2 réponses à ce sujet

[Svartalfar]

La coutume de la faveur dans la société dunmer

Il existe en Vvardenfell une tradition sympathique et très symbolique : celle de donner un gant à l'élu(e) de son coeur. Le plus beau, c'est que nous avons trois cas recensés, ce qui nous offre une base de travail !

Ainsi, vous vous souvenez toutes et tous de Nélos Onmar et de Maurrie Aurmine : le voyou romantique et la grande dame tombée sous son charme. Celle-ci accoste le prisonnier récemment libéré alors qu'il chemine non loin de Pélagiad, afin qu'il remette un de ses gants (de qualité) à cet individu. On pourrait penser que la coutume est purement brétonne, dans le plus pur style de l'amour courtois chère à la chevalerie dont les Brétons sont les chantres pourtant, Nélos est moins surpris par le cadeau que par le symbole : c'est donc qu'il connait¹ la signification d'un tel geste et que la coutume est donc partagée, sinon purement dunmeri.

Pour appuyer ce point, une autre personne est en Vvardenfell connue pour avoir offert une telle faveur : Ilméni Dren Dunmer de la Grande Maison Hlaalu (certes fortement impérialisée), qui vécut et vit alors toujours une romance avec un Exalté, et accorda à celui-ci un gant. Gant qui fut dérobé (sans doute par un autre Exalté) et échut à Varona Nélas, une sorcière officiellement bannie de la Grande Maison Telvanni (ce qui ne signifie pas grand chose à l'époque) et qui vit avec d'autres sorcières et son garde du corps dans une grotte. Garde du corps pour qui elle semble avoir des sentiments puisque l'abattre coupe court à toute négociation pour récupérer l'objet et la rend immédiatement hostile (considération qu'elle n'a pas pour ses consoeurs). Prévoyez-t-elle d'offrir ce gant plutôt que de participer à un chantage sur la fille du maître de la Grande Maison Hlaalu ?

Enfin, signalons au passage que le Nérévarine aura la possibilité d'amener à sa chère et tendre Ahnassi (et de se voir offrir en retour) le Bandeau noir d'Elvul, un gant gauche extravagant, en conclusion de leurs échanges de cadeaux. Sauf que bien sûr, Ahnassi étant une voleuse et une pousse-au-crime, il vous faudra d'abord le récupérer avant de lui rapporter. Afin qu'elle vous l'offre sous forme de cadeau partagé.

La chose intéressante à noter est que dans les trois cas, il s'agit d'un gant de qualité supérieure ("de qualité" et "extravagant") et qu'il est celui de la main gauche. Bien que ce soit trop peu pour établir une généralité, nous avons assez d'éléments pour hasarder des hypothèses. Déjà, qu'il s'agit d'une coutume pour laquelle il faut disposer de certains moyens.

Le message passe par le prix
En Vvardenfell en 3E 427, une paire de gants de qualité coûte 10 septims, soit autant qu'une tenue ordinaire (chaussures, chemise et pantalon communs) et une paire extravagante 40 septims.
Rappelons également que les impôts (saisonniers selon ESO²) pour une personne du peuple s'élèvent à plus de 50 septims par tête³⁴⁵, auxquelles s'ajoutent les dépenses courantes. En comparaison, les aliments communs comme le pain, le petit oeuf de kwama sont à 1 septim l'unité. Combien il en faut pour équivaloir à un repas est inconnu, mais 2 à 3 septims par repas (prix du combustible non-inclus) n'est pas improbable. Vu les proportions en jeu, il faut bien un pain entier pour servir de mouillette à un oeuf de kwama !
On ajoute à cela les cotisations de guilde si la personne en fait partie (et qui peuvent monter très haut⁶) et les impôts des Grandes Maisons ou du Temple (ne serait-ce que pour les terres). Tout ceci contribue à faire de ces gants des biens de luxe. Pas forcément parce que leurs prix sont exorbitant, mais parce que celui-ci représente une part non négligeable d'un budget.

Qui plus est, les vendeurs sont peu fréquents, ce qui raréfie l'offre et force les personnes qui souhaitent acheter de tels biens à se déplacer ou à passer par des intermédiaires afin d'effectuer la livraison. Cela rajoute donc un coût supplémentaire, sans parler des dangers potentiels du voyage.

Une analyse plus fine de la  situation économique serait intéressante afin de pleinement explorer cet aspect toutefois, ce n'est pas vraiment l'objet de cet article. Aussi, cela fera peut-être l'objet d'un papier ultérieur. En attendant, passons à l'hypothèse suivante.

Le sens de la main gauche
Seconde hypothèse, le fait que ce soit le gant gauche a une signification particulière.
On connait la signification guerrière de la main gauche, position pour la pankratosword⁷ notamment. Mais dans le domaine romantique, son importance est bien moins documentée. Si on reste sur le postulat (non vérifié je le répète) que cette pratique est avant tout Dunmer, on peut chercher des réponses au sein de leurs doctrines, les Dunmers étant très religieux.

Vivec, dans son premier Sermon⁸, a ces deux phrases, présentées ensemble :

Citation

" Car j'ai broyé un monde de la main gauche, dirait-il, mais je tiens dans la droite l'explication du moyen par lequel il aurait pu me vaincre. L'amour n'existe que par ma volonté. "

Les mains et l'amour sont ici associées, mais la gauche est celle qui broie. Dur de se représenter un acte d'amour à première vue, il faut entrer dans la métaphore (Vivec ne fait que ça de ses leçons).
Vivec introduit en fait une dualité, la destruction et la sauvegarde⁹. "Je broie le monde - il me repousse". Si on applique ça à l'amour et au début de la relation amoureuse, la droite signifierait "mes avances sont repoussées, mon quotidien ne change pas, je ne change pas". A l'inverse, la main gauche symboliserait la fin de l'ancien monde "je ne suis plus seul.e, nous sommes ensemble" (et c'est parce que nous sommes une nouvelle unité que l'amour est sous MA volonté ?). La dualité est au final la même que celle qui sous-tend tout l'univers : Changement-Stase, If-Ifnot, OUI-NON. Prosaïquement, accepter le gant gauche signifie accepter le changement et donc, la relation amoureuse.

Si ce geste de faveur est culturellement plus diffusée que simplement la société dunmeri, on pourrait aussi s'amuser à associer cette notion à l'Avertissement de Zénithar, un artefact du Divin (

Spoiler

Son gant gauche pour être exact

), qui affaiblit la volonté de se battre, rend aveugle et muet, afflictions que l'on pourrait comparer au fait de tomber en amour. Le Bandeau noir d'Elvul rendant lui aussi aveugle, peut-être y a-t-il une piste...
Qui plus est la Ruse de Zénithar, son gant droit, est lui un artefact charmant la cible, ce qui renforce l'aspect relation amoureuse. Et les deux sont accordés en récompense pour un sauvetage, comme un geste de reconnaissance et donc quelque part, d'amour. Faut-il alors concevoir l'amour comme une transaction ? Et le don du gant gauche comme un signe que son ou sa propriétaire accepte les termes du contrat c'est à dire, répond favorablement à l'amour que l'autre lui témoigne, sans négocier davantage (le côté muet) et sans se plaindre du bien qu'on lui présente (le côté aveugle) ?


Si la question n'est pas totalement tranchée, l'aspect religieux offre des pistes de réflexion intéressantes.


Le don d'un gant de valeur semble indéniablement être, dans la société dunmeri, un symbole d'affection et de sentiments amoureux, une déclaration d'amour autant que, peut-être, le signe d'une cour qui débute. Son origine peut être à aller chercher dans la religion, avec des exemples comme Vivec qui s'arrogent l'amour comme leur pré-carré ou Zénithar qui, en tant que Divin du Commerce, voient les choses comme des transactions.
Il reste cependant des zones d'ombre sur la question. En premier lieu, on ignore si les personnes du peuple s'adonnent aussi à cette coutume et si oui, s'ils font l'effort de se procurer un tel objet ou s'ils se tournent vers des présents plus dans leurs prix. Ahnassi a beau être une roturière, elle ne déclare certainement pas tous ses revenus aux impôts et ne peut être un cas représentatif. De même Ilméni est fille de duc. Même si elle se fiche de l'argent et du statut de son père, on peut estimer que son cadeau provient de son passé.
L'aspect religieux non plus n'offre pas toutes les réponses. Bien que le lien entre Zénithar et l'amour peut tenir, ilest aussi par certains ironique, il ne semble pas très pertinent, un autre Divin, Mara, étant déjà déesse de l'amour. Peut-être pour compléter nos réponses, faut-il chercher ailleurs que du côté de la religion ?

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Sources
1 Note de Nélos

2 Registres fiscaux de Molag Mar

3 Quête de TES III : Rent and Taxes

4 Quête de TES III : Taxes from Gnisis

5 Avis d'imposition

6 Quête de TES III : Manwe's Due

7 TESA:Duel à l'épée entre le Seigneur Vivec et Cyrus l'Infatigable

8 36 Leçons de Vivec, 1er Sermon

9 Rotten Deadite et Buckney Bos font une analyse des Sermons ici, où ils reprennent l'idée et l'associent à l'ésotérisme occidental, très prisé de MK pour réaliser ses Sermons, notamment la dualité de la "Voie de la main gauche et voie de la main droite".

[Emma Indoril]

Merci Svartalfar, c'était très intéressant !
Je remarque quand même que Vivec ou Zenithar ont une vision très violente de l'amour. Violente pour l'un et transactionnelle (donc, violence codifiée) pour l'autre.
Ça ne me surprend pas tellement de la part des Dunmers. Peuple violent.

[Chapichapo]

Il y a aussi une forte relation entre l'amour et la violence chez Vivec :

- il a de nombreux enfants avec Molag Bal (le prince du viol) qu'il élimine lui même avec Muatra (sa lance qui symbolise son phallus également).
- la fin de l'amour des dunmers pour lui relance la chute de Baar Dau sur sa ville qui la détruit et plonge Morrowind au sens large dans le chaos.
- son amour pour Jubal-Lun-Sul dans la lettre d'amour de la 5ième ère est conditionné par le fait que ce-dernier doive éliminer le Numidium.
- atteindre le CHIM nécessite un acte d'amour personnel absolu. Il faut s'aimer tellement qu'on parvient à exister malgré le fait de ne pas exister (ou d'être le rêve d'un dieu). Hors, dans le sermon 16, Vivec dit à Nérévar "tends au ciel par la violence".

Je n'ai pas fait une étude approfondie mais je trouve que ça montre pas mal de liens entre ces deux concepts.

Pour Zenithar, c'est plus compliqué. Dieu du commerce et du travail, il a deux autres gants dans Morrowind simplement nommés "gant gauche" et "gant droit" de Zenithar qui fortifient respectivement la chance et la personnalité. On peut y voir un lien avec l'amour (ou sa tentative pour attirer l'être aimé) mais moins avec la violence. Mais, paradoxalement, c'est lui qui aurait créé la masse du croisé pour Pélinal.

Modifié par Chapichapo, 17 octobre 2025 - 21:50.