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[H] Un Cas Qui Ne Manque Pas De Sucre


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#1 GiZeus

GiZeus

Posté 20 novembre 2011 - 23:10

La Nature est une pièce d'or étrange et incontrôlable ; elle repose souvent sur la tranche mais peut à tout moment dévoiler l'une ou l'autre de ses faces, sans exposer les raisons de ce revirement aux yeux des humains. Et en cet instant je me demandais pourquoi j'étais l'objet de sa haine. Alors qu'un soleil radieux éclairait Solstheim de l'éclat glacé de ses rayons lointains et que je me baladais dans ses contrées solitaires, la pièce d'or avait connu un brusque soubresaut et entraîné les éléments à ma poursuite. Irrémédiablement, le vent doux et calme avait commencé à répandre sa plainte, de plus en plus vive et intense, à travers les forêts isolées de Solstheim, arrachant au fil du temps davantage de poudre au sol matelassé de neige pour m'en frapper tout le corps. Et comme un grand de ce monde est toujours suivi par sa cour, une cohorte de nuages menaçants avait empli le ciel de ténèbres, exprimant toujours plus leur fureur glacée au travers d'une averse de flocons vengeurs. Autour de moi la Nature s'était parée de ses blancs atours, travestissant impartialement chaque arbre ou rocher en une blancheur immaculée. De ce paysage monotone seuls les troncs formaient des colonnes vaguement grisâtres, donnant à mon environnement une allure de temple sacré ravagé par la colère de son dieu, cherchant à éradiquer tout blasphémateur par le déferlement total de son ire.

J'en étais donc à errer dans un flou total, perdu dans un chaos absolu , sans autre point de repère qu'un horizon faussement virginal, sans pouvoir retourner sur mes pas bannis par le vent. J'avançais au hasard, évoluant péniblement parmi ces colonnades incertaines, exténué, mes pieds obligés de racler le sol pour avancer. Sans arrêt les rafales changeantes tordaient mon corps en lui faisant danser un ballet grotesque ; j'avais l'impression d'être au milieu d'un vaste cercle formé par de sournoises rafales, qui chacune à leur tour et dans un ordre volontairement aléatoire venaient me percuter par l'avant, par l'arrière, sur le côté, dans le seul but de me déstabiliser et me faire chuter à jamais dans le repos éternel. Mais je n'avais pas l'intention de leur donner ce plaisir, et tout fatigué que j'étais je luttais avec mes dernières ardeurs pour contrer cette multitude d'ennemis invisibles en me cabrant, en m'enracinant dans le sol, en leur faisant face par de violents coup d'épaule que je ponctuais d'imprécations sanglantes, de défis rageurs. Chaque muscle de mon être était bandé, tendu à rompre, poussé dans ses derniers retranchements. J'avais dépassé le cap de la douleur, et malgré le froid perçant une sensation de bien-être où se mêlait une fermeté indétrônable m'avait envahi. Mais parfois les coups étaient trop durs, trop violents ,et je mettais un genou à terre, quand je ne m'étalais pas complètement face contre neige. Je sentais alors, plus glacée encore, le contact picotant de la poudre sur mes joues, et ma peau sous l'emprise de l'étreinte brûlait d'un feu né de la glace. Cependant, chaque fois je me relevais, plus épuisé mais plus volontaire,renforcé dans ma volonté de survivre. A chaque chute mon flambeau se ranimait avec davantage d'éclat et d'ardeur ; en dépit des brumes alentours qui commençaient à m'envahir, je le sentais, ma torche intérieure brûlait d'un feu incandescent et sans cesse renouvelé.

Cette force immense à laquelle on se ressource ne se dévoile que dans les pires épreuves, lorsque l'homme, confronté à lui même, a conscience de mener ce qui risque d'être son ultime bataille. Au fond de moi je sentais une rage débordante envahir mon corps et se répandre dans chaque parcelle de mon être ; une rage conquérante qui actionnait mes bottes contre mon gré, contre leur gré, contre le gré du cuir qui brisait la neige vicieuse emprisonnant mes mouvements ; une rage aveugle qui sortait des tripes, que chacun porte en soi, que chacun libère lorsque arrive le moment fatidique. Cette passion qui nous guide, cet instinct invincible qui transcende, c’est la force de l’homme qui, dans ses pires moments, quand est venu l’instant suprême de repousser ses limites ou de ne jamais les franchir, le mène quoiqu’il arrive plus loin qu’il n’aurait été sans elle. Elle le porte à braver sa maîtresse de toujours, la bien aimée Dame Nature, celle qui l’a enfanté et qu’il doit combattre pour exister, pour se prouver à lui-même qu’il existe.

Jusqu’à la mort s’il le faut.

J’en étais là, à forer dans le vent et la neige pour trouver une issue, quand devant moi, juste après qu’une rafale ait failli me projeter contre un arbre égaré, j’aperçus plus que je ne vis une tâche sombre qui pulsait dans le vague infini. Je crus d’abord à une bête, à un ours gigantesque ou une meute de loups sauvages, et j’eus peur de finir dans la gueule ensanglantée d’un de ces carnassiers. Mais en me rapprochant j’aperçus des traces de clarté, une lueur diffuse, anémiée. Et lorsque je fus suffisamment près, ce que j’avais pris pour une bête féroce au premier abord se révéla être une bicoque de bois. En mon sein je sentis la flamme de l’espoir renaître brutalement, comme si j’avais versé dessus une fiasque d’eau de vie. Je jetai mes dernières forces dans la bataille et je lançai un cri de rage qui se dilua dans les replis des bourrasques.

La porte en bois se tordit presque lorsque je m’annonçai. J’attendis quelques instants dans la torture de l’espoir que l’huis s’ouvrit vers le paradis, mais les craintes ressurgissaient à mesure que les secondes infernales s’égrenaient. Je réitérai mon annonce. Toujours rien. Seulement le bruit difforme des rafales hurlantes et leur colère tumultueuse qui me balançait dans tous les sens. Et ma main contre la porte. Je n’avais plus le temps, je devais faire vite. Je saisis ma hache, la brandis à deux mains au-dessus de ma tête, et j’allais l’abattre avec désespoir contre le bois lorsque celui-ci se déroba devant moi. J’arrêtai mon geste juste avant d’expédier un grand maigrelet au pays des spectres.

- Bonjour, c’est pour quoi ?

Je n’avais pas prévu la question. Les bras faillirent m’en tomber, malheureusement pour le gringalet qui aurait été coupé en deux.

- J’ai froid. J’ai faim. Je suis fatigué. Laissez-moi rentrer.

Je crois bien que ma voix était pathétique et essoufflée.

- Ah oui, c’est vrai, il y a un peu de tempête dehors. Je n’y fais plus trop attention ces derniers temps. Vous avez du faire un long voyage pour arriver jusqu’ici. Comment avez-vous trouvé, presque personne ne connait cet endroit ?

Là encore, la question me désarma.

- Par hasard.

- Ah bon. Je croyais que c’était une connaissance qui vous avait indiqué ma demeure. Donc je ne vous connais pas, c’est exact ?
Je repris mes esprits.

- Ecoute moi bien, je suis en train de crever là dehors, alors dégage du passage.

Et sans attendre je le bousculai et m’invitai dans la cabane.


* *

*



Trempé et glacé, sentant toutes les parties de mon corps trembler sans exception, je me dirigeais instinctivement vers l’immense brasier qui illuminait la pièce d’une lueur incandescente. C’était sans conteste à l’âtre flamboyant que je devais ma survie, et intérieurement je remerciais les dieux pour avoir donné vie au tronc qui brûlait devant moi. Cette épreuve m’avait rincé, et c’est plus mort que vivant que je m’écroulai sur le tapis pour un voyage bien mérité au pays des songes. Là-bas j’y trouvais un air lourd, peu empreint au repos, qui m’asphyxiait sans relâche ; j’arpentais des terres gelées, escarpées et mouvantes, qui s’ouvraient sous mes pieds, m’obligeant sans cesse à sauter furieusement sur chaque parcelle de terre suspendue au-dessus des abîmes, asile éphémère dont je m’exilais malgré moi. Je redoublais la cadence, je surveillais le tempo, mes yeux balayaient l’air comme la queue frénétique des fauves exaltés ; mes jambes bougeaient d’elles-même, je n’avais plus droit au chapitre ; j’avais dépassé le stade de la pensée, mon corps avait emprisonné ma conscience dans une cage hermétique, bien loin de la surface. Je ne voyais plus, je ne bougeais plus. J’étais un spectateur étranger à moi-même, qui ne savait plus bien s’il devait se réjouir de la prouesse fantastique de ces mouvements extraordinaires, ou s’il devait crier et frapper contre le mur de sa conscience pour renverser le coup d’état dont il était la victime et l’auteur.

Je ne sais combien de temps je me sentis entravé et trahi par l’être que je croyais le mieux connaître, car dans ces moments là, dans le délire de la fièvre et les vertiges de l’ivresse, nous sommes transportés dans une dimension fantasmagorique par une de ces divinités spectrales qui se dérobent à nos yeux. Le voyage, si tant est qu’on puisse appeler une expérience de la sorte ainsi, trouve généralement son issue dans un réveil soudain et brutal, qui découvre au sujet un corps fumant, ruisselant de sueur maladive. C’est ainsi que je me réveillais, me relevant brusquement pour constater que je n’avais pas bougé depuis mon affaissement. Je puais comme un relent des marais, et mes vêtements sales et visqueux, imprégnés de divers fluides corporels, me collaient à la peau bien qu’ils ait été séchés par le feu. Contre toute attente je ne me sentis pas enveloppé dans un drap, ni même une éponge sur le front. J’en déduisis deux choses : premièrement, que mon hôte était bien peu prévenant ; deuxièmement, que je ne devais pas être assoupi depuis si longtemps pour qu’il m’ait autant négligé, quelques heures tout au plus. Il me restait à m’assurer d’une dernière chose. J’étais arrivé entier dans cette cabane, je comptais bien en repartir intègre. D’une oeil scrutateur, conscient de l’épreuve traversée, je commençai donc à examiner chaque partie de mon corps. Le doute m’assaillit quand j’entrepris de tâter mes jambes et mes pieds. J’avais déjà vu de grands gaillards bien plus solides que moi affronter des périls encore plus dangereux, et revenir cul de jatte à cause d’une malchanceuse aventure. C’était le cas de mon grand-père, dont les exploits héroïques m’étaient seulement parvenus par le prisme déformant des histoires qui deviennent légendes. Je ne l’avais pas bien connu, mais je me souviendrai toujours de la fois, unique, où j’avais aperçu ses moignons inférieurs. Et dans son regard complexe qu’assaillaient de multiples émotions, au milieu du tourbillon de haine, d’humiliation et d’espoirs déchus qui troublaient sa pupille, j’avais contemplé fugacement la pire des choses qu’il m’eut été donné de voir jusqu’alors. Sous cet entrelac rageur d’émotions déchirées m’était apparut dans une explosion gigantesque une humanité mutilée, la ruine de soi, de son corps, de ses actions. L’irrémédiable perte de ses rêves enfouis, la dépendance éternelle à un lieu, un instant, une tierce personne ; son indépendance bafouée, tout ce qui permettait à l’homme de s’élever vers les cieux envolé à jamais.

Ces funestes images en têtes, je faisais courir lentement mes doigts le long de mes cuisses, de mes mollets. Légèrement rassuré en sentant les picotements de mes ongles provoquer quelques frémissements, je les descendais le long des chevilles pour arriver au niveau de mes pieds. Là, le souffle court, le regard fixe et les mains immobiles, je passais en revue chacune des divinités dont je me souvenais pour invoquer leurs grâces.

J’inspirai une grande bouffée d’air puis me lançai. D’abord mes doigts glissèrent un peu plus bas, jusqu’au talon. Puis ils remontèrent sur le dessus de mon pied, en explorèrent avec précaution la surface, s’étirèrent jusqu’aux orteils, puis frottèrent la voûte plantaire. Je réitérai l’opération sur le second membre. Lorsque tout fut terminé je soupirai de soulagement.

Pas de gangrène à l’horizon.

- Alors bien dormi ?

Je tournai la tête vers le gringalet.

- J’ai connu mieux.

- Oui moi aussi, vous n’avez pas arrêté de gesticuler et de parler. C’est étrange que vous ne vous soyez pas réveillé vous-même, je n’ai jamais compris comment faisaient les gens pour faire tout ce vacarme sans se gêner eux-mêmes. C’était le cas de mon ancien compagnon, un khajiit. Brrr qu’il était bruyant ! Un vrai fauve quand il s’y mettait, je ne vous raconte pas. Et que je te miaule un coup, et que je sorte les griffes ; parfois même il poussait le vice jusqu’à faire des crises de somnambulisme. Quel malotru ! Mais croyez-moi, la meilleure chose dans ces cas là c’est un bon coup de poêle dans la tête. Ah ça les calme de suite ! Surtout quand ils tombent sur un couteau, ils le regrettent amèrement après coup. Mais là n’est pas le sujet. Donc je disais que les gens sont d’un sans-gêne aujourd’hui, vous en convenez ?

La tempête commençait à me manquer.

- En tout point. Mais je me pose une question, où suis-je ?

L’homme écarta chaleureusement les bras en un grand sourire.

- Eh bien, chez moi !

J’attendis la suite. Elle ne vint pas.

- Mais de manière plus exacte, géographiquement et topographiquement parlant si je puis dire, où se situe votre chez-vous par rapport à, disons à tout hasard, Fort Molène.

Derrière la table où il se tenait, je le vis se pencher soucieusement en avant, les yeux rétrécis.

- Ce n’est pas au même endroit, pour sûr.

La question ne me semblait pas si complexe au premier abord. Tant pis pour la question du où, il serait toujours temps de la résoudre plus tard. Je n’allais pas gaspiller le peu de force qui me revenaient maintenant.

- Eclairez-moi sur un autre point. Vous m’avez l’air d’être ce que l’on nomme un érudit à évoluer parmi toutes ces fioles, et je ne peux m’empêcher de penser que je pourrais avoir entendu parler de vous. Voudriez-vous bien me dire votre nom pour mettre un terme à mes doutes ?

- Mais très certainement, chevalier, se récria-t-il en bombant le torse. Je me nomme Anuis Tretar Bellados, mais appelez-moi Oncle Friandises. Si mon nom vous est familier c’est que vous avez du le croiser dans la Tribune Alchimique de Balmora. Ah quel déchirement ce fut quand j’appris sa disparition ! Le rédacteur de la tribune a été retrouvé calciné dans sa marmite. Il paraitrait que la faute en échoie à la guilde des mages, qui n’appréciait guère que des amateurs se livrent hors de leur tutelle à des expériences alchimiques. Rendez-vous compte ! leurs onguents et autres potions de soins auraient été bien plus compliqués à vendre si des néophytes tels que nous les concurrencions sur ce marché juteux. Sans compter les potions de respiration aquatique, ou, pour les acrobates de tout poil, des potions affutant votre capacité à sauter plus haut ! Toutefois je crains que celle-ci n’ait été un succès, son inventeur s’étant volatilisé juste après son annonce. Mais je m’égare dans les méandres du passé, cela risque de m’arriver quelques fois encore. Je vous en prie, si vous sentez que je digresse follement, n’hésitez pas à m’interrompre, je ne vous en voudrai pas une seconde.

J’agréais mécaniquement à l’incitation de mon hôte. Durant sa tirade indigeste j’avais eu tout le loisir, si tant est que je puisse employer un tel mot, d’observer le vieil homme qui me tenait des propos incohérents avec moults gestes désordonnés en guise de théâtre évocateur. Alors qu’au premier abord je l’avais simplement cru plus âgé, je m’étais aperçu à la lueur du feu gigantesque de ses traits ravinés, de son large front dégarni, prolongé sur son crâne par une large bande d’épiderme à nu, simplement entourée, au niveau des tempes, d’un reste de cheveux blancs qui traduisaient par leur densité l’abondante chevelure que le vieillard avait du posséder dans sa jeunesse. Ses yeux, animés par intermittence d’éclairs fanatiques, se voyaient séparés l’un de l’autre par un nez légèrement bossu, qui conférait au visage un aspect massif que les dimensions démentaient. D’autre part, il émanait de son aspect général une espèce de maintient intérieur que je ne saurais décrire, suffisamment puissant pour se laisser deviner mais pas assez pour qu’il transperce entièrement la carapace psychologique bâtie par-dessus.

- Au fait, repris-je en me massant la tête, je n’ai pas du vous déranger tant que ça, j’ai l’impression de n’avoir pas dormi longtemps.

- Ah détrompez vous, vous êtes resté plus de deux jours à grogner sur mon tapis de fourrure. Vous m’inquiétiez un peu tout de même, mais je n’osais pas vous déranger. Vous frapper avec une poêle aurait été assez grossier de ma part pour une première rencontre.

Deux choses me frappèrent à la suite. La première, que j’avais été bien mal en point. La seconde, que l’hospitalité du personnage était assurément des plus douteuses. Laisser un homme agonisant étendu sur le sol de sa propre demeure sans rien tenter pour le soigner, ne serait-ce que le couvrir d’une couverture, dénotait en soi plus que de l’indifférence, on frôlait avec la méprise de la vie en général. J’en étais à la fois ébahi et révulsé, mais je préférai n’en rien laisser paraître. Il aurait été malavisé dans mon état de me retrouver à errer dans le glacial inconnu. Mieux valait récupérer puis oublier toute cette histoire, et en rire après coup si possible.

- Je vous l’accorde, laissez-moi vous féliciter pour votre savoir-vivre. Ces deux jours expliquent pourquoi j’ai le gosier desséché, qu’avez-vous à boire ?

- Je recueille de la neige, que je place dans une cornue. Je chauffe le tout grâce à un morceau du feu derrière vous, et ce qui ressort dans le récipient est le résultat de la neige fondue débarrassée de ses impuretés. Ou sinon il doit me rester une de ces bouteilles que je garde du temps jadis pour de grandes occasions, qui se font de plus en plus rares hélas.

- Ce vin, il vous en reste ?

- Deux trois bouteilles. Un instant, elles doivent être au milieu de ces fioles, dans ce placard.

Mon étrange hôte s’était en effet dirigé vers un rangement qu’il ouvrit avec véhémence. A l’intérieur s’étalaient sur plusieurs niveaux, diverses fioles et bouteilles aux multiples formes, certaines d’aspect grotesque, d’autres parfaitement normales, dont les couleurs bariolées auraient rendu fou de désir n’importe quel soi-disant artiste sévissant de nos jours.
De mon côté la convoitise laissait place à l’inquiétude.

- Non, ça c’est un remède contre le froid. Je la mets de côté, ça peut servir en ce moment ; ce brave homme m’a l’air d’avoir attrapé un bon rhume. Celle-là aussi je garde de côté. On ne sait jamais quand un braillard va vous foncer dessus. Ces bêtes là sont sournoises et s’annoncent sans se montrer. Et parfois l’inverse, c’est à n’y rien comprendre !

J’abandonnais le vieillard à ses propos pour examiner la pièce. Comme me l’avait fait remarquer Oncle Friandises, je gisais sur un tapis en fourrure de ce que j’estimais être un loup, situé approximativement au centre de la pièce, pris en étau entre une impressionnante collection de livres rangés méthodiquement, et un comptoir où s’étalaient une myriade de fioles, alambics et cornues, reliés entre eux par d’innombrables lianes et tourbillons de verre qui se coloraient de multiples teintes à mesure que s’écoulaient les étranges liquides migrateurs, quittant une fiole pour rejoindre une cornue dans une course marquée le plus souvent par l’altération de la couleur d’origine. En me levant je pus constater que ce plan de travail principal, derrière lequel se trouvait l’intriguant vieillard quelques instants auparavant, se trouvait complété par une table d’études, sur laquelle gisaient divers grimoires à l’aspect vieillissant. En dépit des plus grands soins, il semblait que le temps, repassant après l’auteur, eut gravé son ouvrage inéluctable dans le parchemin de plus en jauni et de plus en plus fin ; de même sur le cuir craquelé, où s’inscrivait quelquefois une entaille irrémédiable. Surplombant largement les ouvrages et leur support, quelques rangements s’étalaient sur tout le pan du mur. En détournant le regard, faisant face à l’âtre perpétuel, je vis la porte par laquelle j’avais déboulé, tout empreinte d’une sobriété qu’on s’attendait à rencontrer dans une humble cabane perdue dans les terres de Solstheim. Rien qui ne mette en évidence l’extravagance du maître des lieux, pensai-je alors. C’est alors que j’aperçus, dans l’angle qui m’était jusqu’ici resté inconnu, une rupture dans ce paysage de banalité. En effet, une sorte de scène accueillait de petites sculpture à l’aspect grotesque et en même temps fantastique, comme si le cerveau dont elles émanaient avait un rapport à l’art sensiblement différent de l’esprit humain. C’étaient un ensemble de courbes, coupées brutalement par des figures géométriques strictes aux angles affutés, tantôt s’élevant majestueusement vers le ciel, tantôt d’une mollesse extrême, façonnées dans une matière qui m’était inconnue, mais qui captivait autant qu’elle répugnait le regard selon l’éclairage, l’angle de vue, l’humeur du spectateur et certainement d’autres facteurs qui tirent leur origine dans la primalité même de l’homme.

J’en étais à examiner les objets lorsqu’une voie réjouie m’expulsa de ma contemplation.

- Ah ça y est ! Je l’ai trouvée ! Il m’aura fallu chercher derrière tout un fatras de vieilles potions pour mettre la main dessus. Un vin exotique, des frères Surilie, directement en provenance de Cyrodiil. C’est un marchand qui me l’avait vendue, c’était son dernier voyage avant qu’il ne périsse dans le naufrage de son navire. Vraiment tragique. Cet homme avait des manières très distinguées, qui charmaient avant même qu’il ne commence à parler. Ou alors elle vient de mon ancien maître. Mais qu’importe, elle est là. Voilà deux verres, un tire-bouchon, deux chaises et la table, et voici notre palais parti à l’assaut de palpitantes sensations ! Tout est parfait, il ne manque plus que vous. Allez, venez, asseyez-vous à mes côtés. Ce n’est pas si souvent que j’ai l’occasion de boire en compagnie.

J’obtempérai de bon coeur à son ordre, heureux de me rincer enfin le gosier.

Modifié par GiZeus, 21 novembre 2011 - 12:08.

Ouvre les yeux et profite du voyage

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