes, le temps de remplir leurs « procédures administratives ».
Que d’égards et de papier pour nous entasser comme des chèvres entre quatre murs miteux ! Tout ici se veut dépouillé et glacial : des sols noircis par le temps et le passage, des couloirs aux tapisseries arrachées ainsi que de hautes fenêtres sales au point d’occulter toute lumière. Hormis l’arrogante plaque de marbre noire ornée d’une balance et d’un glaive accueillant les nouveaux venus, le bâtiment entier semblait tomber dans une décrépitude absolue.

Encore quelques longues minutes, et un quatrième chien de garde m’escorta jusqu’au  petit escalier s’arrêtant devant le bloc de détention provisoire. D’ici, j’entendais clairement les aboiements pâteux d’une poignée d’ivrognes dont je devrais m’accommoder pour cette nuit au moins.
Je pénétrai malgré moi dans ce cube étroit et nauséabond et risquai un bref regard vers l’assemblée massée contre les parois moisies de la cellule. Tous les parias de la cité étaient présents. Près d’une lucarne grillagée se tenaient trois brutes massives, probablement des Dockers, ou des mineurs. Dans le coin était vautré un ivrogne au pif couperosé, l’arcade gauche éclatée, gémissant sur une paillasse sordide. A proximité de la porte, assis sur un tabouret bancal attendait un gamin des rues accusé de vol à la tire. Je m’assis à mon tour à même le sol, sur un endroit vierge de toute tâche suspecte, jambes croisées, tête rentrée, pensif.
J’étais donc un tueur malgré moi, vraisemblablement promis à passer un sale quart d’heure entre les mains d’un commissaire dont j’ignorais jusqu’au nom . . . Pouvais-je prendre le risque de m’enfuir si la situation le permettait ? Je doute que la justice locale fasse grand cas de l’innocence d’un mécano pris en flagrant délit. C’était une chose à tenter, pour peu que je parvienne à me concentrer suffisamment pour remettre chaque évènement à sa place.

La nuit tombait, le ton venait de monter entre deux brutes qui ne tardèrent pas à en venir aux mains. Le vacarme qui s’ensuivit alarma les gardiens qui les rouèrent de coups avant de les isoler chacun dans une cellule individuelle. Ils gueulèrent encore pendant dix bonnes minutes, puis vint  l’un de ces silences pesants et interminables, entrecoupé parfois de plaintes et de toux grasses.

Je me résolus alors à m’étendre sur une de ces paillasses miteuses, songeant à la soirée que j’aurais pu passer dans les bras d’une catin, abruti par le Gin… De longues minutes passèrent, pendant lesquelles je fixais  la lanterne tachetée de moucherons qui pendait au dessus de la porte, absorbé dans mes pensées.
Petit à petit, une odeur familière vint se mêler aux exhalaisons abjectes de mon couchage. C’était un parfum inhabituel, un parfum de tabac et d’anis. Je me relevai, cherchant d’où provenait la fumée délicate, et je distinguai dans un recoin de la cellule une silhouette à peine visible nichée dans une alcôve. Elle sembla réagir à ma vue, s’exposant plus avant dans la lumière brune qui baignait la pièce et me laissant entrevoir ses jupons froissés et tachés de boue.
C’était Polly. Elle était assise là, silencieuse depuis tout ce temps, faisant rouler de sa main dextre le cylindre velouté qu’elle portait inlassablement à ses lèvres, expirant des volutes de tabac clair.
Je restai un instant à la contempler, hébété de la trouver et ne sachant quoi lui dire au vu de ma situation.
Elle avait déjà évoqué avec moi ses fréquents passages devant les forces de l’ordre, elle qui ne commettait en général que de menus délits, Vols et autres bagatelles si courantes dans les bas quartiers.
Je finis par trouver le courage me lever, risquant quelques pas vers elle. Elle me reconnut presque aussitôt :
« -J’savais bien qu’t’étais un sale gosse, Jack » dit-elle du bout des lèvres, esquissant un sourire en coin entre deux aspirations anisées.
« -Viens t’asseoir près de moi chaton ».

Je m’exécutai avec joie, le son de sa voix menue et claire m’avait donné du baume au cœur. Elle posa alors sa main gantée de dentelle noire sur la mienne et se pencha légèrement, écartant ses boucles d’un geste négligeant.

« -Qu’est-ce que tu fous là mon grand ? » murmura t’elle.
« Tu t’es décidé a zigouiller ton Boss ? »
Sa réflexion me fit rire jaune.
« -Je l’aurait fait s’ils ne m’avaient pas embraqué pour un meurtre que j’ai pas commis.
-Le vieux coup de l’innocence ?
-J’ai pas tué ce type.
-Quel type ?
-Je te dit que je ne l’ai pas tué !
-Tout doux chaton . . . »
Elle tira une nouvelle bouffée sur sa cigarette aromatique :
« J’veux bien t’croire… »
Je restai interdit un instant, troublé par la fumée. Elle regardait avec indignation mes vêtements tachés de sang.
« -Mais si tu vu veux mon avis, t’arriveras jamais à leur faire avaler ça… »
Elle avait raison. Je me décidai finalement à lui raconter ma version de l’histoire, trop heureux de trouver une oreille attentive dans ce cachot d’une nuit.
« -J’essayais de lui porter secours. Il faisait noir. J’savais pas qu’il était blessé.
-Il faisait noir ? Ne m’dis pas qu’c’est arrivé dans le métro.
-On était près de la station où je prend mon service.
-Mon pauvre … T’étais tout seul ?
-Seul dans mon wagon, le vieux a déboulé après un arrêt des machines et a frappé à la vitre.
-T’es mal barré chaton. Si ils ne trouvent pas un autre pigeon que toi pour porter le chapeau, tu … »
Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase. La porte s’ouvrit en trombe :

« -Miss Polly  » cria froidement le geôlier.
Elle écrasa sa cigarette sous une de ses bottines, se leva, m’adressa un dernier sourire empreint d’inquiétude puis sortit.

La lourde porte se referma, plus étouffante que jamais, sur mon unique source de réconfort.
Pour la première fois depuis mon arrestation, je réalisais ce qui était en train de m’arriver. Je venais de tout perdre en l’espace d’un instant, et ce n’était que le début. Avaient-ils enquêté ? Trouveraient-ils des traces du véritable coupable ? Quand bien même, Serais-je encore là pour le voir ? J’eus envie d’éclater en sanglot, me couchant finalement la gorge serrée, au milieu des malfrats…

Je ne parvins pas à fermer l’œil …


*
*    *


Modifié par Artémus, 01 mars 2008 - 23:45.

-Partisan de L'Immuabilité Avatarienne à temps partiel-
-Scribouillard Sporadique-
-Gribouille en Devenir-




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