Prologue
Certaines choses sont immortelles. L'amour, la vie, sont de celles-ci, mais ne sont rien comparé au vide rapidement comblé qu'on laisse lors de la mort. Le Vide est réllement immortel. Nous sommes aisément remplaçables par l'écheveau du destin. Ce sentiment en comparaison fugace qu'on a face à l'éternité nous noue le ventre; sentiment qu'on s'empresse d'oublier, continuer à se l'évoquer nous rapprocherait de la sphère d'influence du Prince Fou Shéogorath. En voilà une, de chose d'immortelle, lui et ses pairs... le désir de puissance et de contrôle sur tout concept.
Malgré tout, Alwine n'en avait cure. Il y avait autre chose de plus important que les Daedra dans sa vie. Le froid. Qui l'accompagnait partout depuis sa naissance. Si beaucoup faisaient tout pour fuir la soumission, la solitude, ou la pauvreté, ici, à Fortdhiver, la tradition voulait que ce soit le froid. La richesse d'une personne dans cette ville du nord de Bordeciel se mesurait à sa capacité à se protéger du vent et de la neige dans la vie de tous les jours, et les nuits également. Et Alwine était pauvre.
Sa pauvre robe, tenant plus du chiffon, pendait sur sa carcasse sous-alimentée de belle de nuit nordique de seize ans. Elle se traitait d'imbécile tous les jours, depuis qu'elle avait quitté Gulo l'Orque, son souteneur. Il savait se montrer accommodant la nuit venu, et si franchement, partager son lit était éprouvant, il avait été tendre parfois. Mais sur un coup de tête, enflammée par un discours de la prêtresse de Dibella sur la maîtrise de son destin, qui l'avait ausculté un soir, elle avait décidé de se mettre à son compte. Récupérant un petit pécule caché depuis qu'elle se prostituait, elle avait pu se payer une chambre pour plusieurs semaines au Braillard silencieux. Mais là où Gulo faisait montre de discernement quant au choix des clients de ses filles, elle devait aller avec n'importe qui. Elle ne pouvait pas chipoter.
Comme le dernier poivrot en date, pouilleux de naissance comme un renard en phase terminale de la rage, qui lui avait laissé un cadeau une de ses amulettes qu'il disait magiques. C'était une jolie babiole, mais Alwine ne croyait pas à sa nature mystique. Elle était bien allé voir S'Radjiir, qui avait des connaissances étranges pour un simple scribe, mais il était dans un mauvais jour. Le skouma ne lui faisait pas vraiment de bien.
D'ailleurs, Alwine aurait bien voulu avoir de ce skouma, il lui aurait permis de résister à ce froid mordant. Enfin, il l'était plus que d'habitude. Mais pas le temps d'attendre de geler sur place, il fallait se déplacer dans les rues enneigées. Bien qu'il fasse nuit, elle avait un avantage, connaître la ville à cette heure-ci comme sa poche, et ses habitudes de bête assoupie. Tout de suite, Dagur se mettait en tête de virer les soûlards de son auberge. Elle trouverait bien de quoi travailler là-bas...
Elle s'arrêta net dans une allée enténébrée. Quelle étourdie, pourquoi ne regardait-elle pas devant elle ? Un silhouette, encore plus sombre que le noir ambiant, se tenait au milieu de la ruelle à deux mètres d'elle. Elle sentait le regard inconnu parcourant son corps. Avec un frisson, Alwine se demandait si ce n'était pas un membre du gang des Pique-Assiettes, qui patrouillait des fois pour débusquer de l'elfe. Se sentant légèrement plus rassurée – çà ne pouvait qu'être un Pique-Assiette – elle demanda si un gentilhomme se trouvait ici pour la ramener à sa chambre, étant perdue. Une technique efficace, grâce à sa voix juvénile trahissant une fausse inquiétude. Beaucoup d'hommes aimaient les très jeunes filles. Il allait tombé dans le panneau, c'était sûr. Quand Alwine vit un sourire se reflétait à la lumière de Masser et flotter à l'endroit où devait être la bouche de la silhouette, elle se sentit victorieuse et s'approcha de son compagnon. Victorieuse de gagner encore cette manche contre le froid.
Elle sentit plus qu'elle ne vit un scintillement, pour subir dans l'instant d'après un froid beaucoup plus pénétrant qu'elle n'avait connu jusque là. Baissant les yeux, elle vit sa robe s'assombrir sur le devant. Elle se retrouva couchée à terre, comptant les flocons de neige dans le ciel, qui arrivait à se détacher bien blancs dans le ciel noir. Le sourire revint, plus éclatant que jamais en se penchant vers elle. Alwine se sentit réchauffée, aimée, pour la première fois. Elle se laissa couler dans cette chaleur bienvenue...
Une Nordique morte dans la nuit. Un corps sombre sur un tapis blanc. Les étoiles frémirent à cette idée, Masser et Secunda se couvrant pudiquement de nuages. Que cela débute, se dit le sourire, toujours aussi brillant dans la pénombre de plus en plus épaisse. L'Oblivion allait se déchaîner sur cette partie de Nirn. Noir sur blanc, blanc sur noir... c'est le secret d'une vie bien remplie.
Acte 1 – Un enfer monochrome
Le légat Filio Terrentus se lissait les moustaches. Il observait la pile de rapport plus qu'il ne la lisait. A sa décharge, il la connaissait presque par coeur. Agressions. Meurtres. Corruption. Vols. Transport de marchandises illicites. Le quotidien de Fortdhiver.
Depuis le Grand Ravage en 4E122, la ville se mourrait à petit feu. Ou plutôt à petit froid, avec cette satanée glace perpétuelle. Le jarl et les survivants des clans avaient refusé l'aide de l'Empire. Mais le Mede n'aurait pas pu faire grand-chose en terme logistique, la mer étant gelée 7 mois par an, et la route du sud dégagée quand il faisait soleil pendant plus d'une semaine...
Les habitants accusaient les mages de l'Académie de la catastrophe, qui en retour accusaient le Mont Ecarlate. Une bonne partie des Nordiques, plus disposés à soupçonner Morrowind de tout méfait, accusèrent alors les Dunmers du coin, parce qu'il étaient elfes, donc magiciens. Situation complètement folle, selon l'avis de Terrentus. L'animal blessé se mord au flanc, parce qu'il ne sait pas pourquoi il a mal.
Les mages n'avaient pas arrangé leur image à l 'époque; l'archimage, un imbécile selon ses propres subordonnés, avait refusé toute aide à la population, sous prétexte d'étude sismomagique du phénomène, qui accaparaient tout le monde. Il s'était enfermé dans sa forteresse avec ses potes de peur de se faire lyncher par les survivants, avait tendance à croire l'Impérial en jetant un coup d'oeil à sa fenêtre, où la forme immense de l'Académie se découpait nettement.
Le Jarl d'autrefois, qui tolérait d'un mauvais oeil la présence d'autant de sorciers, s'était radicalisé après le Ravage. Opinion, teintée de xénophobie avec le temps, qui s'était répandue parmi ses descendants, dont le Jarl actuel, Korir. Sa garde, commandé par Alrik du clan des Fière-Neiges partageait cette opinion, et mettait dans le même sac les Elfes, surtout les Noirs bien entendu. L'autre clan, les Loup-Noiraud, avait une politique bien différente. Lors du Ravage, deux soeurs, mariés à deux clans différents, s'était retrouvé chez la sage-femme en même temps... pour accoucher de jumeaux garçons pour l'une et d'une fille pour l'autre. Les clans avaient succombé, leurs maisons construites sur le front de mer s'étant écroulé avec leur occupants et la majeure partie de la ville. Les deux soeurs avaient donc fusionnés leurs deux noms pour donner naissance à un tout nouveau clan. Le tollé parmi les Fière-Neige fut immense, mais le Jarl de l'époque avait besoin de toutes les ressources disponibles pour faire survivre Fortdhiver. Y compris politiques. Depuis, les Loup-Noiraud observaient, attentifs et attentistes, engrangeant des richesses grâce à leur commerce, pensant à leur instinct de conservation avant toute action.
Mais Fortdhiver était devenu autre chose avec les presque 80 ans. La population était passée de 20000 habitants à 12000 après le Ravage, d'un coup. Tout le monde y avait perdu des proches, des amis. Beaucoup y avait perdu leurs maisons ancestrales, leurs commerces, leurs fabriques. 1500 personnes moururent dans les semaines qui suivirent, de faim, de maladies, de froid surtout. Désormais, une partie non négligeable des habitants s'entassaient dans des taudis, quand ils pouvaient se payer une chambre. Il y avait là un mélange détonnant de métiers plus ou moins honnêtes, rapines, prostitutions, meurtres étaient monnaie courante. Les gangs gouvernaient des rues entières, et s'affrontaient pour grappiller le territoire des autres. Dans ce Fortdhiver-ci, une vie avait souvent moins de valeur qu'une nuit à l'abri du froid ou même qu'un bol de soupe chaude. La garde ne descendait qu'en force dans certaines parties de la ville, et avaient ordre de tuer toute personne passant à moins de deux mètres d'elle.
Terrentus se prit la tête entre les mains. Il avait essayer d'aider, mais Korir refusait toute ingérence de la Légion, selon lui il avait « tout contrôle sur la populace »Et ce n'était pas avec vingt soldats, tous des bleus ou des vieillards, qu'il allait passer outre le Jarl et instaurer une dictature martiale pour éradiquer le mal de Fortdhiver. . Le vieux prêtre d'Arkay, Raldor, était le seul allié réel qu'il comptait dans toute la ville sauf que le vieux père s'approchait du siècle d'existence. Les renforts n'étaient plus attendus, l'Empire préférant garnir ses frontières pour s'opposer au Domaine Aldmeri en cas de conflit. Il semblait seul.
Modifié par Will., 14 avril 2012 - 15:46.