Parlez-moi de votre parcours dans le monde du jeu vidéo.
J’ai commencé à travailler pour différentes compagnies en 92-93, après avoir lu un article sur le sujet dans Keyboard magazine. Je n’avais jamais pensé à contacter des studios avant ça : je croyais le jeu vidéo était un secteur réservé aux seuls informaticiens. Mais cet article, écrit par Charles Deenan, fameux composeur et ingé-son (ndlr : il a notamment travaillé sur Another World, Fallout 1 & 2 & Tactics, Baldur’s Gate 1 & 2, Planescape Torment, et on en passe) expliquait que la tendance dans la musique de jeu était alors aux fichiers General MIDI, une technologie avec laquelle j’étais parfaitement à l’aise. Du coup, j’ai envoyé une vingtaine de démos à des compagnies de jeux vidéo, et je n’ai pas tardé à décrocher mes premiers contrats.
Comment c’était, de travailler avec Bethesda ?
Julian Lefay, le producteur, me décrivait ce qu’il voulait au fur-et-à-mesure du développement. Il s’est avéré que nous avions une passion commune pour certains compositeurs de musique de film, et nous nous servions de leur style comme référence. Il me demandait une musique de taverne, je travaillais plusieurs jours dessus, après quoi j’étais mis au repos forcé, le temps qu’ils s’attaquent à une autre zone du jeu. J'ai travaillé plusieurs mois sur chacun des jeux, de façon sporadique.
Ca a parfois du être compliqué…
J’aurais sans doute dû demander à être davantage cadré, mais à l’époque, rien que de réussir à avoir Julian au téléphone n'était pas évident.
Vous vous êtes inspiré de musiques médiévales existantes ?
Je me suis surtout fié à mon instinct. Ca, et des années d’écoutes acharnées de toutes sortes de musiques.
Les BO d’Arena et Daggerfall distillent des ambiances, des atmosphères, là où beaucoup de jeux misent sur des morceaux plus héroïques ou dramatiques…
La plupart du temps, on me demandait des morceaux d’ambiance. Et pour une bonne raison : le joueur devait pouvoir écouter les mêmes morceaux en boucle pendant des heures sans se lasser.
Avec quoi avez-vous enregistré ?
Les TES utilisaient une palette « orchestrale ». Je me suis principalement servi des instruments que proposait General MIDI. Cela dit, j’ai composé avec une Roland Sound Canvas, alors que peu de joueurs possédaient alors quelque chose s’en approchant. Inévitablement, j’ai donc dû les convertir pour les FM Sound Blasters, etc. Tous les morceaux en ont souffert. Surtout les arrangements qui dépendaient du timbre des échantillons GM. Ceux que j’avais renforcés par des contre-mélodies s’en sont mieux sortis.
Est-ce qu’il existe quelques pistes inédites qui dormiraient dans vos cartons ?
Même quand je n’avais rien de particulier à faire, je composais quelques morceaux du même genre sur mon temps libre, en me disant qu’ils pourraient servir plus tard. Donc oui, il y a un petit paquet d’idées que j’ai écrites pour les TES et qui n’ont jamais été publiées.
Sauf erreur de ma part, votre nom n’apparaît pas au générique de Daggerfall.
C’est un oubli, de toutes évidences. D’ailleurs, je n’étais pas le seul compositeur sur Daggerfall. Autant que je m’en souvienne, Bethesda Softworks avait aussi fait appel à un autre compositeur, qui travaillait pour une société dont ils étaient propriétaires. On n’a jamais eu de contact, je ne sais même pas comment il s’appelle. Mes compositions sont généralement celles qui portent un nom en forme de description ("sunny day", "dungeon", etc.), tandis que les siennes étaient juste numérotées.
"Le joueur devait pouvoir écouter les mêmes morceaux en boucle pendant des heures"
Daggerfall est sorti au format CD. Vous auriez pu utiliser un autre format que le MIDI. En-a-t-il été question ?
Non. A cause de la taille et de la complexité du jeu, c’était impensable à cette époque.
Il y a un « revival » Daggerfall depuis quelques années. Des gens projettent de faire un remake du jeu, d’autres réenregistrent ses musiques… Vous avez entendu parler des projets de ce genre?
Merci, je ne connaissais pas ce site. Les arrangements sont intéressants. J’aime particulièrement ceux qu'a fait Tansel Coskuner à la guitare. Il m'a contacté il y a quelques années, et il a d'ailleurs joué sur "Optimism", un des arrangements en extrait sur mon site!
Les jeux vidéo, vous y jouez ?
C’est probablement là où vos lecteurs vont se mettre à hurler « blasphème ! », parce que non, je ne suis pas un gamer. Ce qui s’y apparenterait le plus serait cette époque, dans les années 80, où je tournais avec différents groupes, dans les dance clubs. Pendant les pauses, je jouais beaucoup à PacMan, Asteroids, ce genre de choses. J’ai aussi pu essayer un peu Arena, et j’aurais aimé jouer à Daggerfall, mais Bethesda ne me l’a jamais envoyé ! Certains studios m’envoyaient des copies de travail au cours du développement, mais Bethesda, pas tellement.
Il y a ce superbe morceau sur votre site « Dagerfall Suite » (sic). D'où vient-il ?
C’est un fan de la série qui m’a contacté. Filippo Beck, un étudiant du Berklee College of Music de Boston. Il passait de la musique de jeux vidéo dans un club, et voulait faire un arrangement à partir de différentes musiques de Daggerfall. Je lui ai proposé de le faire moi-même, et voilà le résultat.
Parmi tous les morceaux que vous avez composés, lequel a votre préférence ?
« Oversnow » me semble toujours très intéressant. J’ai composé une section « B » pour l’arrangement destiné à Filippo. Un autre que j’aime beaucoup, c’est « Strategy », que j’ai composé pour « Fantasy Empires », le jeu de Strategic Simulations. Il y en a un extrait sur mon site.
Vous écoutez ce que font les compositeurs actuels ?
Il y a beaucoup d'excellents compositeurs dans le milieu, des compositeurs que j'admire et qui sont des amis.
Vous ne travaillez plus pour l’industrie du jeu vidéo aujourd'hui. Vous aviez envie d’aller voir ailleurs ?
Non, je n’étais certainement pas lassé de l’industrie du jeu vidéo. Toutes les occasions de composer et d’enregistrer sont bonnes. Pendant plusieurs années, ça a été mon travail à plein temps. Mais à la fin des années 90, les occasions ont commencé à se faire plus rares, et j’ai recommencé à jouer avec des groupes pour arrondir mes fins de mois. Je ne jouais que le week-end, contrairement au début de ma carrière, où j’étais pratiquement tous les soirs sur scène. Mais j’ai eu de moins en moins de contrats, et il a fallu que je me cherche un travail à plein temps. Ce qui m’a conduit à me faire embaucher par Bally Technologies à Las Vegas en 2001, pour écrire de la musique et des sons pour des machines à sous. C’est un peu la même chose que de composer pour des jeux, en cela que c’est interactif.
Merci d’avoir pris le temps de me répondre, et merci pour les superbes BO d’Arena et Daggerfall !
Merci, je suis heureux d’avoir fait partie de cette aventure.