Reeh Jah savourait sa pipe à skooma dans un coin de la salle. Il s’offrait ce petit plaisir pour célébrer son dernier coup juteux. Un mage de la région qui avait voulu jouer au plus malin avec sa cache à magie. En effet ce dernier avait trouvé l’idée, qu’il avait dû estimer brillante, de cacher ses recherches dans un coffret magique stocké au fond d’un immense puit naturel. Ledit coffre étant enchanté d’un sortilège de dispersion magique qui créait une sphère d’anti-magie autour de lui. Le but était simple : quiconque voulant descendre aussi profond avait besoin de retenir sa respiration bien plus longtemps qu’un humain normal ne le pouvait. Donc utiliser un sort de respiration aquatique, qui serait forcément dissipé par la sphère d’anti-magie. Et même dans le cas où le voleur aurait pu retenir un moment sa respiration, le coffre était verrouillé, et la sphère aurait rendu tout sort de déverrouillage impossible, et la possibilité d’utiliser un crochet sous l’eau était mince. Une idée brillante … si on exceptait le postulat ethnocentrique sur laquelle elle reposait. En effet Reeh Jah s’était régalé à couper le Nœud Gordien. En tant qu’argonien la question de l’apnée lui importait bien peu, la seule chose qu’il avait eu à faire c’était de bander ses muscles et porter le coffre jusqu’à la surface, d’enfiler des vêtements secs et chaud puis de crocheter tranquillement la serrure pour se servir. Histoire de ricaner un peu plus de l’ironie de la situation, il avait laissé une copie de Respiration Aquatique à l’intérieur, il avait particulièrement aimé ce livre quand il l’avait découvert.
Et pour fêter son triomphe il avait décidé de s’offrir un petit plaisir tout en parcourant sa découverte. La plupart des magiciens, lui-même ne coupait pas à la règle, codaient leurs manuscrits et leurs notes. Même si cela lui coutait un temps parfois important à passer au travers, il ne pouvait que difficilement les blâmer. Chacun était fier de ses trouvailles et de ses créations et la fierté amenait forcément une volonté de garder ça pour soi, ç’aurait été intolérable que le premier péquin de la guilde venu mette la main dessus et en clame la parenté. Au début il avait laissé un paquet d’écailles sur le coin d’une table à force de se gratter la tête pour comprendre comment percer ce genre de secrets. Et puis à la longue il avait élaboré sa petite méthode personnelle : un peu comme quand il avait appris à lire il se mit à chercher des choses qu’il reconnaissait. Comme le A ou le E autrefois il se mit à chercher des runes familières ou une configuration aerthique qui marquait une école bien précise, et ensuite défricher autour. Le tout aidé d’une ou deux substances pour « décaler » son esprit, il avait vite remarqué que c’était la clef à beaucoup de codes : les codeurs voulaient ne pas être compris et donc se tordaient le cerveau à établir un référentiel différent, mais jamais trop pour qu’eux même ne s’y perdent pas. Avec quelques verres dans le sang ou sous l’influence du skooma fumé il lui était plus facile d’accéder à ce genre de logiques, en étant justement dans un état peu logique par définition. Il eut un petit rire en y songeant, la plupart des décrypteurs professionnels se seraient étranglés en entendant sa méthode, et lui-même admettait volontiers qu’elle ne marchait que sur la magie, justement du fait de sa nature particulière, mais qu’importait pour l’instant.
Il reprit une bouffée à sa pipe et expulsa très doucement par les naseaux avant d’attaquer une nouvelle page du carnet qu’il décryptait. Les symboles lui échappaient encore, visiblement il y avait de la destruction là-dessous mais comment cette dernière s’appliquait ? Il n’arrivait pas à mettre le doigt – griffu – dessus. Frustrant. Très frustrant. Il décida de se changer l’esprit en piochant dans l’assiette qu’il avait posé à sa gauche, des œufs de kwama pannés. Délicieux et surtout facile à manger sans trop d’attention. Ce fut cette pause alimentaire qui lui permit de voir le dunmer arriver. Felvan, ce petit roublard. L’argonien l’aimait bien, pas raciste comme la plupart de ses semblables du coin (un réel souci quand il était vu près d’un endroit où un vol avait eu lieu, forcément les gardes venaient l’interroger …) et plutôt fiable. A quel point il n’avait jamais pu vraiment l’estimer, ils avaient essentiellement fait des boulots « faciles » ensembles et la question du compagnon ou du butin ne s’était jamais posée. C’aurait été le cas il aurait eu ses doutes sur le choix du dunmer, mais tant que rien n’était prouvé il se laissait le droit de lui accorder sa confiance. De toute façon, comme il aimait à le penser, dès qu’un non-mage essayait de lui faire une grosse crasse, lui avait un net avantage dans la dispute. Quoi qu’il en soit il referma le carnet et le glissa dans sa besace qu’il portait en bandoulière. Il prit une nouvelle bouffée du narguilé et alors que le dunmer arrivait à portée de voix il exhala la fumée en une unique bouffée qu’il concentra par un petit sort de télékinésie, faisant décrire à cette dernière des courbes derrière lui, le parant comme s’il avait été un monarque assis sur un trône ornée d’immenses griffes. Tout est dans la classe, pensa-t ’il.
« Ce bon vieux Felvan. Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de ta visite ? Tu veux toi aussi t’adonner au plaisir de l’évasion de l’esprit ? Ou alors tu m’amènes une quelconque funeste nouvelle ? Ou … autre chose ? » Il avait longuement insisté sur le silence au milieu de sa phrase, comme son professeur de théâtre lui avait un jour suggéré pour mettre de l’emphase.
Modifié par Arakis, 29 août 2017 - 08:29.