Balmora, Planque de Felvan
21 Mi-L’an 3E425, 09h27
Une petite douzaine de tintements de cloche qui allèrent en diminuant. Ce fut le bruit qui réveilla Felvan. La fiche métallique plantée dans la base du cierge s’était libérée lorsque celui-ci avait fondu, laissant choir une petite masse en laiton qui, suivant une trajectoire pendulaire au bout d’une petite chainette, avait frappé contre la clochette de son réveil. Si Felvan avait chargé sa clepsydre avant de s’endormir, il aurait su qu’il s’était écoulé six heures et douze minutes depuis son endormissement. S’il avait eu une de ces horloges hors de prix et horriblement fragiles que les artificiers façonnent en copiant les mécanismes dwemers, il aurait su qu’il était neuf heures vingt-sept du matin. Au lieu de savoir précisément tout ça, il ne fit qu’en avoir une vague idée alors qu’il se leva, trempé de sueur après une matinée chaude comme dans un four.
Après deux seaux d’eau versés sur la tête et un bon savonnage intégral, il se sentit d’attaque pour un petit déjeuner et un inventaire en profondeur de son matériel. Grignotant des fruits secs, des biscuits salés et sirotant deux bonnes pintes de thé rouge mentholé, il étala son paquetage sur la table basse de son appartement.
Un chiffon plié en neuf. Une corde d’une dizaine de pieds de longs. Des gants en cuir. Son nécessaire à écriture. Un briquet d’amadou, avec un grattoir en fer et un cristal de pyrite. Une outre, qu’il remplirait aux fontaines selon les besoins. Du musc d’insecte telvanni, un baume KaPotun (recette d’origine akaviri, c’est ce qu’il se disait) pour les contusions et un onguent de cicatrisation. Quelques graines grillées et salées et des fruits confits dans une bourse en cuir. Son nécessaire à tabac. Il y ajouta quelques crochets de réserve, réorganisa sa bourse en ne gardant que cent septims et planqua le reste derrière une catelle dissimulant son alcôve secrète, puis se tourna vers son étagère à habits.
Parmi les trois armures qu’il possédait, il choisit la plus aérée. En cuir de netch, elle comportait deux plastrons, ventral et dorsal, reliés par des liens. Passant des sous-vêtement amples en lin, il la régla pour qu’elle soit confortable par ces températures élevées. Epaulettes, bottes et gantelets ouverts complétèrent son attirail. Il passa un pantalon de toile gris ardoise par-dessus et choisi sa veste préférée qu’il enfila. C’était une large et longue sur-chemise en coton léger, allant jusqu'à mi-cuisse et boutonnée sur le devant, avec un capuche ample, à laquelle il avait ôté les manches et qui laissait dépasser l’extrémité de ses épaulettes. Il l’avait faite coudre réversible, avec un tissu rouge bordeaux agrémenté de motifs oranges et dorés à l’intérieur et un tissu brun ocre bien plus discret à l’extérieur. Les poches, sur la poitrine et le ventre, communiquaient entre les deux épaisseurs de tissu, ce qui leur conférait également la capacité de ne pas se vider bêtement lors des mouvements brusques. De quoi passer rapidement d’une tenue de badaud tout ce qu’il y a de plus banal, qui avait le bon goût d’être adaptée à ses activités quotidiennes, à un vêtement plus cossu et présentable quand le besoin s’en ferait sentir.
Il ajouta une écharpe de bonne facture dans son paquetage et plia un casque de cuir de netch, qu’il utilisait plus pour l’anonymat qu’il conférait que pour ses qualités d’armure, qui termina également dans son sac en toile.
Sur une étagère trainait une dague d’un pied de long, qu’il fixa dans son dos ; il se munit également de trois couteaux de lancer qu’il installa en bandoulière. Ce n’était ni l’une ni les autres ses armes de choix, mais la situation imprévisible l’exigerait peut-être, pensa-t-il en les cachant sous sa veste. Son bâton de marcheur acheva les préparatifs. S’allumant sa première pipe de la journée, il estima le poids de son équipement à moins de trente livres, armure comprise. Il en pesait environ cent vingt lui-même, ce qui lui sembla être un bon compromis, lui assurant au moins un jour d’autonomie tout en garantissant une mobilité maximale.
Il faillit oublier l’invitation, qu’il glissa tout en haut de son paquetage avant de l’enfiler en bandoulière.
Une cloche sonna de trois coups dix heures et quart. Il vérifia que l’entrée de son appartement était, comme d’habitude, fermement scellée par ses trois serrures et un tasseau qui en interdisait l’ouverture, puis se hissa vers l’œil de bœuf qu’il ferma à double tour derrière lui. Désescaladant prudemment le bâtiment qui abritait sa planque, il se glissa de ruelles en cours intérieures vers le marché de la rive gauche, qui battait son plein en cette chaude matinée d’été.
***
Balmora, Marche de la rive gauche
21 Mi-L’an 3E425, 11h12
Une heure plus tard, soit environ quinze minutes avant le rendez-vous fixé avec Soler et donné à Marie et Reeh Jah, il s’assit à une terrasse qui donnait sur le deuxième pont, attendant ses futurs compagnons. Entretemps, il avait réussi à soutirer à une vieille connaissance (un Dunmer fils d’alcooliques qui avait échoué chez les pupilles du temple de Balmora aux même dates que lui, il y a plus ou moins quinze ans, avant de devenir garde Hlaalu) la possible position d’une Nordique qui correspondait parfaitement à Caliha. Il n’avait en revanche pas eu vent de la présence de Cosades, à qui il arrivait assez fréquemment de disparaitre quelques jours, et en ce qui concernait Edingoth, il ne se faisait que peu de soucis quant à sa capacité à le localiser plus tard dans la journée. Les archers bosmer ne couraient pas les rues de Balmora, et il n’avait pas de raison de se cacher.
Commandant une pinte fraiche pour combattre la chaleur étouffante, il réfléchit quelques instants aux personnages avec qui il allait bientôt devoir traiter. La foule, bruyante et colorée, passait devant lui, sortant et allant du pont, les crieurs vantaient toute sortes de produits et articles. Balmora, la ville vivante et grouillante. Son foyer. Ses pensées vagabondèrent sur ses recruteurs mystérieux et ses acolytes de fortune.
Reeh Jah. Il l’avait présenté à Soler comme quelqu’un de fiable. En était-il vraiment sûr ? Bien entendu, il avait collaboré sur quelques affaires et n’avait que des éloges à faire sur ses capacités, et le connaissait depuis … onze ans ? douze ans peut-être. Mais c’était un voleur, indépendant et imprévisible par nature, et aussi hermétique que ceux de son espèce reptilienne.
Ensuite, Salomon Marie. S’allumant une pipe, il ne put s’empêcher de repenser aux cinq pièces qu’il lui avait donné sans hésitation, la veille. Etait-ce de la naïveté, de la politesse mal exprimée, ou des coutumes que Felvan maîtrisait mal ? Au premier abord, il avait tout du n’wah ignorant des usages du coin. Non pas qu’il ne soit pas capable, mais si c’était le cas, il avait plus l’air de la proie que du chasseur. Mais avec un mage, on en pouvait que s’attendre à des surprises.
Et enfin Soler, ou enfin était-ce ainsi qu’il le nommait mentalement en espérant ne pas se gourer dans ses quatre patronymes. La cohabitation avec lui avait été compliquée, et ça ne risquait pas de s’arranger avec les deux autres larrons qui cadraient mal avec son système de valeurs. Attendre de la souplesse de la part d’un étranger du Sud engoncé jusqu’aux amygdales dans ses convictions pour le moins très spécifiques était un vœu extrêmement pieux.
Et tout ça n'était pas grand chose par rapport à l'inconnu de la teneur de ce rendez-vous qui approchait.
Il soupira et reprit une gorgée de bière. Dans le doute, toujours boire une bière.
Modifié par nood, 13 septembre 2017 - 21:09.