Diplomatie imposée
Les Cinq phalanges du Blasphème
Les Cinq disciples du Némésis
Sous les appels de l’anathème
Annonceront le Catharsis.
De par le sang et son emblème
Le roi non-mortel renaîtra
A nouveau son regard blème
Le divin Arkay défiera.
Mais de la Malice de Sh’éam,
Nul en ce monde ne guérira.
Enlirac le sage, Prophéties, An 188 de la troisième ère
— Grand-maître ?
L’archimage Traven sursauta, puis se reprit instantanément. D’une courte série de gestes calmement enchaînés, il referma le rouleau poussiéreux et se tourna vers le messager, son visage emprunt de la sérénité habituelle. Le vieux mage-portier se tenait près du portail provenant des niveaux inférieurs, la tête inclinée sur ses bras en un salut respectueux.
— Je vous en prie, Nestor, laissons là les rapports hiérarchiques. Qu’y a t’il, mon ami ?
— Un des hérauts de l’empereur demande à être reçu de toute urgence, Hannibal. Il se dit envoyé par le chancelier en personne. J’ai vérifié son sceau, il est authentique.
— Ocato ? Soit. Faites le entrer, Nestor.
— Entendu, Hannibal.
L’archimage observa le vieux magicien se retirer de ses appartements, un éclat songeur dansant dans son regard. Puis, il referma soigneusement son pupitre, se retourna vers les dalles de pegmatite concentrique du portail, à quelques mètres de lui et s’assit. Un homme solidement bâti revêtu de l’armure étincelante de la garde impériale apparut, accompagné de Nestor. Bien que son visage soit impassible, Traven percevait en lui l’anxiété que la téléportation entraînait chez les profanes.
— Héraut Folken, je présume entama Traven,
avec calme et affabilité. Bienvenue.
— Hannibal Traven, Archimage de la guilde impériale des mages de Cyrodiil, l’empereur vous salue ! tonna aussitôt le messager, comme pour chasser sa propre angoisse.
Moi, héraut impérial Demetrius Folken, suis porteur d’une missive urgente du Chancelier Ocato.
D’un geste de la main, Traven l’incita à poursuivre.
— Le Chancelier impérial Ocato, vous informe que la Cité impériale est l’objet d’attaques de la part de pirates Nibénéens. Par autorité que lui confère Uriel Septim VII, deux centuries protégeront le pont et les remparts de l’Université Arcanes pendant la durée du siège. Par mesure de précaution, aucun membre de la guilde ne devra sortir de notre périmètre de protection jusqu’à nouvel ordre. Une cohorte sera affectée à la défense de notre cité, vos mages ne devront pas interférer.
Traven hésita quelques instants. La « protection » suggérée de l’Université Arcanes avait des airs de détention provisoire. Et il savait pertinemment que les rumeurs d’attaques maritimes justifiant le couvre-feu n’avait guère plus de fondements qu’un château de sable. Pourquoi Ocato voudrait-il l’isoler ? A quel jeu jouait-il ?
— La Guilde des mages remercie la Légion impériale de sa protection, déclara-t’il enfin.
Nous vous assisterons de notre mieux : nos experts en divination seront immédiatement affectés à la surveillance de la flotte ennemie, en liaison avec vos services. De même que...
— Votre tour de divination est inclue dans notre périmètre, et sera prise en charge par un détachement de Traqueurs, coupa impudemment le héraut.
Vos portails seront également sécurisés par l’ordre de la Wyverne, en cas d’attaques de nature magique.
L’archimage resta silencieux de nouveau. Enfin, il ouvrit les bras dans un geste d’impuissance.
— La sollicitude du chancelier nous touche, héraut. Hélas, il est à déplorer que le nexus de téléportation de notre université aie déjà fait l’objet d’attaques. En effet, nos portails dysfonctionnent : ils souffrent d’éruptions entropiques, transportant notre personnel aléatoirement et contre son gré en tout point de la cité. Nos meilleurs guides de guilde sont actuellement affectés à sa réparation, et toute intervention extérieure se traduirait par des dommages matériels et humains conséquents. Naturellement, une fois stabilisé, il va de soi que nous céderons à vos forces de sécurité.
Le hérault allait rétorquer lorsque l’archimage éleva la main.
— Ne vous souciez pas cependant ! Je superviserai personnellement l’avancement des travaux et solliciterai l’aide de nos mages les plus compétents pour hâter leur réussite. Transmettez mes amitiés les plus sincères à Ocato. Ce sera tout.
L’homme du chancelier se raidit, mais ne souffla mot. Sans se départir de sa mine affable, Traven l’invita à disposer d’un geste, et il fut raccompagné par l’obligeant Nestor. Après son départ, l’archimage convoqua de nouveau son portier, afin qu’il rassemble les magisters pour un conseil d’urgence, lequel pour des raisons logistiques prendrait place... au Nexus de la guilde.
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Le vol
La bretonne se releva, son corps encore endolori parcouru de tremblements spasmodiques. Ses bras ainsi que ses mollets étaient en sang, mais sa pèlerine semblait par chance l’avoir protégée de la destructrice déflagration.
D’un regard las, elle parcourut ce qui restait de la taverne : de la paroi fracassée il ne subsistait désormais plus que quelques éclats fumants de roche et de mortier exposés. L’intérieur de la salle, en proie au vent et au feu, était constellé de débris, de poussière et de formes allongées et immobiles. Le crépitement des flammes se mêlait au cliquettement lointain de lances et de cuirasses, ainsi qu’aux exclamations assourdies de la populace.
Une silhouette se dressait encore, vivant défi au chaos environnant : la large carrure d’un guerrier orque revêtu de lin sombre, une masse au poing. Il semblait psalmodier des prières sur des écorchés parcourus de convulsions agitées, lesquels s’immobilisaient soudain paisiblement à la fin des incantations, comme enfin capables de reposer à nouveau.
Devant la brèche initialement pratiquée par Maelicia, une tresse de cheveux blancs dépassaient au dessus d’un amas rocailleux. Accourant aussitôt, la bretonne émit un hoquet horrifié : Ulvasa gisait sur le ventre, inconsciente... deux moignons carbonisés à la place des genoux, seuls souvenirs de ses jambes face au Mot de destruction de la vampire. Déglutissant péniblement, Maelicia retourna son amie... mais les yeux de la dunmer étaient vides, leur feu rougeoyant éteint à jamais, sa tête pendant pitoyablement au dessus de son torse. Une profonde et sanglante balafre lui labourait la poitrine.
Maelicia sentit les larmes lui monter au yeux, puis leur céda, laissant libre cours à son chagrin. Puis d’un seul coup, elle éclata, hurlant sa haine au monde d’une voix rendue éraillée par les pleurs.
— J’TE MAUDIS ! S’EMSYL SOIS MAUDITE ! J’TE TUERAI, J’TE TUERAI, J’TE TUERAI !!!!
Une pensée lui vint : la puissance lui ferait défaut pour détruire la disciple. Mais désormais, elle savait où la trouver. Tendant la main vers son col, ses doigts ne rencontrèrent que sa gorge : l’amulette avait disparu ! Un bruissement métallique lui répondit de l’autre extrémité de la pièce, et elle vit une ombre s’emparer du joyau maléfique. Dans un éclat de stupeur, elle reconnut le traqueur de Bravil.
— Jorus ! s’exclama-t’elle, mais à peine avait-elle prononcé son nom qu’il s’échappait par la porte principale, pour se téléporter vers l’inconnu. Elle allait s’élancer elle aussi lorsqu’un gémissement attira son attention : Aradon le Khajitt gisait, l’épaule en sang, comme choqué sous l’intensité de la douleur.
Elle hésita quelques instants puis l’aida à se relever, abandonnant l’idée de suivre son détrousseur.
— Ca va ? lui demanda-t’elle d’une voix émoussée par le chagrin.
Derrière les deux rescapés le cadavre d’Ulvasa fut soudain parcouru de spasmes, et des grognements furieux s’en échappèrent. C’en fut trop pour l’esprit de Maelicia, qui poussa un cri de terreur et se recroquevilla au coin de la pièce, se couvrant les yeux de ses mains gantées, refusant de voir, de comprendre ou d’entendre quoi que ce soit de plus.
Le chapelain orc poursuivit son oeuvre et les convulsions cessèrent, permettant à l’âme de la dunmer de quitter son corps contaminé par les méfaits des disciples.
Ce fut sur ces entrefaites que l’argonien noir revint. Se dirigeant à toute vitesse vers la cheminée, éteignant son foyer en reversant une barrique, il entreprit de l’escalader. Lorsqu’il en redescendit il était encore plus opaque qu’à l’accoutumée, mais paraissait content. Une volumineuse gibecière trônait dans ses mains.
— Il faut décaniller d'ici fissa, lança-t’il sans préambule aux trois survivants.
La ménesse maraude toujours et va nous faire tomber la chaume sur la trogne si les rouges ne nous alpaguent pas avant. Elle n'aurait alors pas d'mal à nous suriner un après l'autre.
Il émit ensuite quelques raclements sifflants, et un rat accourut de dessous le comptoir pour venir se loger sur son épaule. Une distante mais puissante détonation retentit à l’extérieur, accompagnée d’une clameur. Un autre impact résonna, faisant vibrer les derniers murs encore debout si bien que Maelicia, encore frémissante sous ses sanglots, se décida à suivre le saurien.
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Le Silence de Sh'éam
«
RASSEMBLEMENT ! RASSEMBLEMENT ! RASSEM... »
Un formidable fracas couvrit les cris du décurion, ponctuant l’atterrissage d’une créature de métal en plein sur le bâtiment où s’était établi leur poste avancé. Le poids de l’immense créature était tel que les poutres de la charpente cassèrent instantanément, effondrant la bâtisse sur l’escouade militaire qui s’y terrait.
Le monstre d’ébonite en rejaillit presque aussitôt, dans un nuage de poussière, pour fondre sur les formations de la deuxième cohorte. Sous sa charge, la terre devint parcourue de soubresauts, manquant de détruire les habitations par la seule force des vibrations. Une nuée de flèche lui fut décochée, ricochant instantanément sur les plaques qui le constituaient comme s'il s'était agi de vulgaires grains de riz.
Lorsqu’il heurta les premières lignes sa vitesse et sa masse étaient telles qu’il les balaya comme des fétus de paille. Il tailla en pièces la deuxième ligne, tournant sur lui même, ses lames largement déployées en une hélice mortelle. Chacune de ses enjambés enterrait une voire deux âmes tandis que les survivants débandaient ou s’escrimaient inutilement sur son invincible carapace. Les lances furent rompues, les boucliers brisés, les hommes dispersés.
A un moment donné le colosse fut intercepté par le tir d’une baliste, l’arrêtant simplement dans son élan alors qu’une rayure insignifiante s’imprimait dans sa céramique pectorale. Il observa une pause puis reprit sa course aussi sec. Plus haut que trois hommes, plus résistant que toute une armée, le Silence de Sh’éam labourait les forces assemblées contre lui, en une mortelle moisson offerte au nom de son Dieu. Et tout cela sans autre son qui n'échappe de son immortelle armure que le crissement de ses lames et le martellement de sa marche.
Un chaos sans précédent régnait sur le quartier pauvre, les impacts du monstre sh’éamite accablant l’atmosphère polluée par les cris des blessés et des civils, en proie à la panique. Précisément le genre de confusion nécessaire à l’évasion de S’emsyl, ombre discrète se perdant vers le quartier du temple.
Modifié par Trias, 22 février 2009 - 19:18.