Combien de temps durerait donc ce foutu voyage ? Plus que le trajet Solitude-Fortdhiver, en tout cas... Ingrid avait le vague sentiment de s'être fait roulée dans la farine, et pas une bonne farine de blé doré cyrodiiléen, mais plutôt de ce blé noir et rance que l'on cultivait vers Vendheaume, là où la terre était si gelée qu'y faire pousser quoi que ce soit de plus haut qu'une herbe folle était sans espoir. Elle qui avait fait tout ce foutu chemin jusqu'à cette ville inhospitalière perdue près des côtes avec ses hommes, qui avait dû abandonner son lieutenant, son second, son ombre, pour qu'il s'en aille parmi les sauvages à la frontière, qui avait dû supporter la vue et l'hospitalité d'un fort en bois pourri, se faire rabrouer par un impérial moustachu qui n'avait rien à faire en Bordeciel, passer la nuit avec un
elfe qui se révélait être son supérieur... Pour ensuite devoir refaire tout le chemin inverse ! Il y avait de quoi vouloir se jeter nu entre les griffes d'un smilodon...
Elle avait avec ça dû retrouver son foutu canasson - Que sa mère mule finisse entre les mains de l'équarrisseur - qu'elle avait invectivée assez pour que le pauvre animal soit maudit sur une trentaine de générations. Néanmoins, il fallait bien ça pour que la nordique puisse se calmer, si les dieux réussissaient à lui inspirer ce miracle... Elle avait été obligée de se séparer de son armure impériale pour adopter une de ces armures composées d'éléments disparates, signe de reconnaissance des mercenaires, éternels charognards qui faisaient fortune de la moindre pièce d'acier. Elle garda son épée en bon acier, son bouclier qui ne faisait de toute manière pas tache - Elle pouvait prétendre l'avoir récupéré sur un impérial macchabée - et troqua son éternelle cape blanche contre une fourrure d'ours brun, comme on en faisait un peu plus dans le sud, non sans un bougonnement. Ce serait certes plus adapté à la région de la Crevasse, et elle ne risquerait pas de déconvenues vers Solitude, son manteau blanc étant aisément reconnaissable, mais au milieu de la neige, elle aurait presque l'impression d'être nue sans elle. Enfin, il lui restait également son arc, qui ne lui serait guère utile, certes, mais surtout son épée, son Thu'um et sa foi inébranlable envers les dieux nordiques. Shor garderait une place pour elle en Sovngarde, elle se savait forte et brave.
Ébranlant la malheureuse carcasse de sa rosse, la nordique quitta enfin le fort sans un regard en arrière, bienheureuse d'avoir quitté ce trou à rat. Là où elle allait, plus de neige, mais de la pierre à foison. Voilà qui lui ferait un bien fou après cette charogne de bois...
Elle finit bientôt par tomber sur un homme aux écuries, un charretier, qui s'apprêtait à prendre la route vers l'Ouest pour sans doute continuer ensuite en direction de la Crevasse. Son arrivée était bénie, il n'avait aucune protection contre les bandits et créatures sauvages qui pullulaient en Bordeciel, et elle avait la tête de l'emploi. Ingrid passa un pouce sous le bandeau de cuir qui retenait, avec un succès moindre, les mèches folles de sa crinière, avant de se décider à discuter du prix. Puisqu'il semblait avoir besoin d'elle, autant pousser son avantage... Hélas pour le charreton, la nordique finit par pousser une gueulante en voyant que le bonhomme ne cédait guère de terrain, et il s'empressa d'accepter en avisant le poing ganté qui le menaçait. Le pauvre type allait finir par regretter cette décision, mais Souffle-Tempête était intraitable sur ce genre de détails. Elle observa d'ailleurs deux passagers avec eux : une impériale du genre morveuse dont il manquait le nez, par un quelconque coup du sort, et -Les dieux noient cette race maudite dans l'hydromel- un elfe noir, qui semblait vaguement absent.
Le charretier, toujours dans l'argot du métier, l'informa d'ailleurs qu'ils étaient parents par on ne savait quelle entreprise; bien qu'Ingrid sache que ce genre d’union était tout à fait prolifique, hélas pour les Mers comme les Men d'ailleurs... Que les dieux aient pitié d'elle et rendent ce voyage plus court à défaut d'être intéressant...
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... Les dieux soient maudits mille fois, ils ne semblaient pas avoir de pouvoir sur le temps ! Le trajet avait été désespérant de longueur, et elle s'était retenue plus d'une fois de foutre une rouste à ce satané charreton. Et que dire de la mule qui la trainait ? Ah, Markarth avait intérêt de proposer une bonne hydromel, où elle ne retiendrait plus ses mots, ça non. La garde de la ville affronterait une nordique en colère et un Thu'um assez puissant pour abattre les portes d'un bastion, comme dans les anciennes légendes. Voilà qui ferait une nouvelle histoire épique colportée par les skalds !
Elle eu un sourire carnassier à cette pensée et se permit de descendre de sa monture pour recevoir son paiement. A part un petit groupe de bandits, presque des va-nu-pieds qu'elle avait défait en peu de temps, elle n'avait guère travaillé, mais avait marchandé assez âprement pour recevoir ce salaire. Elle remarqua alors que les portes de la ville étaient apparemment fermées, protégées par la milice de la ville. Néanmoins, il y avait un camps tout proche, fermé également, avec quelques soldats impériaux qui passaient près de ceux-ci, mais elle n'en avait cure, concentrée qu'elle était sur les gardes qui protégeaient cette simple porte, cette dernière ne cachant que de malheureuses tentes de tissu. Allons bon, ces bâtards d'Herma-Mora n'allaient tout de même pas avoir le culot de lui refuser l'entrée !
-J'peux savoir pourquoi vous restez plantés là à rien fout', p'dent qu'les braves nordiques s'gèlent les miches à l'extérieur d'vot'e camps ?! Gueula t-elle à l'intention des troufions, bien décidée à profiter un peu de son grade après des jours de voyage à jouer à la boniche pour charreton.
Ouvrez-moi c'te porte et laissez moi passer, par le cul d'Mauloch, ou j'vous l'ouvre moi-même tapant d'sus avec vos pauv' caboches!
Voilà ce qui constituait une entrée en matière toute trouvée. La plus gueularde et bruyante des nordiques, envoyée en mission secrète de protection, et qui ne trouvait rien de mieux que d'abattre sa colère sur de pauvres gardes qui n'avaient rien demandé à personne. Ceux-ci ne devaient d'ailleurs pas avoir conscience du danger que cette grande rousse au caractère acariâtre pouvait représenter, et il était assuré qui leur serait tout drôle de se voir projeté contre la muraille qu'ils défendaient à cause d'un coup de sang.
-Ch'uis attendue, bougez vous avant que j'vous cogne ! Décida t-elle de leur lancer en trouvant que le temps s'écoulait bien lentement pour son sang bouillonnant.
Modifié par MangaShojo, 30 août 2012 - 12:55.