Lorsque le sas se referma derrière Dark ExA, le Grand Chancelier comprit la mesure de son échec. Les officiers présents sut l’Etoile Rouge représentaient à peine plus de la moitié des forces de l’Alliance et les discordes intervenues pendant la réunion était pour lui l’aveu tant redouté de son impuissance.
La crainte de perdre la confiance de Dark ExA le mettait dans tout ses états. Déjà son cerveau travaillait à chercher des coupables et à punir ceux qui n’avaient pas répondu à son appel… Dévoré par la rage, il s’apprêtait à se le lever d’un bond lorsque que son regard croisa le visage serein d’Alysia. La placidité de son front, la pénétration de son regard et ses traits gracieux lui donnaient l’apparence d’une icône, à la fois glaciale et envoutante. Elle le regardait fixement et semblait lire dans ses pensées comme à travers le cristal. Déconcerté, le Grand Chancelier sentit le ridicule de son agitation. A ses yeux, pensa-t-il, il devait n’être qu’un infantile capricieux, un déséquilibré ou un faible. Il se fit violence pour recouvrer son sang froid et se donner l’apparence d’un stratège posé et plein d’assurance. Il rejeta sa cape en arrière et s’inclina devant la belle conseillère de Dark ExA. Pour peu, il serait parvenu à se donner un brin d’élégance mais sa laideur et ses contorsions naturelles rendaient vain tous ses efforts.
Le Grand Chancelier savait l’intelligence d’Alysia hors du commun. Malgré son autorité et la froideur de son caractère, elle lui avait toujours paru plus humaine et plus indulgente que Dark ExA. L’annonce de la livraison de « son cadeau » avait toutes les raisons de réjouir Mordicus, mais il ne parvenait encore à en croire ses oreilles… Ce cadeau, c’était une jeune Elysanne d’une farouche beauté qu’il avait aperçue sur la planète Elysan et que Dark ExA lui avait promis dans un pacte secret lié au succès de la révolution. C’est d’ailleurs grâce à ce pacte qu’il s’était octroyé le titre de Grand Chancelier, soit un pouvoir de vie et de mort qu’il chérissait plus que tout.
Il lui dit à voix basse :
- Nemissia à bord du vaisseau ?! Je vous en serai éternellement reconnaissant, Alysia, je n’oublierai pas ce geste... Mais, le camarade Dark ExA ne doit pas être très satisfait de la situation actuelle et je m’étonne un peu que…
Son intonation se voulait timidement interrogative… Il scruta un bref instant le visage d’Alysia. Elle se contenta de hausser un sourcil, puis elle abaissa les yeux sur les médailles du Chancelier et quitta la salle de réunion, sans rien dire. La question, comprit Mordicus, ne valait pas la peine d’être posée… Il se murmura avec colère :
- Je ne mérite pas mon titre, c’est ça ? Dark ExA doute de moi… mes hommes m’ont fait perdre la face… les commandeurs ne sont pas venus … et ce Chef d’Etat-Major, ce maudit rat qui complote contre nous… ces chiens vont me perdre… ils me le payeront, ils me le payeront…
Il jeta un dernier regard dans la salle de réunion presque déserte comme pour s’assurer que personne n’osait le défier. Seul le Grand Consul et le Ministre Haghendorff étaient encore assis, occupés à converser. Grisé par sa colère, comme l’ivrogne au vin mauvais, il cracha par terre et sortit d’un pas décidé. Il était attendu devant la salle de réunion par un officier. Dès qu'il aperçut Mordicus, il se mit au garde-à-vous et annonça d’une voix triomphante:
- Camarade Grand Chancelier, les vaisseaux Oracle et Prophète du Commandeur Ok-ensh sont à quai ! Odobaylonn est venu prêter allégeance à la Nouvelle Alliance en son nom !
Incroyable ! – pensa Mordicus – je n’y croyais plus…
- Recevez son porte parole avec tous les honneurs qui se doivent… Je veux qu’on le sache : le Commandeur Ok-ensh est des nôtres ! Je veux aussi faire regretter aux Commandeurs absents leur insolence. Demandez à Ok-ensh d’aller secouer les Commandeurs Bvic, De Ethlo et Hyperion. Que sa flotte fasse tirer quelques salves contre leurs QG ! Je mettrai à sa disposition les Destructeurs de l’Alliance si besoin. Je veux qu’ils comprennent que s’ils ne coopèrent pas, leur planète connaîtra le même sort que SarvinenHiiri. Et faites savoir à Odobaylonn que le Commandeur Ok-ensh sera largement récompensé pour ses services.
- Et pour le Commandeur Backfire, que doit-on faire ?
Mordicus laissa échapper un rictus moqueur…
- Lui ? Ce renégat ? Je vais charger le Grand Consul Sentenza de se rendre sur la planète Kassandra pour négocier en bonne due forme. Je veux aussi que l’élément 5 reste à la disposition du Grand Consul. Il pourrait avoir besoin de service une fois sur place… Le Major Backfire rejoindra le côté obscur ou ne sera plus. Je veux aussi que vous donniez l’ordre à l’Intendant de l’Etoile Rouge de pointer le canon à particules vers Kassandra, position 4:107:10.
- Mais, Chancelier, le canon n’est pas prêt et il pourrait…
- Il sera prêt dans quelques jours pour les premiers tirs d’essais… il pourrait quoi ? anéantir Kassandra ? Et que croyez vous que j’ai l’intention de faire ?
- Mais seul Dark Exa a le droit de…
- Vous voulez discuter mes ordres misérable ?
- Non, non Chancelier, bien sûr… mais…
- Alors fermez-là et exécutez! Pendant que je suis encore bien disposé…
Le teint livide, l'officier acquiesça de la tête et tourna les talons sans attendre. Un lieutemant de la sécurité approcha aussitôt en toute hâte, presque paniqué.
- Camarade Chancelier ! Deux attaques viennent d’avoir lieu, l’une sur la passerelle et l’autre dans la salle de réunion. Elles visaient le Gouverneur des Peuples Dark ExA qui par chance n’a pas été blessé. Avec l’aide de la garde rapprochée d’Haghendorff, nos hommes sont parvenus à éliminer les traitres… nous n’avons pas essuyé de perte…
- Qui est le responsable de la sécurité ? demanda sèchement Mordicus
- Moi, Chancelier, mais je dois dire…
- Donnez-moi votre pistolet.
- Pardon ?
- Votre pistolet.
Le lieutenant dégaina son pistolet et d'une main hésitante en tendit la crosse au Grand Chancelier. Mordicus prit l’engin et le sous-pesa un instant... Puis, feignant une moue indécise, il ôta le cran de sécurité, enclencha l’écran de visée, et releva légèrement la pointe de l’arme. Un coup partit dans le genou droit de l’Officier qui s’effondra aussitôt à terre en poussant un cri étouffé...
- Quel est votre non lieutenant ?
- Ahhh…. Chancelier…. pitié….
- Adieu Lieutenant « Pitié ».
Mordicus pressa une seconde fois la gâchette.
Il contempla quelques secondes le cadavre défiguré du lieutenant qui baignait dans son sang. Cette vision avait un effet apaisant sur sa colère, et il commençait à se sentir soulagé. Il jeta l’arme par terre et se dirigea vers une borne de communication.
- Faites appeler une équipe médicale aux abords de la passerelle B-7. Un officier vient de se tuer en jouant avec son arme… je me charge du rapport d’enquête.
- Message reçu Chancelier, nous envoyons une équipe médicale sur le champs… Au fait, l’intendant cherchait à vous joindre. Il voulait vous prévenir que le gouverneur Ikit était arrivé sur l’Etoile Rouge.
- Ikit ? Très bien. Accueillez-le et faites verrouiller la plateforme par la tour de contrôle. Je ne veux pas prendre le risque de le voir s’échapper. Une fois qu’Ikit sera dans la salle de réception, je veux que le Ministre Haghendorff et ses hommes l’enlève et lui administre un lavage de cerveau.
- Camarade Chancelier, peu d’hommes survivent aux méthodes d’Haghendorff et en particulier au lavage de cerveau… êtes-vous sûr que c’est le seul moyen ?
- S’il succombe nous le remplacerons. Je ne veux pas prendre le risque d’une seconde trahison de sa part. Je veux être sûr de sa conversion. Le poste est trop important pour le laisser entre des mains incertaines.
- Très bien Chancelier, je transmets vos ordres au Ministre Haghendorff.
- Une dernière chose…
- Oui camarade ?
- Je m’absente pour un moment, j’ai à faire dans mes appartements. A moins que le Gouverneur des Peuples ne me réclame, je ne veux être dérangé sous aucun prétexte.
- Entendu.
Clopin-clopant, Mordicus descendit de la passerelle et se dirigea vers les quartiers privés. Dans l’ascenseur qui menait au niveau -14, il se regarda dans la glace et remarqua que ses épais sourcils étaient en désordre. Il les brossa avec ses doigts et un peu de salive, puis il cracha dans ses mains avant de se frotter le visage, s’essuya le nez d'un revers de manche, et souffla dans la vitre pour contrôler son haleine. Il décida de se rincer la bouche d'une gorgée de Whisky. Il aperçut quelques éclaboussures de sang sur chaussure et la frotta négligemment contre la paroi de l’ascenseur. La porte de l’ascenseur s’ouvrit alors qu’il finissait juste sa toilette. Il s’enfonça dans le long couloir sombre qui conduisait à ses quartiers. Sans même saluer les gardes postés à l'entrée, il pénétra dans son appartement. Son sas blindé se referma dans un chuintement sourd, et un voyant rouge s'alluma.
Modifié par Mordicus, 03 novembre 2005 - 22:40.