L'air hagard, le visage émacié, les sourcils en batailles posés sur un crâne chauve à moitié brûlé, le Grand Chancelier se précipita à la rencontre de Dark ExA, la démarche si dégingandée qu'il semblait se prendre les pieds dans sa cape et trébucher à chacun de ses pas. Qui ne le savait boiteux aurait pu croire qu'il courrait.
Ses yeux s'abaissèrent tandis qu'il se rapprochait du Gouverneur, et, dans un réflexe de soumission, son dos se plia sans fin sous le poids d'une répugnante obséquiosité qui lui était naturelle... Attiré par Dark Exa comme l'aimant par l'acier, il était l'esclave se jetant aux pieds de son maître. Ses pensées s'entrechoquaient pourtant comme de billes de plomb. Ses doigts crochus, plus nerveux que de coûtume - à moins que ce fut de l'excitation - parlaient déjà pour lui bien que nul n'eut été capable d'en interpréter les dessins. Mais ses mains malhabiles, son sourire gênés comme son haleine saccadée, tout trahissait un état de transe peu commun chez cet homme haineux et sournois, un inquitéant mélange de peur, de perfidie et de servitude qu'aucun être sain d'esprit ne pouvait envier.
Il s'arrêta net à quelques mètres de Dark ExA et d'Alysia pour prendre le temps d'esquisser une large révérence qui, à n'en pas douter, coûta cher à sa faible constitution. Relevant péniblement la tête, il adressa alors un sourire crainfif et passablement enhardi au Gouverneur des Peuples, puis s'efforça de dominer son émotion, non sans peine.
"Quel honneur, quel honneur, mon maître... mon camarade... camarade Gouverneur.... vous ici... je..."
La gravité de Dark ExA suffit à rompre des formalités qui n'étaient plus de mise... Il savait d'ailleurs très bien pourquoi Dark ExA était là. Une seule une chose importait. La révolution était-elle un franc succès, ou une semi-victoire...?
"Oui Camarade Gouverneur des Peuples, nous avons réussi... oui... oui.... mais... comme vous le savez.... "
Il eut une seconde d'hésitation...
"Nous avons été trahis... (sa gorge se serra, il butait sur les mots)... je le savais.... je le savais... nous ne pouvions faire confiance à ce fourbe et nous n'aurions jamais dû lui confier un poste aussi important... Oui, Ikit de SarvinenHiiri nous a trahi pour des idées obscènes... "
Il sembla à Mordicus que Dark Exa avait esquissé un mouvement de la tête, qu'il crut devoir interpréter comme une signe d'impatience... il accéléra le débit de ses phrases:
"le... le dernier enregistrement que nos agents ont intercepté révèle que le Gouverneur Ikit a manqué à son devoir, renonçant aux idéaux de votre bienveillante démocratie néosocialiste pour embrasser une idéologie perverse et décandente, un ramassi de chimères, au nom de la
liberté..."
Le mot fut si difficile à prononcer que le Grand Chancelier préféra en macher la fin plutôt que de se risquer à inspirer, pour de ne pas marquer d'une pause le moment le plus pénible de son discours. Sans reprendre son souffle, il continua...
"... et il n'a pas tardé à prendre la fuite, comme on pouvait s'y attendre de la part d'un tel scélérat..."
La pause lui sembla bienvenue. Mais à ce moment précis, un soldat toussota bruillament derrière lui, puis lui tendit une missive. Hésitant, le Chancelier se reprit:
"Euh... camarade Dark ExA, un message en provenance de la planète SarvinenHiiri annonce que Ikit dit "Souris Cornue" pas quitté la galaxie... je ne peux vous en dire plus pour le moment..."
Dark ExA prit une profonde respiration qui alourdit le silence... le Grand Chancelier essaya de ressaisir...
"Le Commandeur Backfire n'a, quant à lui, pas répondu à notre convocation. Il aurait dû se trouver sur l'Etoile Rouge à cette heure, mais son système de communication semble vérouillé..."
Le Grand Chancelier retrouvait peu à peu l'intonation qui sied à sa défense et au rejet de ses reponsabilités, si bien qu'il reprit confiance en lui... Les mauvaises nouvelles n'étaient finalement pas si difficiles à annoncer et le silence du Gouverneur des Peuples était encore la meilleure de réaction à espérer... (il doit déjà tout savoir, se disait-il...)
"Quant à Enixos, il a réussi à prendre la fuite... nous savions depuis le départ qu'il s'opposerait à notre révolution, nous étions sur le point de le convertir, mais..."
Le Grand Chancelier réalisa soudain qu'un tel désaveu aurait dû être suivi par l'annonce d'une exécution... Il ne sut trouver d'autre expédient que de hausser sa voix grinçante afin de la faire résonner dans la pièce, comme si tout l'équipage du vaisseau eut pu l'entendre...
"Nous le retrouverons et nous vous le ramènerons avant même que l'Etoile Rouge ne soit terminée !"
Il restait au Chancelier à annoncer le plus gênant : le retard du Grand Consul, acquis à la cause révolutionnaire, que nul ne s'expliquait... La gorge sèche, le visage en sueur, le Grand Chancelier n'eut pas le courage de continuer et sentit qu'il était temps pour lui de s'écarter. Il redoubla d'efforts pour ébaucher une seconde révérence servie par un sourire médiocre, puis il fit un pas sur le côté, laissant Dark ExA s'asseoir à la table, faces aux autres membres du Politburo...
Il lui sembla alors prendre sa première bouffée d'air. Pris d'un vertige, il s'appuya à la table et se laissa glisser dans son fauteuil... Exténué par cette épreuve, ses pensées se détachaient malgré lui des affaires politiques et son regard se prit à errer vers la grande platforme... le New October attira un instant son attention... puis son regard se fixa sur les Elysannes en armures qui gardaient le Destroyer...
"Dark ExA est-il venu avec la jeune Elysanne qu'il m'avait promise ?"
Le reste ne comptait plus.
Modifié par Mordicus, 01 novembre 2005 - 21:18.
(Ultra)VGM récalcitrant et moddeur allergique aux jeux vidéo.