Affaire Marcus Cato
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, j'ai réuni un maximum de documents impliqués. L'essentiel consiste en des messages transmis par enveloppe-rêve, interceptés par nos services. Je les ai réorganisé dans un ordre que j'espère chronologique.
– Agent Gérault, [censuré]
Par glyphe secrète : Transmission par enveloppe-rêve.
Enveloppe-rêve : Urgent, protocole de sécurité accordé.
Protocole de sécurité : Navire spectre épée dragon vérité.
Rivebois, Bordeciel,
Le 8 de Semailles, 3E 429,
Au Maître-érudit Mynalexes,
Bonjour, cher ami. Cela faisait bien longtemps que vous et moi n'ayons eu d'échange mémosporique. Il faut reconnaître que la surveillance de WGT ne favorise pas notre confiance dans ce procédé. Cependant, mes études récentes ne peuvent attendre une prochaine rencontre de vive voix entre nous pour en exprimer les résultats. Ces entrevues sont vraiment trop rares, mon ami.
À ce stade, tel que vous connais, vous devez être agacé de cette introduction traînant en longueur, de mon comportement mondain alors que je prends le risque de nous compromettre, vous, moi et nos éminents collègues. Rassurez-vous, je vais de suite à l'essentiel.
Comme vous le savez sûrement, j'ai déménagé il y a quelques mois de cela à Bordeciel pour étudier les tombeaux nordiques antiques que l'on retrouve d'un bout à l'autre de la province. Grâce à une petite escorte recrutée parmi les Compagnons de Jorvaskrr, j'ai pu explorer quelques cryptes datant de l'Ère Méréthique, aux environs de la légendaire Guerre draconique. Notamment, j'ai pu pénétré dans l'une des plus grandes structures nordiques antiques de la Châtellerie de Blancherive : le Tertre des Chutes tourmentées. Mon escorte et moi-même se sont cependant retrouvés bloqués face à une porte au mécanisme complexe et vraisemblablement impossible à forcer. D'après les Compagnons – en fait, le plus vieux des deux, un Nordique du nom de Gjornald Hillgrundson –, c'était une antique porte à puzzle nordique. Sans la « griffe » correspondante – une sorte de clé sculptée –, il n'y avait aucun espoir d'ouvrir cette porte. J'ordonnai alors aux Compagnons de chercher cette griffe plus en arrière ; peut-être l'avions-nous dépassé sans nous en rendre compte. En attendant, je restai dans la grande et longue pièce donnant sur la porte à puzzle, dont les murs étaient couverts de bas-reliefs et de runes. Même sans l'aide de Gjornald, je devinai immédiatement qu'il s'agissait de la Chambre aux histoires. Peut-être ignorez-vous de quoi il s'agit. Au risque de vous faire offense, mon ami, je vais vous l'expliquer. On trouve une Chambre aux histoires dans toutes les cryptes nordiques. Elle raconte les histoires du lieu, de sa construction, des hommes enterrés ici, des clans qui en ont fait leur tombeau et bien sûr des légendes mettant en scène les dieux et héros des Nordiques. Je dis bien les histoires, car les Hommes du Nord ne croient pas à une vérité historique, mais en un cycle éternel de légendes différentes, cependant toutes vraies. Je sais que pour des fidèles d'Akatosh l'Esprit Suprême tels que nous, cela puisse paraître saugrenu, mais c'est bel et bien la manière de penser des Nordiques. Bref, je décidai d'étudier ces histoires en attendant le retour de mes hommes. Vous savez que j'ai étudié la langue draconique au Collège Impérial, n'est-ce pas ? Cette connaissance est évidemment indispensable quand on explore des ruines nordiques antiques.
Mais qu'avez-vous donc découvert de si important dans cette Chambre aux histoires pour risquer une communication par l'enveloppe-rêve, me demanderiez-vous. J'y viens. Mon cher ami, je pense tenir une piste sur le culte de l'Unique lui-même à travers les âges. En effet, il est dit sur ces murs comment les Nordiques vénéraient les grands esprits de Mundus, leurs dieux, dirait-on de nos jours. Une histoire en particulier raconte la vie pieuse de Fjarozd Barbe-au-torse, un petit seigneur nordique résidant sur les rives du Lac Ilinalta. Ma traduction des runes draconiques est, je pense, d'une qualité certaine et donne ceci : « Fjarozd adorait les renards qui venait chiper ses poules à la nuit tombée. Pour préserver sa basse-cour, il ordonnait bien sûr à ses gens de les chasser et de protéger ses volailles du mieux qu'ils le puissent. Mais une fois par an, il renvoyait chez-eux ses gens et assurait seul la protection du poulailler. Il faisait ainsi jusqu'à ce qu'une nuit une poule soit happé par le goupil. Une fois l'offrande faite, il redressait les défenses ordinaires et allait au petit matin vénérer le Renard satisfait dans son sanctuaire dédié, un lieu dont Fjarozd avait hérité la tâche de le défendre de son père et lui-même de son père avant lui. » Bien sûr, mon ami, cela vous paraît d'une futilité complète, mais laissez-moi continuer. « Et comme tout bon Fils de Bordeciel, Fjarozd vouait ses prières au Dragon. Il allait régulièrement au Temple des Chutes tourmentées, écouter les sermons du prêtre-dragon qui s'y trouvait. Il payait la dîme avec bonne volonté et ferveur. Fjarozd trouvait auprès du Culte le réconfort dont il avait parfois besoin. Quand il apprit la mort de son plus jeune fils, Branolf, des épées et des mots des rebelles hérétiques, il parla de son tourment au prêtre-dragon. Ce dernier lui rappela que la mort au combat était la plus glorieuse et admirable mort que pouvait espérer un Nordique. Les portes de Sovngarde étaient ouvertes pour Branolf. Son corps défendrait les tombeaux de ses pairs-dans-la-foi et son âme nourrirait leur Maître à tous, par sa communion avec le Dragon. Enfin, la mort n'était en aucun cas une situation éternelle, seulement une absence passagère, avant que le Cycle ne le ramène à la vie. Tel était le destin des croyants ; tel était la volonté d'Alduin, l'ordre des choses voulu par le Créateur. »
Alors ? N'est-ce pas incroyable ? Voyez-vous à présent ce que nous avions depuis toujours sous nos yeux sans le voir ? Le cycle a été accompli ! Le Culte du Dragon, l'Ordre Alessien, tout est dans le cycle !
Excusez mon emportement, mon ami. Je suis toujours sous le choc de ma découverte. Laissez-moi le temps de développer un peu plus. Le texte que j'ai traduit dans la Chambre aux histoires ressemble énormément aux récits datant de l'ère Alessienne, quand le culte de l'Unique était partagé par une large partie des Hommes. La manière de vénérer de Fjarozd est extrêmement semblable à celle des petits seigneurs et paysans de la Vallée du Nibenay sous la domination de l'Ordre des Saints Frères de Marukh. Je ne vous apprends rien en vous disant que les classes les plus ignorantes des véritables messages du Prophète-Singe ne comprenaient pas réellement le concept du Dieu Unique. Le monothéisme Alessien est mutable et intégra dès sa fondation les anciens dieux humains et elfiques en son sein sous forme de saints ou d'esprits. C'était à ces saints et esprits que les Nibenais vouaient l'essentiel de leurs rites, mais pour eux il y avait toujours une divinité au-dessus, l'Unique, intégrant à lui seul tous les autres esprits. Pour les Alessiens les plus doctes seulement, les plus radicaux, tels les Élus Marukhati, l'Unique avait deux visages acceptables-car-vrais : Akatosh l'Esprit Suprême, le Dieu-Dragon du Temps, et Shezarr l'Enfant Perdu, le Dieu des Hommes. Le monothéisme Alessien prit ainsi une forme animiste.
Les Nordiques d'avant la Guerre draconique adoraient également des esprits ancestraux : le Dragon, le Renard, le Faucon, le Loup, la Phalène, l'Ours, la Balène, etc. Mais un seul dominait tous les autres : le Dragon, car c'est dans sa nature de dominer. Son Culte s'est donc naturellement imposé à tout Bordeciel. Bien évidemment, il tolérait l'adoration des autres esprits, car le Dragon est lui-même l'un de ses esprits. Toutefois, il semblerait que le Dragon, Alduin, car c'est son nom dans le culte nordique – et également dans la langue du Vieux Royaume –, se soit réveillé et ait dominé tous les Hommes de Bordeciel avec la force d'un tyran qui leur brisa le cœur. C'est ce que raconte la légende de la Guerre draconique. Des rebelles Nordiques, aidés par la déesse Kyne, auraient appris le thu'um, renversé Alduin et tout le Culte du Dragon.
Maintenant, si nous croyons au cycle éternel des Nordiques, l'histoire du Culte du Dragon ne pouvait-elle pas recommencer ? La mort n'est qu'illusion. La mort des congrégations ne l'est-elle pas également ? À présent, je suis certain que vous voyez où je veux en venir. L'Ordre des Saints Frères de Marukh est le Culte du Dragon réformé. Tout était devant nos yeux et nous n'avions rien vu ! L'Unique, un nouveau Créateur, mais le même. Akatosh, un nouveau Alduin, mais le même. La Guerre de la Vertu, une nouvelle Guerre draconique, mais la même.
Mon cher ami, laissez-moi vous dire que quand je m'en étais rendu compte j'étais dans une telle stupéfaction que rien ne pouvait me sortir de mon état. Quand les Compagnons revinrent auprès de moi, dans la Chambre aux histoires du Tertre des Chutes tourmentées, ils m'annoncèrent qu'il n'y avait aucune trace de la griffe. Je ne leur répondis pas. Inquiets, ils me secouèrent et je m'écroulai.
Je ne me réveillai que le lendemain, au petit matin. Les Compagnons m'avaient sorti du Tertre et avait levé un campement dans les montagnes, près des ruines. Je sortais enfin de mon état léthargique. Le choc était passé. Je remerciai les Compagnons, qui me raccompagnèrent jusqu'à Rivebois, un village proche. Peu importe les trésors qui pouvaient se cacher derrière cette porte à puzzle. Je devais impérativement vous faire part de mes découvertes dans cette Chambre aux histoires. Je suis donc à l'auberge de Rivebois. J'ai renvoyé mon escorte et vous contacte prestement.
J'espère avoir rapidement une réponse de votre part. Votre opinion compte beaucoup pour moi et je vous sais plus expert que moi dans l'histoire de l'Ordre Alessien et la théologie de l'Unique. Je pense rester à Bordeciel encore quelques temps. Si je peux encore faire des découvertes d'un tel ordre, le froid et l'éloignement ne sont que de bien piètres désagréments.
Cordialement vôtre,
Marcus Cato, Sorcier de la Guilde des Mages et Frère de la Société du Temple Zéro.
***
Par loi du retour inverse : Transmission par enveloppe-rêve.
Enveloppe-rêve : Urgent, protocole de sécurité accordé.
Protocole de sécurité : étirév nogard eépé ertceps erivaN.
Refuge, Hauteroche,
Le 9 de Semailles, 3E 429,
À Marcus Cato,
Êtes-vous devenu fou, mon ami ? Vous savez que la Société du Temple Zéro est sur la liste noire de WGT ! Heureusement pour nous, les Yeux et les Oreilles de l'Empereur concentrent actuellement leurs efforts sur les Dagonites et les récentes affaires de Morrowind. De plus, j'ai demandé à mon tisserand de sécuriser plus fermement notre réseau dans l'enveloppe-rêve. Nous devrions pouvoir discuter sans craindre d'interception. Mais vous auriez dû demander à un tisserand d'ouvrir une nouvelle ligne, plutôt qu'utiliser cette ancienne connexion. Enfin, ce qui est fait est fait.
Maintenant, penchons-nous sur votre récit et vos analyses. Je dois leur reconnaître un intérêt certain. Le Temple – ou plutôt ma section du Temple, trop militante au goût de certains – a toujours eu un certain mépris pour les croyances nordiques. Les efforts des Septim pour valoriser leurs soi-disant « glorieuses origines dans le Bord-de-Ciel » ne nous ont pas incité à pousser très loin nos recherches dans cette direction. En tout cas, je me permets d'abord de juger votre aventure comme forte intéressante. La plupart des membres de notre organisation n'ont pas pour habitude de braver les dangers du terrain. Mais vous, si. Je ne doute pas que la présence de deux Compagnons de Jorvaskrr ait été des plus utiles et rassurantes, cependant je salue votre courage. Pour ma part, on ne me verra pas de si tôt dans l'un de ces tombeaux infestés de rats, d'araignées et de morts-vivants. Je laisse cela à mes élèves et aux aventuriers que je recrute pour quelques septims.
Ensuite, je crois pouvoir dire, mon ami, que l'idée de cycles des Nordiques – que je ne connaissais que vaguement – semble en effet correspondre à vos théories. Une existence cyclique du Culte du Dragon serait extrêmement appréciable, car cela signifierait que nous reverrions un jour l'Unique être vénéré en Tamriel avec autant de force qu'au temps des premiers Élus Marukhati.
Votre traduction d'un texte de la Chambre aux histoires me rappelle fortement celle que j'ai réalisé voilà cinq ans d'un récit nibénais en langue cyrodiique. Ce dernier était issu de la bibliothèque du monastère Alessien du Lac Canulus, détruit durant la Guerre de la Vertu. Il racontait la vie d'un pieux seigneur-mage nibénais, possédant un domaine près du lac en question et qui perdit sa fille dans les premières escarmouches de ce triste conflit. La ressemblance entre les deux textes est vraiment surprenante. Voici un extrait : « Dessmios [c'est le nom du seigneur-mage] fit huit fois sa prière à l'Esprit du Lion, suite à son son offrande ovine. Après avoir accompli ses devoirs, il se rendit auprès du prêtre de l'Unique, officiant dans le temple pour les laïcs, un peu à l'écart du monastère [du Lac Canulus]. Son cœur toujours plein de tristesse, Dessmios parla de son malheur au prêtre. Ce dernier lui rappela les préceptes écrits par le Prophète-Singe, révélés par Sainte Alessia et révélant le Dieu Unique : la mort n'est qu'illusion pour le vrai croyant. Celui qui a la foi vit éternellement dans une heureuse et sainte communion avec l'Esprit Suprême. La foi vainc le Cycle d'Arkayn, les mensonges d'une époque précédente. Il n'y a pas d'acte de foi plus sacré que de se moquer d'Arkayn et de ses chaînes l'épée à la main et les mots à la gorge pour exprimer son amour à l'Unique. »
Les ressemblances sont réellement saisissantes, ne trouvez-vous pas ? Toutefois, vous et moi n'allons-nous pas un peu trop vite en besogne ? L'histoire – écrite par les vainqueurs – a retenu du Culte du Dragon et de l'Ordre Alessien une image semblable, celle d'un pouvoir théocratique despotique, mais vous et moi savons que ce n'est là qu'une image. Vous prétendez que l'animisme, ou l'apparent animisme des deux sectes est une indication convaincante, mais toute théocratie puissante ne doit-elle pas accepter des cultes pluriels minimes en son sein, des saints et des esprits pour lier le fidèle à sa divinité, puisse-t-il être le Dieu-Dragon du Temps en personne ? Et cet Alduin, est-il réellement Akatosh l'Esprit Suprême, ou plutôt une énième souillure par le substrat protéiforme ? Ce Créateur, qui est-il ? Vous l'assimilez à l'Unique, mais dans votre empressement, vous oubliez toute démonstration.
Enfin, le Cycle d'Alduin me rappelle beaucoup le Cycle d'Arkayn. Tout cela n'est-il pas mensonge, une illusion dont vous êtes la victime ? Alduin pourrait être le geôlier déguisé pour nous tromper encore une fois.
En conclusion, votre enthousiasme me réjouit – mais pas vraiment votre manque de prudence face à WGT – et je me félicite qu'il y ait toujours des érudits prêts à braver les dangers de Mundus pour rallonger la longue liste de nos connaissances. Veuillez continuer vos recherches, mon ami, mais ne vous laissez pas aveugler par l'impression de vérité. Si vous désirez présenté vos théories en haut-lieu, je vous conseille donc de pousser plus loin sur cette piste. Découvrez les secrets du Cycle d'Alduin, les mystères de la religion nordique et les faits réels qui se sont déroulés durant la Guerre draconique, et je suis certain que la vérité vraie vous apparaîtra comme une lumière en pleine nuit.
Sincèrement vôtre,
Votre ami, Mynalexes, Maître-érudit de la Société du Temple Zéro.
Modifié par Beron, 04 juillet 2016 - 16:31.