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[H] L'Abîme Des Gemmes


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#1 Raven Dumron

Raven Dumron

Posté 06 mars 2011 - 01:15

L'abîme des gemmes




I




A peine la porte passée, j’eus la sensation de déranger. C’était là véritablement tout l’art des dunmers, que de vous faire sentir quand vous n’êtes pas à votre place. Je soupirai. Les auberges de Vivec n’étaient donc pas ouvertes à tous ?
Résigné à devoir supporter les regards des autochtones, j’allai m’asseoir au bar, où je commandai un verre de cognac.
Je n’étais pas là depuis plus de cinq minutes que l’un des habitués vint s’installer à ma droite.

- Et d’où tu viens, l’impérial ?

- De Cyrodiil, répondis-je d’un ton neutre. Et je suis bréton.

- Ben tiens. J’me disais bien qu’ta tête me disait rien. L’en vient pas souvent, des nouveaux ici, tu sais ?

Je grommelai sans répondre. De toutes les auberges de la ville sainte, il semblait que j’avais choisi précisément l’une de celles que j’aurais dû éviter.
L’autre reprit.

- Bon, écoute, n’wah. J’vais être clair. On veut bien accueillir deux-trois étrangers ici, de temps en temps. Mais des types comme toi, qui s’ramènent  en armure de chevalier des Neufs, ça non, on en veut pas.

Je le regardai un instant, vaguement surpris. Il comprit surement ce que j’avais en tête, car il reprit :

- Ouais, j’sais c’que c’est, moi, ton armure. C’est une armure de chevalier des Neufs. Faut arrêter d’nous prendre pour des sauvages, on a entendu parler de c’que vous avez fait. Mais ici, t’es dans une ville sainte des Trois, mon p’tit gars, et les Neufs, ça nous impressionne pas. Alors tu vas gentiment partir d’ici, et tu reviendras pas avant de faire preuve de plus de respect. Ou c’est nous qui te sortons d’ici.

Le dunmer empestait l’alcool. Traiter avec lui s’annonçait compliqué.

- Ecoutez, lui-dis je, tout ce que je veux, c’est boire tranquillement mon verre, prendre un repas, puis aller me reposer. Je n’ai pas l’intention d’aller prêcher pour les Neufs, ni de critiquer les Trois. Et je ne vois pas ce qu’il y a de gênant là-dedans.

- J’m’en fiche, que tu prêches ou pas, bréton. Tout ce que je veux, c’est d’être débarrassé de ta vue. Alors j’vais compter jusqu’à dix. Si à dix, t’es pas partis, j’te préviens, ça va barder.

Il s'exécuta. Un, deux... Je ne bougeais pas, le regardant droit dans les yeux. J’étais peut-être un étranger, je n’étais pas sans savoir qu’en Morrowind, c’était le premier qui attaquait qui était coupable, aux yeux de la loi. Trois, quatre, cinq... Soudain, je me rappelai que je me trouvais à Vivec, et que les seuls représentants de la loi que l’on pouvait y trouver étaient les ordonnateurs. Je me mis à douter qu’ils donnent raison à un chevalier des Neufs. Six, sept, huit, neuf... Mais justement, j’étais un chevalier des Neufs. J’avais combattu aux côtés du divin croisé et affronté de nombreux périls, alors ce n’était surement pas un dunmer éméché qui allait me dicter ma conduite. Dix.
Le dunmer me décrocha un coup de poing au visage, que je bloquai. J’étais préparé ; je repoussai son attaque, puis sautai de mon tabouret. Trois dunmers se levèrent à leur tour, m’encerclant. Il me sembla voir nettement l’un d’entre eux sortir une dague dangereusement aiguisée. En réponse, je tirai mon épée hors du fourreau, et la tins devant moi, les menaçant silencieusement. Ils hésitèrent quelques secondes, puis celui qui avait la dague s’élança. Je parai son coup mollement, ne voulant pas le blesser, et, tandis qu’il s’approchait de moi, je lui plaquai ma main gauche sur la poitrine. Il s’arrêta soudain, paralysé. Sachant pertinemment que mon sort ne durerait pas longtemps, je lui assénai un coup de ma main gantée sur la tempe ; il s’effondra, inconscient.
Les trois autres dunmers me jetèrent des regards furieux ; et soudain, ils m’attaquèrent. Je n’eus que le temps de faucher l’air devant moi, cherchant à les tenir à l’écart. Malheureusement, ils étaient furieux pour leur ami, et à peine les eus-je fait reculer, que ceux-ci revinrent à la charge. Avant que j’ai pu faire quoi que ce soit, l’un d’eux me décrocha un violent coup de poing ; bien que protégé par mon armure, j’eus le souffle coupé, et tombai à terre. Je m’attendis à sentir un autre coup, mais celui-ci ne vint pas. Au contraire, j’entendis un bruit sourd à côté de moi. Je tournai la tête, et vit le corps d’un de mes adversaires gisant au sol, son sang se répandant tout autour de lui.
C’était le dunmer qui m’avait abordé.


II




Révulsé, je me relevai, et constatai avec surprise qu’un inconnu affrontait les deux dunmers. Sans réfléchir, je lançai un sort de paralysie à l’un d’eux ; tandis qu’il s’effondrait, inerte, mon mystérieux adjuvant profita alors du désarroi du dernier debout, et, se faufilant à travers sa garde, l'assomma d’un coup violent contre le visage. Enfin, il flanqua un coup de pied à celui que j’avais paralysé, s’assurant qu’il ne se relèverait pas de si tôt.
Un silence lourd s’abattit sur la salle comme la rixe prenait fin. Je jetai un regard autour de moi, et constatai qu’une bonne partie des clients avaient fuit ; en fait, seuls trois d’entre eux étaient toujours présents, agglutinés avec le propriétaire derrière le comptoir.
Je n’avais pas encore pleinement reprit mes esprits que je vis l’inconnu s’avancer vers moi. A sa peau bleue cendrée et ses yeux rouges, je compris qu’il était lui aussi un dunmer. Il avait un visage plutôt harmonieux, et des cheveux sombres coupés mi-longs. Son expression était pour le moins fermée, et sa voix se fit dure tandis qu’il s’adressait à moi :

- Qu’aviez-vous donc en tête ?

- Pardon ?

- Par Nérévar, on ne se promène pas à Vivec en arborant une armure de croisé !

Je fus pour le moins interloqué de subir une telle remontrance ; pour je ne sais quelle raison, je m’étais mis en tête que mon soudain allié se serait soucié de savoir comment je me portais.

- Vivec a beau être une ville sainte, il me semblait qu’elle était en territoire impérial, et donc que la liberté de culte y était respectée.

Le dunmer me jeta un regard vaguement apitoyé.

- Ah, les impériaux et leurs coutumes... Ecoutez, vous êtes en Morrowind ici, et ce n’est pas un pays où l’on peut se promener de façon aussi insouciante. Si je n’avais pas été là, ces trois-là vous auraient probablement...

Il fut interrompu par l’ouverture brutale de la porte. Trois personnes revêtues d’armures dorées entrèrent dans la pièce. À leurs masques, je reconnus des ordonnateurs.

- Que se passe-t-il ici ? demanda l’un d’eux.

- Rien, répondit le dunmer, c’est terminé. Il y a eu un malentendu, et ces trois dunmers on attaqué l’humain là-bas. Il n’a fait que se défendre.

L’un des ordonnateurs désigna le cadavre gisant à mes côtés, puis ajouta :

- Et il a tué l’un d’entre eux.

Le dunmer fit un semblant de grimace.

- Non, c’est moi.

Il ajouta quelque chose à voix basse, puis se saisit d’un rouleau de parchemin dans son sac, et le tendit aux ordonnateurs. Ces derniers observèrent un bref instant le sceau, puis le brisèrent pour lire le contenu du parchemin. Ils hochèrent la tête silencieusement, et le déchirèrent.
Ignorant la signification de cet échange entre le dunmer et les ordonnateurs, je fus stupéfait de voir ces derniers s’en aller sans plus de formalités. Quoi qu’il y ait pu y avoir sur ces papiers, cela semblait avoir complètement réglé le problème.
Je me dirigeai vers le dunmer avec la ferme intention de tirer tout cela au clair ; cependant, avant que j’ai pu dire quoi que ce soit, celui-ci m’adressa un regard de braise, puis mit son index devant sa bouche.

- Pas un mot sur tout ceci, Bréton, me dit-il. Ce qui est fait est fait, et tu n’as plus de raison de t’en soucier. Désormais, je te conseille de t’en aller, de te débarrasser de cette armure, et ensuite seulement de faire ce que tu as à faire à Vivec.

Surpris, je ne dis pas grand chose, puis acquiesçai. Le dunmer s’en alla s’en demander son reste.


III




En vérité, je n’avais presque rien à faire à Vivec ; bien que je me refusais à l’admettre, je cherchais plus à fuir Cyrodiil qu’à accomplir la quête que je m’étais donné. Je me contentais donc d’errer dans la ville sainte, découvrant avec stupéfaction les couloirs tortueux des cantons, ou encore observant les gondoliers naviguer en sifflotant entre les différents quartiers.
Je m’étais même décidé à suivre le conseil du dunmer, et, non sans un pincement au cœur, j’avais vendu mon armure. De toutes manières, avec ou sans elle, les chevaliers ne voulaient plus de moi, alors à quoi bon s’entêter à la porter ?
De fait, j’en profitai pour m’acheter des vêtements locaux, ainsi qu’une armure en chitine ; le vendeur m’avait assuré qu’elle n’attirerait pas l’œil, car courante, en Morrowind. Quoi que vaguement soupçonneux quant à sa bonne foi, je m’étais laissé convaincre par le confort et la flexibilité du matériau. Satisfait, j’étais allé ranger l’armure dans ma chambre, à l’auberge, ne gardant avec moi que mon épée.

Finalement, mes errances m’amenèrent au temple, cœur intellectuel de la cité. Plusieurs pèlerins allaient et venaient, arborant des airs émerveillés, apparemment inconscients de la surveillance étroite des ordonnateurs. Pour ma part, j’étais plus réservé, observant d’un œil critique les statues élevées à la gloire de Vivec. Bien qu'impressionnantes, leur manque d’entretien semblait refléter la décadence du Tribunal.
Je ne pus cependant m’adonner bien longtemps à mon observation détaillée, car un prêtre vint me voir, me demandant s’il pouvait m’aider. Je hochai la tête, puis lui demandai s’il pouvait m’indiquer où je prouvais trouver la bibliothèque. Loin de se contenter d’explications, celui-ci s’offrit de m’y mener, et insista jusqu’à ce que j’accepte.
C’est ainsi que je me retrouvais à déambuler dans les couloirs du temple, accompagné d’un prêtre peu loquace. Je me demandais s’il n’avait pas tant tenu à m’accompagner afin de m’empêcher de vagabonder à ma guise. Quoi que j’en pensais, cependant, je n’eus jamais de véritable réponse ; il m’emmena à l’entrée de la bibliothèque sans un mot. Je le remerciai poliment, puis entrai. Le moins que je puis dire, est que je fus impressionné par la quantité de livres entassés sur les étagères. Ce n’était certes pas les archives mystiques de l’université arcane, mais l’on en était assurément très proche.
La seule chose qui me déçu vaguement fut le nombre restreint de visiteurs que comptait la bibliothèque. J’avais du mal à concevoir l’intérêt d’autant de savoir ainsi laissé à l’abandon. Même à l’université arcane, qui était pourtant extrêmement sélective vis-à-vis de ses visiteurs, il y avait plus de curieux qui venaient manipuler les vieux grimoires.
Je haussai finalement les épaules, puis me mit à parcourir les rayonnages, sans but. Soudain, l’idée me traversa que je pourrais peut-être trouver quelqu’un d’assez érudit pour m’aider pour ma quête. Tout excité, je me mis à me renseigner auprès des différentes personnes présentes en ce lieu ; malheureusement, je me rendis vite compte que le sujet que j’essayais d’aborder ne leur plaisait guère. Ce n’est que la dernière personne, un vieux dunmer qui semblait s’occuper de remettre les livres à leur place, qui accepta de m’aider ; il m’indiqua l’adresse d’un impérial, qui, selon ses dires, pourrait peut-être m’apporter des renseignements.
Je grognais un remerciement, puis partis. Guère enchanté de devoir retraverser tout Vivec, je me décidai à employer les services d’un gondolier. L’homme que le prêtre m’avait conseillé de chercher résidant dans le quartier Hlaalu, j’eus tout loisir d’admirer à nouveau les structures de la cité avant d’être arrivé à destination.
Tout au payant son dû au gondolier, je lui demandai s’il pouvait m’indiquer comment trouver l’homme que je cherchais dans le canton. Il se révéla malheureusement incapable de me répondre clairement, et fini par m’embrouiller plus qu’autre chose. J’étais cependant parvenu à saisir qu’il valait mieux que je le cherche dans les ouvrages inférieurs ; aussi je me mis à la recherche d’un moyen d’y accéder. Après une longue errance, je finis non seulement par en trouver un, mais également par dénicher quelqu’un qui sut m’expliquer précisément où trouver cette fameuse personne. C’est donc relativement satisfait que je finis par arriver devant sa porte.
Satisfaction qui s’envola brusquement, quand j’entendis des bruits violents s’élever de derrière la-dite porte. Suivant un vieux réflexe, je dégainai mon épée, ouvris la porte, et me mis en garde.
Mon sang se figea à la vue du spectacle qui m’attendait à l’intérieur. Un homme gisait à terre, baignant dans son sang, tandis qu’une autre personne se tenait fièrement au-dessus de lui, une épée courte en main. Avec un frisson, je reconnu le dunmer qui m’avait défendu dans la taverne.


IV




Le dunmer m’observa brièvement, puis sourit sans chaleur.

- Eh bien... Les grands esprits se rencontrent.

- Par les Neufs, qu’est-ce que ça signifie ? lui demandais-je, révolté.

Il pencha la tête en arrière, visiblement calme, avant de me répondre.

- La même chose qu’hier, Bréton : ce ne sont pas vos affaires.

- Ce ne sont pas mes affaires ? répondis-je, fulminant. Préférez-vous que ce soient les affaires de la garde ?

- Et c’est ainsi que vous me remercieriez de vous avoir sauvé, hier ?

Je lui jetai un regard noir, puis désignai le corps de l’impérial :

- Et lui, vous venez de le sauver ?

L’elfe m’adressa un regard méprisant.

- Ce n’était qu’un trafiquant de skooma. Il n’y a pas de quoi en faire un tel tapage. A moins que vous ne soyez venu pour lui acheter sa marchandise ?

Le moins que l’on puisse dire est que je fus surpris. Certes, un meurtre restait un meurtre, mais je ne pouvais qu’admettre que les trafiquants de drogues était eux-mêmes responsables de nombre de morts. Je m’efforçai de me calmer.

- Non, bien entendu. On m’a juste envoyé à lui en me disant qu’il pourrait m’aider pour chercher quelqu’un. Apparemment, on avait omis certains détails à son sujet.

- En effet, répondit le dunmer en hochant la tête. Je peux m’en aller maintenant ?

J’hésitai un instant.

- Je veux bien oublier ce que j’ai vu, en souvenir de ce que vous avez fait pour moi hier ; mais à une condition.

- Dites toujours.

- Je veux savoir qui vous êtes, et qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez tuer sans vous soucier des conséquences.

Il m’adressa un regard perçant. Je sentis qu’il hésitait. Enfin, il hocha lentement la tête.

- Je m’appelle Néthyn Rendas, et je travaille à la Morag Tong, voilà tout.

- La Morag Tong ? fis-je en levant un sourcil. C’est le nom que vous donnez à la Confrérie Noire locale, n’est-ce pas ?

Néthyn resserra brusquement sa prise sur son épée, s’avança, et me jeta un regard furieux.

- Non. Et je vous déconseille de ne plus refaire cette erreur. La Morag Tong et la Confrérie Noire sont toutes les deux des guildes d’assassins, mais là s’arrête la ressemblance. Nous n’avons pas les même buts, et je peux vous assurer que nous ne nous aimons pas.

Je senti une telle haine dans la voix du dunmer que je n’insistai pas. Il sembla le comprendre, et se radoucit, avant d’ajouter :

- Et vous, chevalier, quel est votre nom ?

- Théodore Anderi.

- Drôle de nom.

Je haussai les épaules, et lui n’ajouta rien. Je réfléchissais à cette surprenante rencontre, quand tout à coup une idée étrange naquit en moi — pas le genre d’idée que je pouvais lui exposer dans un tel contexte, cependant.
Sentant qu’il était peu attentif et désireux de s’en aller, je le regardai dans les yeux et sourit.

- Puis-je vous offrir quelque chose à boire, Néthyn ?


V




Après plusieurs verres de Flin, Néthyn se révéla être plus enclin à la conversation ; et pour tout dire, je n’étais pas dans un bien meilleur état.

- Alors Anderi, me fit-il soudain, qu’est-ce qui peut bien amener un chevalier des neufs à vagabonder en Vvardenfell ?

- Oh, et bien ça fait un certain temps que je ne suis plus un chevalier des neufs. L’armure, c’était surtout parce que je n’arrivais pas à me résoudre à m’en débarrasser.

- Et c’est moi qui vous ai convaincu de le faire ? fit-il, narquois.

- J’y pensais déjà depuis un certain temps.

- Pourquoi seulement maintenant, alors ?

Je haussai les épaules.

- Simple coup de tête, j’imagine. Et pour en revenir à la première question... Je traque un nécromancien.

J’avais voulu me donner un air mystérieux, mais visiblement, j’avais un peu trop bu, car je ne parvins qu’à faire rire Néthyn.

- Ben tiens, j’aurais dû m’en douter ; le Blanc Chevalier qui pourchasse le Prince des Ténèbres ! Vous espérez réintégrer les rangs des chevaliers des Neufs, c’est ça ?

- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

- Vu comme vous étiez attaché à votre armure, je doute que vous les ayez quitté de votre plein gré.

J’opinai, surpris par sa perspicacité. Il sourit, puis reprit.

- Et donc vous vous rendiez chez un trafiquant pour obtenir son aide ? Votre nécromancien s’adonne au skooma ?

Le sarcasme m’agaça quelque peu, mais je me contins.

- Je vous ai déjà dit que j’ignorais que cet homme faisait dans le trafic de drogues. Je cherchais juste quelqu’un qui connaissait bien les planques de Vvardenfell, et c’est vers lui qu’on m’a envoyé.

- Les planques ? Ca oui, il devait les connaître... Mais celles des contrebandiers, pas des nécromanciens. Pas de chance pour vous.

Je senti que l’occasion que j’attendais était venue.

- A la réflexion, je m’estime relativement chanceux. J’imagine que la Morag Tong est engagée pour tuer des malfrats, de temps en temps, non ?

- Oui, me répondit Néthyn en levant un sourcil. Et donc ?

- Et ces malfrats se cachent dans des endroits reculés.

Il me regarda comme si mes propos étaient d’une absurdité insondable, puis sourit soudain.

- Ah, j’y suis. Vous voulez que je vous aide à trouver votre nécromancien, c’est ça ?

- Exactement.


VI




- Et pour quoi irais-je faire ça ?

Je souris, un peu ivre.

- Parce que c’est la volonté des Neufs.

Comme il fallait s’y attendre, mon assertion fit rire Néthyn.

- Ben voyons. Désolé, mais ce genre de discours, ça marchait peut-être avec vos amis chevaliers, mais moi ça ne me fait aucun effet.

- Peut importe, répondis-je, sûr de moi ; vous accepterez peut-être pour une autre raison. Mais je suis certain que notre rencontre est le fruit du destin. Regardez donc : deux fois nos chemins se croisent ; la première fois, vous me sauvez la vie, la deuxième, vous tuez le malfrat qui aurait dû être mon guide, et je vous trouve debout pile à l’endroit où j’aurais dû le rencontrer, lui. J’y vois le signe que vous avez été désigné pour me guider, et non pas lui.

L’alcool m’embrumait sans aucun doute l’esprit ; cependant, je pensais tout ce que je disais, même si cela avait l’air assez grotesque.

- Écoutez Anderi, je crois que vous me considérez un peu trop comme un pion dont vous pouvez disposer librement, et cela ne me plait pas. Alors, à moins que vous ayez une proposition sérieuse à me faire, je pense que cette conversation va s’arrêter là.

Je soupirai.

- Que voulez-vous ?

Un air amusé passa sur son visage.

- De l’argent, bien évidemment. J’ai un travail, même s’il n’est pas des plus tranquilles, et il me paie bien. Alors soit vous avez de quoi louer mes services, ce qui m’étonnerait, vu qu’ils sont cher et que vous n’êtes sommes toute qu’un chevalier déchu, soit vous abandonnez.

- Détrompez-vous, j’ai de l’argent ; je suis d’origine noble.

- Ah oui ? Alors comment se fait-il que vous ayez rejoint les chevaliers des Neufs ?

- Par idéalisme. Ca ne paie pas, d’être chevalier des Neufs. Je vous assure que si ç’avait été pour de l’argent, j’aurais plutôt rejoins la guilde des guerriers.

Néthyn me jaugea du regard. Je sentais qu’il s’efforçait d’analyser mon apparence et mon maintien à travers les brumes de son cerveau enivré.

- C’est tout bonnement invraisemblable. Néanmoins, je veux bien vous croire, à la condition que vous me payez deux mille septims d’avance.

- Et combien, une fois le travail effectué ?

Il réfléchit.

- Disons trois mille. Peut-être plus, selon la difficulté.

J’acquiesçai tout en haussant les épaules, vaguement déprimé que Néthyn ne s’intéresse qu’à l’argent. Le dunmer bailla soudain.

- Bon, et bien marché conclu. Vous n’aurez qu’à me retrouver demain, sur la place du quartier étranger, vers midi. Je serai prêt. Donnez-moi juste le nom du nécromancien.

- Aldaeril de Sombrenacre.

- Ah, oui, lui. Je me souviens avoir vu une affiche disant qu’il était recherché. Bien. Dans ce cas, à demain. Pensez à amener l’argent.

- Vous avez déjà une idée de comment le trouver ? lui demandais-je en haussant un sourcil.

- Ca, ce sont mes affaires... Au revoir, Anderi.

Sur quoi il se leva, et me laissa seul.


VII




Le lendemain matin, je retrouvai Nethyn à l’endroit convenu. Lui trouvant un regard peu enjoué, je lui lançai :

- Alors, toujours décidé à partir ?

- Bien sûr, si vous avez l’argent.

Je lui remis la bourse, qu’il soupesa. Il hocha la tête, et déclara qu’il vérifierait le compte exact plus tard.

- Bien, alors, où allons-nous ? lui demandais-je.

- Dans l’endroit le plus agréable au monde : les Terres-Cendres. J’espère que vous avez de quoi vous confectionner un turban ?

- Ce sera vraiment nécessaire ?

Il eut un rictus.

- Non, bien sûr. Pas tant que vous vous fichez de vous détruire les yeux à la première tempête de cendres venue.

- Bon, et bien alors je suppose qu’il va falloir aller en acheter...

Il me fit non de la tête.

- Pas maintenant. Pour l’instant, on se rend à Molag Mar. Vous vous débrouillerez sur place.

Et sans plus d’explications, il hissa son sac sur ses épaules, puis s’éloigna. Je le suivis précipitamment.
Nous quittâmes bien vite Vivec, et nous nous dirigeâmes vers les quais. Là, un vieux rougegarde nous attendait, non loin d’un petit bateau de pêche.

- Ah, ben t’voilà Néthyn ! fit-il. J’commençais à croire qu’t’allais pas v’nir, tiens.

Puis, m’apercevant, il ajouta :

- Hé là ! Qui c’est qu’c’lui-là ?

- T’inquiète pas, c’est moi qui l’amène. Il est calme.

Il m’observa en plissant les yeux.

- Mouais, s’tu l’dis... Alors, t’veux t’jours partir pour Molag Mar ?

Néthyn hocha la tête, puis sans attendre de réponse du vieux marin, me fit signe de monter à bord. L’homme lui-même embarqua en bougonnant, et prépara le bateau. Nous nous éloignâmes bientôt du quai, pour naviguer sur les eaux paisibles des îles ascadiennes.
C’était un beau paysage, bien que la présence des champignons géants le rendait indubitablement étrange. Ca et là, je voyais des cultures diverses, avec leurs lots de travailleurs qui les entretenaient.
Malheureusement, malgré tout l’exotisme que cette scène revêtait à mes yeux, je finis par m’en lasser ; j’essayais donc de parler à mes deux compagnons, sans succès. Néthyn ne me répondait pas, ou guère, et même alors il disait peu. Quant au rougegarde, je supposai qu’il se méfiait de moi, car il ne me répondait que par grognements.
Je croisai donc les bras et me résolus à un voyage silencieux et morose.

Le paysage changea peu à peu ; tout d’abord, nous naviguâmes entre des îles désolées, qui, d’après Néthyn, faisaient partie de la côte d’Azura, puis, vers la fin de l’après-midi, nous atteignîmes les bien tristes Terres-Cendres. Nous n’arrivâmes cependant à Molag Mar qu’alors que la nuit tombait. A ma grande surprise, je notais que la ville était construite selon le même style architectural que celui des cantons de Vivec — à l’exception qu’ici, il n’y en avait en tout et pour tout qu’un seul.

Arrivé à quais, Néthyn paya le rougegarde pour sa peine, puis nous partîmes sans un mot. Comme le dunmer se dirigeait vers l’immense structure, je compris que nous allions à nouveau passer la nuit à l’auberge.

De fait, c’est bien dans une auberge qu’il m’emmena. Nous prîmes une table, commandâmes à manger, puis Néthyn tourna son regard vers moi.

- Bon. J’espère que vous vous sentez d’attaque pour un enlèvement.


VIII




J’avais beau tendre l’oreille, je n’entendais aucun son. Pourtant, le couloir était absolument désert, exception faite de Néthyn et moi. Grâce aux neufs, il semblait que cette partie de Molag Mar n’était pas sous la surveillance des ordonnateurs ; je reportai mon attention sur la porte face à laquelle nous nous tenions.
J’avais beau ne pas être un expert en la matière, je vis que la serrure était de bonne qualité. Néthyn y introduit doucement un long objet que je supposai être un crochet à serrure, puis le remua légèrement. J’entendis des petits cliquetis dans la serrure tandis qu’il changeait le crochet de position, et en conclut qu’il arrivait au moins à faire bouger les gorges. Cependant, au bout de plusieurs minutes passées à manoeuvrer l’objet, Néthyn abandonna et se tourna vers moi.

- Vous savez lancer des sorts, n’est-ce pas ? me demanda-t-il.

- Oui, vaguement ; j’ai suivi un entrainement de magelame à la guilde des mages, avant de rejoindre les chevaliers des neufs. Pourquoi ?

- Vous connaissez un sort pour ouvrir les serrures ?

J’observai un instant la-dite serrure.

- Je pense qu’elle est trop complexe ; je n’ai jamais été très doué, en altération. Mais je vais essayer.

Je posai ma main, puis lançai le sort. Comme je m’y étais attendu, je ne parvins pas à saisir le fonctionnement du mécanisme, et dus abandonner.

- Désolé, je ne peux pas.

- Bon. Dans ce cas, pouvez-vous la fracturer ?

- Ce ne serait pas vraiment discret.

- Je veux juste savoir si vous pouvez le faire.

- Oui, bien entendu.

- Alors allez-y.

Je le regardai dans les yeux, et comprit à son regard qu’il ne voyait vraiment pas d’autre solution. Je hochai la tête, puis dégainai mon épée. Je me représentai mentalement le coup ; il valait mieux que j’y arrive sans trop d’essais. Attaquer une porte, en pleine nuit, et à coup d’épée, ne faisait surement pas partie des bruits normaux et tolérés dans les environs. Enfin, j’inspirai un grand coup, et m’élançai.
Le choc de la lame contre la serrure se répercuta douloureusement dans ton mon bras ; cependant, j’eus la satisfaction de sentir également le mécanisme céder, et la porte s’ouvrit avec fracas. Néthyn et moi nous précipitâmes à l’intérieur, sachant que le bruit que nous venions de faire ne nous laissait que peu de temps.
C’était une petite pièce, peu meublée. La partie couchette était surélevée par rapport à la partie principale, séparant l’habitation en deux semblants de pièces. Comme nous nous y étions attendu, l’argonien était en train de dormir dans son lit ; il s’était relevé brusquement, encore à moitié endormis, au son de la porte qui cédait. Avant qu’il puisse faire quoi que ce soit, Néthyn était sur lui, et l’assomma d’un coup contre la tempe. L’argonien tomba comme une pierre dans ses bras, et le dunmer le hissa sur son dos sans perdre un instant.
Cela fait, nous prîmes la fuite à travers les couloirs de Molag Mar ; à chaque croisement obscur, nous craignions de rencontrer un ordonnateur. Cependant, les neufs semblaient avoir béni notre entreprise, car nous n’en vîmes pas un seul.
Nous finîmes par trouver un endroit suffisamment paisible — une sorte d’entrepôt — et Néthyn y déposa son fardeau. Après avoir solidement ligoté notre prisonnier, j’interpellai le dunmer.

- Vous êtes vraiment sûr qu’il sait quelque chose sur Aldaeril ?

Il soupira.

- Laissez-moi vous le répéter une dernière fois : cet argonien a déjà été surpris de nombreuses fois à trainer dans les tombaux des environs ; et à plusieurs reprises ces derniers mois, des corps ont disparus. Certes, il n’a jamais été pris en train de déplacer des corps, mais je suis certain que c’est lui qui approvisionne votre nécromancien. Aldaeril se trouve dans les environs, selon les rumeurs. C’est donc le seul moyen dont il dispose ; avec la prime qu’il a sur sa tête, aller exhumer lui-même les cadavres reviendrait au suicide...

- Mais ce ne sont jamais que des suppositions.

- Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas du genre à prendre des risques inutiles.

Je m’apprêtais à lui faire remarque qu’il avait un peu trop confiance en lui, quand je fus interrompu par un râle. L’argonien était en train de revenir à lui.


                                  

IX




Je fis signe à Néthyn de me laisser faire. L’argonien était agité ; dès qu’il eut reprit ses esprits, il se mit à siffler et à s’entortiller, espérant se libérer. Je priai Dibella de m’aider, puis plaquai ma main contre le torse de l’argonien, et lui lançai un sort d’apaisement.

- Du calme, mon ami.

Il s’arrêta de gigoter, puis m’observa d’un oeil soupçonneux.

- Qui êtes-vous ?

Je souris, puis posai ma main sur son épaule. Il ne senti pas même l’envoutement prendre effet.

- Comme je vous le disais à l’instant, fis-je, nous sommes des amis. Je suis désolé que nous ayons dû vous déplacer ainsi, mais vous étiez en danger ; des ordonnateurs étaient à vos trousses, et si nous avions prit le temps de vous expliquer, il est probable qu’ils nous auraient rattrapés avant que nous n’ayons pu filer. C’est pourquoi nous avons agis dans l’urgence.

Je senti une certaine indécision en lui. Finalement, et à mon grand soulagement, il fit signe qu’il me croyait. Le charme fonctionnait.

- Cependant, je ne vous cacherai pas que nous ne sommes pas ici que pour vous protéger des ordonnateurs, repris-je. Nous devons vous délivrer une information de la part d’Aldaeril.

- Aldaeril ?

- Allons, pas la peine de vous braquer. Nous aussi, nous travaillions pour lui.

Le moment décisif était arrivé. Si son charme marchait — et si le Dunmer ne s'était pas trompé dans son raisonnement — c'était maintenant qu'ils devaient guetter un aveu de l'argonien.
Celui-ci resta muet un instant, avant de finalement articuler :

- Ainsi... vous aussi ?

Je sentis une vague de soulagement s'immiscer en moi. Néthyn avait donc raison.

- Bien entendu, répondis-je en souriant. Mais avant toutes choses, dites-moi : où et quand pensez-vous devoir le rencontrer, la prochaine fois ?

- Dans la ruine de Zaintiraris, après-demain midi, pourquoi ?

- C’est bien ce qu’il pensait. Il y a eu un changement de programme qui aurait dû vous être communiqué, mais visiblement, le message s’est perdu en route. Il s’inquiétait que vous n’ayez pas répondu, et nous a donc envoyé. En fait, je pense que c’est à cause de ce message, que les ordonnateurs sont après vous. Ecoutez maintenant : vous n’avez rendez-vous que dans une semaine, et à Sheogorad. Allez à Dagon Fell, prenez une chambre dans une auberge, et vous y recevrez un nouveau message d’Aldaeril vous indiquant où le trouver. Je vous conseille de ne pas perdre un instant ; avec les ordonnateurs à vos trousses, il n’est pas prudent de rester à Molag Mar plus longtemps.

L’argonien regarda dans toutes les directions, comme s’il cherchait une aide invisible.

- D’accord, déclara-t-il finalement. Laissez-moi juste retourner chez moi, que j’aille chercher de quoi préparer le voyage, et je pars...

- Sûrement pas ! Les ordonnateurs s’y attendront certainement, vu que votre habitation est encore remplie de vos affaires. S’il y a un endroit à éviter, c’est bien celui-là. A moins que vous ne préfériez passer le restant de votre vie en prison pour trafic de cadavres ?

- Mais je n’ai même pas de quoi me payer le voyage !

Je le regardai un bref instant sans réagir.

- Excusez-moi. J’allais oublier. Aldaeril a également prévu une petite somme pour vous aider à prendre ce nouveau départ. C’est un présent généreux, alors ne le perdez pas.

Sur quoi je fouillai dans mon petit sac, et en sortit une bourse d’une centaine de septims. L’argonien me remercia grandement, puis se remit sur ses jambes, et s’enfuit. Il était visiblement terrorisé.
Lorsque nous fûmes certains qu’il était loin, Néthyn m’adressa la parole, un sourire presque narquois aux lèvres.

- Et bien, je ne savais pas qu’on apprenait aux chevaliers des neufs à mentir aussi bien... En revanche, j’avoue être surpris de la somme que vous lui avez offerte. Des remords ?

Je haussai les épaules, et, sans répondre, me laissai aller à mes réflexions. Les ruines de Zaintiraris... Il ne nous restait plus qu’à découvrir où elles pouvaient bien se trouver. Aldaeril était maintenant si proche...


X




Les ruines se révélèrent finalement assez facile à localiser ; Zaintiraris se trouvait au sud de Molag Mar, et était assez connue par les citadins. On nous mit cependant vivement en garde, nous affirmant que c’était un lieu de culte pour les fidèles de Shéogorath.
C’est donc avec une grande précaution que nous abordâmes l’édifice de pierre sombre ; d’autant plus que nous étions en plein milieu d’une après-midi particulièrement lumineuse.
Pourtant, nous nous rendîmes vite compte que la ruine était déserte.

- Si vraiment il y a eu des adorateurs de daedra ici, fit Néthyn, ça fait longtemps qu’ils sont partis.

- On dirait bien, oui. Mais ça ne nous empêche pas d’être prudents. Allons vérifier qu’il n’y a personne à l’intérieur, voulez-vous ?

Néthyn grogna quelque chose que je supposai être l’expression de son accord. Nous traversâmes donc les ruines, pour nous arrêter devant la porte des souterrains. Le mécanisme m’étant totalement inconnu, je laissai mon compagnon dunmer s’en charger. En deux temps, trois mouvements, l’affaire fut réglée, et nous pûmes ouvrir la porte.

A l’intérieur, tout était humide, sombre, et inquiétant. Nos ombres s’étiraient de façon démesurée, semblable à des créatures venues de nos pires cauchemars ; les murs, de part leurs arrêtes extrêmement aigües et nombreuses, nous évoquaient des lames dirigées vers nous, nous menaçant à chaque pas ; quant à l’immense statue de Shéogorath, que nous trouvâmes dans la salle principale, son expression démente était renforcée par le vacillement de la lueur de nos torches, à tel point que j’en baissai aussitôt les yeux, priant les Neufs de me garder de Sa folie.
Il me sembla entendre Néthyn murmurer quelque chose, mais je n’osai lui demander ce qu’il avait dit, oppressé par l’atmosphère du lieu. Pourtant, je savais que nous allions encore devoir la supporter longtemps ; mais je me sentis tout bonnement incapable d’adresser la parole au dunmer dans ce moment de confusion.

Nous restâmes donc ainsi, muets, jusqu’à ce qu’enfin l’elfe brise le silence.

- Bon, et bien il semblerait qu’il n’y ait personne ici. Il ne nous reste plus qu’à nous installer.

- Nous installer ? fis-je, réticent.

- Ca ne me plaît pas non plus, mais ça me parait nécessaire. Dehors, nous serions vulnérables, et aurions beaucoup de mal à nous cacher. Ici en revanche, cela ne devrait pas être difficile, et grâce à la résonance des lieux, il sera difficile de nous prendre par surprise.

Je hochai la tête à contrecoeur.

- Bien. Allons poser nos affaires, alors.

Et nous le fîmes. Peu à peu, je m’habituai à la noirceur des lieux, à cette sensation d’étouffement, et je finis presque par trouver notre situation tolérable. Je ne manquai cependant pas de me rappeler que notre calvaire allait encore durer une journée, le rendez-vous n’étant fixé qu’au lendemain.

- Eh bien Anderi, vous ne dites rien ?

Je me tournai vers Néthyn.

- Que voudriez-vous que je vous raconte ?

- Je ne sais pas, quelque chose pour nous occuper. Il n’y a rien de digne d’être narré, dans votre vie de chevalier ?

- Pas vraiment. Je pourrais bien vous parler de nos croisades, mais au fond, je doute que cela vous intéresse. Quant à moi, ma foi, je n’ai pas grand-chose à raconter ; je ne suis qu’un homme d’idéaux, et, somme toute, ma vie n’est qu’une longue suite d’échecs.

- Vraiment ?

- Laissez tombez, Néthyn. Ca n’en vaut pas la peine.

Sur quoi je m’éloignai, et entrepris d’explorer les recoins du sanctuaire. Comme celui-ci n’était pas vraiment grand, je me demandai quelle était son histoire, et restait ainsi un moment, méditatif. Finalement las de mes réflexions inutiles, je me décidai à rejoindre Néthyn, quand je me rendis compte que quelque chose clochait. Je n’entendais plus le dunmer.

Soudain, alors que je commençai à dégainer mon épée, je reçu un violent coup sur la tête. Pendant un infime instant, tout ne fut que douleur, puis je perdis connaissance.


XI



La première chose que je sentis en me réveillant, fut le contact froid du dallage contre ma joue. Je regardai autour de moi, pour constater que j’étais toujours dans les souterrains du sanctuaire ; cependant, l’endroit précis dans lequel je me trouvai ne me disait rien. C’était une petite pièce vide, dotée d’une seule porte.
Je tentai de me relever, mais fus arrêté par de violent maux de tête. Je me contentai donc de me mettre péniblement assis, et restai ainsi un moment. Tandis que je reprenais mes esprits, j’essayai de comprendre ce qu’il s’était passé. Je me souvenais de l’absence de Néthyn, puis une douleur terrible à l’arrière du crâne. J’avais donc été attaqué dans le dos ; mais par qui ? Aldaeril ? Cela me paru peu probable, l’elfe n’étant censé venir au sanctuaire que le lendemain seulement de notre arrivé. Néthyn ? J’osai espérer que non. Et d’ailleurs, pour quelle raison aurait-il fait cela ? Il était donc probable que j’ai été attaqué par une tierce personne.
Je soupirai ; cette quête prenait une allure terriblement compliquée. Je me mis lentement sur mes deux jambes, puis avançai jusqu’à la porte, et tentai de l’ouvrir. Sans réelle surprise, je m’aperçus qu’elle était verrouillée. Je sentis le dépit m’envahir.
Soudain, je réalisai que je ne portai plus d’armure, ni d’arme. En jetant un bref coup d’oeil autour de moi, je vis que je ne les trouverai pas ici. D’autant plus déprimé, je me laissai retomber le long de la porte, et restai ainsi un moment, essayant de percevoir des bruits de l’autre côté. Malheureusement, mon entreprise semblait veine, et je finis par m’endormir.

Je fus cependant réveillé par un bruit de cliquetis juste derrière mon oreille. J’eus un rapide mouvement de recul, puis observai la porte, encore brumeux. En vérité, le cliquetis semblait provenir de la serrure. J’étais seulement en train de comprendre que quelqu’un crochetait la serrure, quand la porte s’ouvrit.

- Ah, vous voilà ! me fit la silhouette qui se tenait de l’autre côté. Je commençai à ne plus y croire.

Avec un grand soulagement, je reconnus soudain Néthyn.

- Par les neufs, ça fait plaisir de vous revoir, répondis-je. Savez-vous où nous sommes ?

- Toujours à Zaintiraris, je suppose. Comment voudriez-vous que je le sache ? Moi aussi, je me suis réveillé prisonnier.

- J’espérais justement que non... Mais comment avez-vous fait pour vous évader, dans ce cas ?

Néthyn sourit, visiblement assez satisfait de lui-même.

- J’ai toujours un crochet bien caché sur moi, pour ce genre de situation. Il semblerait que notre hôte ait eu la délicatesse de ne pas me fouiller de façon trop poussive.

Je souris moi aussi. Visiblement, les dieux ne nous avaient pas totalement abandonnés.

- Bon, et bien il ne nous reste plus qu’à trouver la sortie, fis-je.

Néthyn acquiesça, puis me tendit une main pour m’aider à me relever. Je la saisis. Nous éloignâmes aussitôt de ma cellule.

- Pensez-vous qu’Aldaeril se terre ici ? fis-je à Néthyn tout en marchant.

- Oui, je pense bien... Ca expliquerait pourquoi il était au rendez-vous en avance ; il a dû remarquer notre arrivé.

Je ne répondis pas. Nous venions d’arriver à une intersection ; Néthyn m’indiqua par où il était venu, et vers où il estimait que la sortie se trouvait. Nous suivîmes donc ce couloir.

Ces galeries était étonnamment vastes ; de toutes évidences, il fut un temps où elles servaient de refuge pour des fidèles qui avaient tout intérêt à disparaître. De fait, nous éprouvions beaucoup de difficulté à nous y orienter, et un certain désespoir recommençait à s’insinuer en moi, quand soudain nous arrivâmes face à un escalier ascendant, au bout duquel nous pouvions apercevoir une porte. Je perçu un sourire fugace sur les lèvres de Néthyn, qui sortit son crochet.

- Halte ! hurla une voix dans notre dos.

Nous nous retournâmes brusquement, pour faire face à un altmer aux airs furieux.

- Vous restez, reprit-il. Je ne me suis pas donné tout ce mal à vous traîner jusqu’ici pour que vous partiez quand cela vous chante.

Sans répondre, Néthyn m’adressa un bref signe de tête, puis chargea. Espérant comprendre ses intentions, je jetai un sort de silence à l’altmer. Surpris, celui-ci fit un bond pour l’éviter, oubliant qu’il était également la cible d’une attaque physique. Néthyn ne rata pas l’occasion, et décrocha un coup de poing dans le ventre de l’altmer, qui tomba à terre. L’assassin s’apprêtait à lui décocher un coup de pied, quand son adversaire lui lança un sort de contact. Instantanément, Néthyn se figea, puis tomba à la renverse.

Réalisant que je devais agir vite, je tentai de lancer un sort de foudre à l’altmer ; à mon grand damne, j’étais trop nerveux, et mon sort se dissipa avant même que je n’ai véritablement réussi à le lancer. Ce fut ma dernière erreur. Mon adversaire se releva rapidement, et me lança un sort de paralysie. Je parvins in extremis à m’écarter, et me crus tiré d’affaire ; du moins, jusqu’à ce que j’entende le bruit de la déflagration dans mon dos. Avant même que je n’ai pu songer à faire quoi que ce soit, je sentis le sort me frapper dans les omoplates. Mon corps devint brutalement rigide comme un roc, et je tombai face contre terre.


XII




L’altmer avait finalement substitué des liens matériels à ses sorts de paralysie. Je n’y trouvai cependant aucune amélioration ; ils étaient maintenus si serrés que je ne parvins pas même à me relever et m’asseoir. Et tandis que je restai ainsi, étendu sur le sol, incapable de bouger, je le vis soulever Néthyn, lui aussi attaché, puis l’emporter.
Pendant un long moment, je me demandai ce qu’il pouvait être en train de faire à mon compagnon d’infortune. Je ne pus m’empêcher d’imaginer les pires choses qui soient, et plusieurs fois, la vision du dunmer baignant dans son sang m’apparut. Le supplice cessa cependant, remplacé par une vague d’inquiétude, à l’approche de bruits de pas. C’était le haut-elfe qui revenait, une corde à la main.
Sans un mot, il accrocha celle-ci à mes liens. Comme je m’apprêtai à ouvrir la bouche, il me lança froidement un sort de silence. Aussitôt, j’eus la sensation de ne plus avoir de mâchoire, et je devins incapable d’articuler quoi que ce soit. Satisfait, l’altmer me tourna le dos, passa la corde par-dessus son épaule, puis se mit à avancer ; visiblement, il redoutait que je puisse tenter quoi que ce soit, et plutôt que de desserrer mes liens pour pouvoir marcher, il préférait me tirer derrière lui.
C’est donc muet et captif que je fus trainé sur le pavé rêche du sanctuaire. Je mourrai d’envie de le supplier d’arrêter, de me laisser au moins marcher dignement, mais en vain ; il renouvelait son illusion régulièrement. Je dus donc faire de mon mieux pour supporter la cruelle morsure de la roche durant toute la longueur du trajet, blessé aussi bien dans ma chair que dans ma fierté.
Enfin, il fit une brève pose pour ouvrir une porte, puis m’emmena jusqu’à un tapis, où il finit par me lâcher. Il s’éloigna pendant quelques secondes, et je remerciai les neufs pour cet inespéré répit.
Cependant, celui-ci ne fut que de courte durée, car il revint presque aussitôt, et me força à me mettre à plat-ventre ; après quoi je le sentis me passer un bracelet au poignet, et brusquement, une sensation de néant m’envahit. L’objet me vidait de ma magie.
L’altmer dut le sentir, car, quand il me retourna, il affichait un sourire satisfait.

- Bien. Maintenant que tout cela est fait, j’aimerais vous présenter mes excuses, me fit-il. Je me nomme Aldaeril — mais je pense que vous devez déjà le savoir, puisque visiblement, vous étiez à ma recherche. D’ailleurs, vous n’auriez pas une idée de ce qu’il est arrivé à l’argonien qui devait me rendre visite aujourd’hui ?

L’argonien qui devait lui rendre visite aujourd’hui... Cela faisait donc déjà une journée que j’étais enfermé ici. Je grognais de dépit, et ce faisant, réalisai soudain que le sort de silence avait prit fin.

- Oh, pardon, reprit Aldaeril. J’ai oublié de vous soigner. Ne bougez pas.

Il posa une main sur mon front, et je senti une vague de bien-être s’insinuer en moi ; les blessures qu’il m’avait fait en me trainant contre le sol se résorbaient.

- Pourquoi me soignez-vous ? fis-je, méfiant.

Il haussa un sourcil, puis sourit.

- Ah, c’est vrai. J’imagine que vous me voyez comme un méchant profanateur de tombes ? Vous pensez que tout ce que j’aime, c’est les cadavres, et que la seule idée que j’ai en tête, c’est de les soumettre à ma volonté, n’est-ce pas ? C’est aussi ce que je pensais des nécromanciens, avant d’être forcé à en devenir un, voyez-vous.

Comme je ne répondais pas, il continua.

- Vous ne me faites pas confiance. C’est normal. Il est vrai que je ne vous ai pas demandé d’autorisation pour vous enfermer ici. D’un autre côté, vu les circonstances, on ne peut pas dire que j’avais le choix.

- Les circonstances ? répétai-je simplement.

Un air furieux passa sur son visage.

- Allons, ne faites pas l’idiot. Vous êtes ici pour me tuer, et je le sais. Qui plus est, il semblerait que vous ayez réussi à trouver où je donne rendez-vous à mes associés pour qu’ils m’apportent ce dont j’ai besoin. Admettez que dans ces conditions, je ne pouvais guère vous laisser aller librement.

Une nouvelle fois, je ne dis rien.

- Ainsi, vous persistez dans le silence. Bien. Allons droit au but, dans ce cas, sans quoi je sens que je vais finir par vous mettre le feu. J’ai vu que vous savez lancer des sorts. Se peut-il que vous fassiez parti de la guilde des mages ? Est-ce que c’est l’université arcane qui vous envoie ?

Je compris soudain pourquoi il n’avait prit la peine de n'amener que moi dans cette pièce ; ma capacité à lancer des sorts semblait m’accorder une certaine valeur. Il ne tenait plus qu’à moi d’en tirer avantage.

- Oui, et donc ?

Aldaeril se fendit d’un sourire particulièrement large.

- Rien. Rien, pour le moment. Attendez ici.

Et il quitta la pièce.


VIII




Pendant la brève absence d’Aldaeril, je me demandai dans quel pétrin je nous avais fourré. Aucun élément ne semblait montrer que tout ceci pourrait avoir une issue qui nous soit favorable. Et le pire était que j’avais entrainé quelqu’un d’autre dans ma chute ; Néthyn n’était peut-être pas quelqu’un d’innocent, certes, mais il ne méritait pas la mort pour autant.
Et j’avais eu le fol orgueil de croire que les neufs guidaient nos pas !
Les neufs n’avaient rien à voir avec tout ce qui étaient en train de nous arriver ; cela m’apparut comme étant d’une terrifiante clarté, alors.
Je me renfermai sur moi-même, maudissant ma stupide quête de rédemption. Comme si réintégrer les rangs des chevaliers des neufs valait réellement tous ces efforts. Nul doute qu’ils m’avaient déjà remplacé, qui plus est.
Quel abruti je faisais.

Cet instant d’auto-flagellation cessa cependant, comme Aldaeril revint, un étrange bâton en main. Au début, je ne compris pas quelle était la chose ovale qui se trouvait à son extrémité ; puis, comme l’altmer s’approchait, je réalisai que c’était un crâne, enserré par plusieurs mains squelettiques.

- Savez-vous comment il fonctionne ? me demanda Aldaeril en me mettant le bâton sous les yeux.

- Pardon ?

- Avez-vous déjà parlé au nouvel archimage ?

- Le successeur de Traven ? Non, désolé. Il vit très isolé, et je n’étais pas d’assez haut rang pour mériter son attention.

- Et vous n’avez pas la moindre idée de comment utiliser correctement ce bâton ? insista-t-il. Pas la moindre ?

- Je n’avais jamais vu ce bâton avant aujourd’hui.

Aldaeril soupira.

- Oui, c’est précisément ce qui rend la guilde des mages si détestable. Elle pille ce qu’il y a de mieux chez les autres, et elle garde tout pour quelques rares privilégiés en son sein. Et qu’en est-il des autres membres ? Condamnés à l’ignorance, et à des recherches aussi futiles que vaines.

- Vous avez l’air de bien la connaître.

- Oh oui, sourit-il. J’ai été à la fois son ennemi et son allié, voyez-vous. Un temps je fus membre de la guilde. Cependant, j’ai fini par en percevoir les limites, et c’est pourquoi j’ai rejoins l’ordre du Vers Noir. Au moins, Mannimarco, lui, partageait avec les siens.

- Mais si vous connaissez si bien notre guilde, alors vous devez savoir que personne parmi les simples apprentis n’a accès à de pareils artefacts.

- Excusez-moi, me fit-il froidement, mais j’ose espérer que ce n’est pas un étudiant de pacotille, qu’ils ont envoyé pour me traquer. Oh, et d’ailleurs, que vous ont-ils dit ? Vous ont-ils affirmé que j’étais le mal incarné, et qu’en aucun cas je ne pouvais vivre ? Ou ont-ils évoqué la vraie raison ?

- Je sais juste que vous êtes un dangereux nécromancien.

- Voilà qui les arrangerait bien. Désolé de vous décevoir, mais la réalité est tout autre. Ouvrez bien vos oreilles, je vais vous dire ce que je suis vraiment, moi le ténébreux et Ô combien affreux nécromancien !


XIV




- Comme vous, je suppose, j’ai grandi bercé par les histoires de braves chevaliers et de belles demoiselles. Mon père avait une petite échoppe, à Skingrad, qu’il espérait que je reprendrai lorsqu’il vieillirait. Cependant, en grandissant, j’ai voulu exploiter le talent inné de ma race pour la magie. Naturellement, je me suis tourné vers la guilde des mages. C’est là que j’ai commencé à développer mon potentiel. J’y ai également fait la rencontre d’une jeune altmer très douce, répondant au nom d’Indoline. Je vous épargnerai les détails, et vous dirai juste que nous sommes tous deux tombés amoureux l’un de l’autre, et plus tard, nous nous sommes mariés. Nous vivions ensemble depuis presque vingt ans, quand il y eut un accident.

J’écoutai son récit sans dire mot. A la fluidité avec laquelle il le narrait, je devinai qu’il avait déjà dû se le répéter des centaines de fois, visiblement dans l’espoir qu’un jour il puisse être entendu.

- C’était il y a cinq ans maintenant. Comme n’importe quel autre mage, je voulais apprendre l’art de l’invocation. Je savais que c’était une discipline dangereuse ; mais arrogant comme je l’étais, j’imaginais déjà le daedra se soumettre à moi. Evidement, ce ne fut guère le cas, et j’en perdis le contrôle. C’aurait pu n’avoir que peu de conséquences. Mais malheureusement, le daedra dont j’ai perdu le contrôle n’était rien de moins qu’un daedroth... J’ai réussi à sauver ma misérable peau, mais pas ma douce Indoline.

L’amertume perçait dans sa voix ; j’en aurai presque eu pitié, s’il ne me maintenait pas captif.

- Je m’en suis longtemps voulu ; plusieurs fois, j’ai songé au suicide, terriblement lucide quant à la vie terne qu’il me restait à vivre. Mais je n’en avais pas la force... Alors j’ai songé à autre chose. J’ai voulu me renseigner auprès de mes collègues mages, pour savoir s’ils savaient comment ramener un être à la vie. Tout ce que j’ai obtenu, c’était leur silence et leur méfiance ; car bien entendu, à l’époque, Traven était déjà archimage, et sa politique de répression de la nécromancie était en plein essort. Même ceux que je croyais être mes meilleurs amis ne voulurent m’aider. Alors, naturellement, j’ai commencé à chercher les nécromanciens, seul. J’étais dégouté de moi-même, sachant que la nécromancie était un art noir. Mais je pouvais essayer aussi fort que je voulais de me retenir, je finissais toujours par céder à cette partie de moi qui ne voulait se résigner à laisser Indoline morte. Et un jour, la chance m’a sourit.

Il sourit lui-même.

- Bien qu’elle ait été méfiante sur mon compte de longs mois, la guilde des mages a fini par considérer que j’avais abandonné mon idée. Je m’étais en effet tenu tranquille, du moins en apparence, et n’avais plus posé la moindre question. Or la guilde des mages est, pour ainsi dire, naïve. Pas au sens où l’on peut l’entendre couramment, qui veut plus ou moins dire « idiot », mais au sens où elle est constituée de gens qui aspirent à des buts si intellectuels, qu’ils en oublient la puissance des affects. Ils ont donc cru que j’avais oublié Indoline et mon désir de la faire revenir à la vie, et l’on m’a confié la mission d’aller mettre fin aux exactions d’un nécromancien qui sévissait dans la région de Bruma. Naturellement, j’ai sauté sur l’occasion. Le trouver ne fut cependant pas chose facile ; les gens là-bas craignaient bien plus une ombre qu’un être, car peu d’entre eux ne l’avaient ne serait-ce qu’aperçu. Un jour cependant, alors que j’explorais les environs de la ville, je tombai sur un voyageur agonisant dans un fourré. Alors que je le soignai, je lui demandai ce qui l’avait mis dans cet état ; il me répondit qu’alors qu’il prenait abri du blizzard dans une grotte, il s’était fait attaquer par des dizaine de morts-vivants. Il avait réussi à s’échapper, mais était déjà grièvement blessé. Sentant que ce serait peut être ma seule chance, je lui demandai où se trouvait la grotte, puis me résolu à l’achever. Je ne voulais pas risquer que qui que ce soit d’autre ne sache où elle se trouvait.

Je fus interloqué par la froideur avec laquelle il m’avoua son crime. Cela me rappela que malgré son apparente politesse, il n’en restait pas moins un nécromancien recherché.

- Je l’ai donc laissé là, puis m’en suis allé. Dans la caverne, je trouvai un groupe de nécromanciens, auquel je me rendis, affirmant appartenir à la guilde des mages et vouloir rencontrer leur maître. Comme vous vous en doutez peut-être, il s’agissait de Mannimarco ; bien qu’il se méfia de moi, je parvins à le convaincre de la sincérité de mes motivations. Il décida donc de m’engager en temps qu’espion, en échange de quoi il promit de m’aider à ramener Indoline à la vie. Vous connaissez la suite : Traven se donna la mort, et le nouvel archimage assassina Mannimarco et les siens. Pour ma part, je restai à la guilde jusqu’à ce que j’eus l’occasion de dérober ce bâton, et m’enfuis. Depuis lors, j’ai cette prime ridicule sur ma tête, accusé de nombres de crimes que je n’ai pas commis, tout ça pour que la guilde puisse le récupérer.


XV





Je l’observai, hésitant.

- Vous voulez dire que la guilde s’est arrangée pour vous faire rechercher sous de faux motifs ?

- Bien entendu. La guilde des mages n’est pas la sainte organisation qu’elle veut paraître en faisant la guerre aux nécromanciens. Comme toute guilde, elle a des pourris dans ses rangs. La différence avec les autres, c’est que la guilde des mages, elle, a toujours eu de bons contacts.

- Peut-être, fis-je, mais ce bâton est-il vraiment si anodin ?

Il sourit.

- Non, bien sûr ; c’était avec lui que Mannimarco rendait la vie aux morts. Le problème est qu’entre mes mains, cela n’a jamais marché plus de quelques minutes. Vous rendez-vous compte ? Quelques minutes ! A chaque fois, j’ai cet espoir de voir le cobaye se réanimer définitivement, et à chaque fois, il finit par s’effondrer, inerte.

Sa voix faiblit momentanément.

- Mais peut importe, reprit-il ; une nouvelle chance m’est offerte, et je ne compte pas la rater. Car voyez-vous, c’est bien la première fois qu’un mage s’aventure jusque dans mon repère. Qui sait ? ce sont peut-être les dieux qui vous ont amené jusqu’à moi.

Je me sentis soudain mal à l’aise. Les dieux ? Impossible.

- Qu’attendez-vous de moi ? lui demandai-je sur un ton de défi.

- Simplement que vous m’aidiez à trouver comment utiliser ce bâton, rien de plus. Inutile de préciser qu’en cas de succès, je vous libérerai.

« Inutile de préciser non plus qu’en cas d’échec, il me tuera », pensai-je.

- Et Néthyn ? fis-je. Allez-vous aussi libérer l’elfe noir qui m’accompagnait ?

- J’ai d’autres projets, le concernant. Cependant, si nous parvenons à tout mener à bien, alors je le libérerai.

- Vivant ?

- Cela va de soi.

Je l’observai longuement ; je ne pouvais nier qu’il avait une raison honorable de vouloir faire fonctionner l’artefact. Aimer autant un être par-delà la mort n’était vraiment pas chose commune. Cependant, pour autant respectables que soient ses intentions, ses méthodes restaient critiquables. Et c’était à moi de décider si je voulais bien l’aider, ou si je devais nous sacrifier...
Je réfléchis au désir de Néthyn. S’il était là, que dirait-il ?
« Il préférerait largement collaborer. »
Mais Néthyn n’était pas vraiment du genre idéaliste ; il répondrait ainsi simplement afin d’avoir une chance de s’en tirer vivant. Toute la question était donc de savoir si oui ou non, je jugeais recevable d’aider Aldaeril à déranger des morts pour sauver une personne chère à son coeur.

J’inspirait profondément, puis plantai mon regard dans celui du nécromancien. Ses yeux brûlaient d’un feu terrible, mais il ne disait rien — tout comme moi. Nous étions comme deux fauves l’un face à l’autre, hésitant sur qui allait bondir le premier.
Ce fut finalement moi qui cédai ; je détournai le regard, puis lâchai ma réponse à mi-voix.

- C’est d’accord. Je vais essayer de vous aider.

Je n’eu nullement besoin de le voir pour sentir son sourire satisfait.


XVI




Aldaeril revint me chercher dans ma cellule un long moment après — une heure, selon mes estimations. Il se montra polis et courtois, et s’excusa de l’inconfort de la pièce qui m’avait été assignée, tout en précisant qu’aucune salle n’était véritablement confortable, dans ces souterrains. Il me fit traverser plusieurs couloirs — et de fait, je fus à nouveau surpris par l’étendue des galeries — avant de m’amener finalement dans la pièce qui semblait avoir été aménagée pour ses travaux. C’était une salle de bonne taille, au centre de laquelle une stèle où, à mon grand désarroi, se trouvait allongé un corps. J’ignorais pourquoi, j’avais beau savoir ce que j’allais devoir faire, je ne me sentais pas prêt à devoir manipuler les morts. Par ailleurs, je notais plusieurs traces de sang, un peu partout dans la salle.

- Bien, me fit Aldaeril. Laissez-moi d’abord vous montrer les pouvoirs de l’objet.

Je hochai la tête avec réticence. Aussitôt, il éleva le bâton, et le dirigea vers le cadavre. Un trait d’énergie noir partit droit dessus, pour l’envelopper ; pendant un instant, je ne le vis plus, tant il était masqué par la brume sombre. Puis celle-ci s’estompa, et le corps réapparut — immobile.

- Ca n’a pas marché ?

- Attendez.

Je reportai donc mon attention sur son cobaye.
Soudain, celui-ci bougea. Ce ne fut d’abord qu’un vague frémissement, puis une jambe qui se plia, et enfin tout le corps qui se leva. Bientôt, il fut sur pied, l’air hagard, cherchant visiblement à comprendre où il se trouvait.
Comme je n’osai rien dire, stupéfait par ce que j’avais sous les yeux, ce fut Aldaeril qui s’adressa à lui.

- Ne vous inquiétez pas, lui dit-il. Vous êtes en sécurité ; je vous ai trouvé, inconscient, et vous ai amené ici pour vous soigner.

- Quoi ? répondit l’être d’une voix pâteuse. Qui êtes-vous ? Pourquoi suis-je ici ?

Il avait apparemment non seulement du mal à raisonner, mais sa motricité semblait également réduite ; il s’avança vers nous en chancelant, et avant d’avoir fait la moitié du chemin, tomba à genoux. Réalisant sans doute sa propre impuissance, il se mit à geindre.
Aldaeril, visiblement sensible à ce spectacle, l’aida à se relever.

- N’ayez crainte, ce sera bientôt fini...

Pour ma part, je n’osai rien dire ni faire. J’avais déjà rencontré des morts-vivants, au cours de mes croisades — et les Neufs soient loués, j’avais toujours su garder mon sang-froid face à eux. Généralement, j’attribuai cela à ma foi. Mais en là, en cet instant, je  me rendis compte que cela n’avait rien à voir avec la foi. Les morts-vivants étaient des abominations, et n’importe qui était capable de se rendre compte que la seule chose qu’il convenait de faire avec elles, était de leur offrir le repos éternel. Cependant, la vue de cet être ressuscité — qui pourtant, ne différait sur le principe que peu des cadavres ambulants — me mit infiniment plus à l’épreuve. Face à lui, j’étais incapable de savoir quoi faire, malgré tous les préceptes qui me disaient que les morts devait avoir droit au repos. Face à lui, je réalisai qu’il y avait certaines choses en ce bas monde qui semblaient échapper aux lois des Neufs.
Cependant, mon esprit fut soulagé de cette fracture spirituelle, car bientôt, l’être retomba au sol, complètement désarticulé. Aussi soudainement qu’il était revenu à la vie, il avait de nouveau glissé dans l’Aetherius.

Aldaeril tourna des yeux brillants vers moi.

- Est-ce plus clair pour vous, maintenant ?

Lentement, je hochai la tête. Effectivement, je commençai à comprendre.


XVII




Je mentirais en disant qu’à partir de ce moment-là, je travaillai d’arrache-pied. Cependant, je pouvais désormais mesurer la sincérité des propos d’Aldaeril, et il m’était impossible de nier que son but restait noble, malgré les moyens qu’il employait pour parvenir à ses fins. Aussi une petite partie de moi-même espérait secrètement parvenir à trouver la solution, non pas pour que Néthyn et moi soyons sauvés, mais pour ramener à la vie cette Indoline.
Malheureusement, le bâton s’avéra être un puzzle complexe. J’aurais pu m’en douter ; je n’avais jamais été un magicien extrêmement talentueux, au contraire d’Aldaeril, et lui avait eu l’objet entre ses mains des mois durant sans parvenir à en libérer tout le potentiel. Quelles chances avais-je donc d’y arriver moi, a fortiori alors que l’altmer me contraignait à utiliser des objets enchantés plutôt que des sorts, de crainte de me laisser utiliser librement ma magie ? Vraisemblablement, aucune. Cependant, je ne pouvais guère non plus lui avouer mon manque de talent - ç’aurait été à coup sûr précipiter notre exécution.
Je travaillai donc deux jours durant, guettant la moindre occasion de m’échapper — mais celle-ci ne vint pas. Même alors que je demandais à Aldaeril de me créer un nouvel objet enchanté pour expérimenter quelque chose, celui-ci m’attachait solidement avant de quitter la pièce.
C’est donc complètement désespéré que je finis par lui rendre un bâton tout aussi faible que celui qu’il m’avait offert, au bout de ces deux jours. Cela ne sembla cependant pas l’attendrir ; au contraire, je le sentis nettement devenir très froid, tandis qu’il m’observait silencieusement. Enfin il me lança un sort, et je m'effondrai au sol, vidé de mes forces.

Ce qui suivit est très flou ; je me sentis soulevé, et vis des ombres défiler devant mes yeux, puis je sentis à nouveau le contact rude et froid de la pierre. Ensuite seulement vint la douleur due à la chute. Je crachai un peu de sang. J’entendis une porte se fermer, puis un chuintement. Et plus rien.

Une fois que mes forces me furent revenues, j’eus tout loisir de constater que j’étais de nouveau dans ma cellule, enfermé. Une vague de désespoir m’envahit, et je frappais les murs de dépit. J’étais seul, sans arme, et privé de ma magie par la faute de ces maudits bracelets.
Un long moment, je me laissai ainsi aller à mon amertume, jurant que si je m’en tirais, jamais plus je ne traiterais avec des gens comme Aldaeril. Promesse futile, sans aucun doute.

Enfin, j’entendis un vague bruit. Je me tins brusquement alerte, essayant de capter à nouveau une note d’espoir ; je ne fus pas déçu. Quelqu’un s’approchait.
Moi-même, je me tins au plus près de la porte, décidé à me jeter sur le haut-elfe. Je sentais déjà son cou entre mes doigts, tandis que sa tête heurtait le pavé, produisant un craquement salvateur...
La porte s’ouvrit. En un instant, je fus sur lui ; mes mains décollèrent vers sa trachée, déterminées... Et je fus cueilli au vol par un poing dans l’estomac. Je m’effondrai à nouveau au sol, avec un goût de sang dans la bouche. J’étais sur le poing de me relever quand je réalisai que les bottes que j’avais sous les yeux n’étaient pas celles d’Aldaeril. Je levai le regard, surpris ; c’était Néthyn.

- Moi aussi je suis content de te revoir, Anderi.

- Tu as encore réussi à t’échapper ?

Il sourit.

- Non.

Sur quoi il me tendit la main, et comme il m’aidait à me relever, je lui demandai :

- Mais que fais-tu ici alors ? Et pourquoi diable m’as-tu frappé ?

Il sourit encore.

- Désolé Anderi. Tu vas devoir l’aider.

Soudain, ses yeux se révulsèrent, et il s’effondra dans mes bras. Je l’allongeai aussitôt, horrifié ; il ne respirait plus.


XVIII




- Je regrette d’avoir à en venir là, mais il m’a semblé que vous aviez besoin d’un peu de bonne motivation.

Je levai des yeux pleins de rage dans la direction de la voix. Aldaeril se trouvait là, nonchalant. Je me levai et m’avançai vers lui.

- Et vous espérez obtenir mon aide après ce que vous venez de faire ?

- Et pourquoi pas ? Vous voulez qu’il vive, non ? Alors il ne vous reste plus qu’à m’aider.

Je hurlai de rage, puis me ruai vers le haut-elfe. Placidement, celui-ci me lança un sort de flammes. Je ne parvins qu’à esquiver à moitié ; mon bras gauche s’enflamma, et je hurlai en sentant ma chair se consumer.

- Vous ne devriez même pas essayer, Bréton. Votre soi-disant protection contre la magie ne m’effraie pas ; il me suffit d’attaquer plus fort.

Je lui lançai un regard haineux tout en serrant les dents. Le sort avait prit fin. Je jetai un regard à mon bras ; il était calciné, et me faisait atrocement mal. Incapable de réfléchir, je me laisser choir à terre, submergé par la souffrance.
J’entendis la voix d’Aldaeril parvenir jusqu’à moi à nouveau, lointaine et confuse, sans comprendre le sens de ses mots. Je voulu le regarder, mais ma vision était brouillée, et je ne percevais que des ombres. Soudain, mon corps se releva par lui-même, et je me retrouvai à marcher, très droit, vers l’altmer.

- Buvez, me dit-il à l’oreille.

Sans que je ne le veuille, ma bouche s’ouvrit, et quelque chose de liquide coula sur ma langue. Je déglutis.
La sensation fut merveilleuse. Ce fut d’abord comme un frisson dans mon épaule, puis peu à peu, cela se propagea à tout mon bras, et je le sentis renaitre. Comme ma vue me revint, j’entrevis une fiole vide dans la main d’Aldaeril — mais ce fut mon bras qui monopolisa véritablement mon attention. Au-delà de la trace de brûlure de ma chemise s’étendait un long membre blanc en parfait état. Je m’adossai contre le mur, un sourire au lèvre, et failli remercier Aldaeril ; j’en fus retenu par la soudaine vision du cadavre de Néthyn, quelques mètres plus loin. Une vague d’amertume me traversa, en songeant comme il s’en était fallu de peu pour que je ne remercie un meurtrier — et qui était de surcroit à l’origine de ma torture.

- Bien, me fit Aldaeril. Il me semble que vous avez maintenant compris pourquoi vous devez m’aider.

Je souris. Il ignorait complètement ce à quoi je pensais. Pour autant maître de la situation qu’il se croyait être, il n’avait d’emprise que sur mon corps, pas sur mon esprit — et encore moins sur mon âme.

- Non Aldaeril, je ne vous aiderai pas. A quoi bon ? Vous changeriez d’avis aussi vite que vous l’avez fait à l’instant, en me guérissant après m’avoir attaqué.

Son regard se fit encore plus dur. Je sentis tous ses muscles se crisper, alors qu’il prenait sa décision.

- Vous m’en voyez désolé.

Tout se passa très vite ; une lueur violacée, un éclair. Mon corps se consuma, je hurlai — j’étais libre.
Mon crâne heurta violemment le sol, et mon esprit glissa dans les ténèbres.


XIX




Mon éveil — si véritablement l’on peut qualifier d’éveillé mon état — fut l’expérience la plus déstabilisante que je connus jamais. Je me sentais vague, diffus ; tantôt mon essence s'étendait, sans limite, tantôt j’étais comme étouffant dans un espace confiné. Peu à peu, je me suis rendu compte que j’étais dans une prison. Car je le sais, cet étrange rêve-éveillé ne peut-être qu’une prison pour mon âme. Aussi, je m’efforce de collecter les derniers souvenirs qu’ils me restent — pour que mon être, privé de sa preuve physique, ne se dissolve pas peu à peu dans cette sensation de vide infini...


***



Furieux, Aldaeril balaya la table du revers de sa manche. Son nouveau fournisseur l’avait vendu, et les impériaux fouillaient déjà Zaintiraris ! Si seulement il pouvait mettre la main sur le traitre ! Oh, combien il lui ferait regretter son acte !
Et ce Bréton... Ce maudit Bréton et son ami Dunmer, qui s’étaient arrangés pour faire fuir l’argonien, alors qu’il était d’une fiabilité inespérée ! Brutalement, il se tourna vers la gemme spirituelle noire qu’il avait jeté au sol un peu plus tôt, et la ramassa. Il mourrait d’envie de la briser, de faire payer à cet entremetteur d’avoir ruiné ses efforts. Mais il savait que s’il faisait ainsi, il ne ferait que libérer l’âme — et pour rien au monde, il ne voulait le laisser s’échapper de sa prison.
Il inspira un grand coup. Les impériaux n’auraient pas sa vie. Ils pouvaient espérer l’empêcher de ramener Indoline dans leur monde — mais ils ne l’empêcheraient pas lui d’aller à elle !
Avec une terrifiante lucidité, il se saisit de son poignard. Il pouvait voir son visage dément se refléter sur le métal. Il eut un rictus, et froidement, implacablement, se trancha la gorge.

La gemme, échappant aux doigts morts, chuta sur un tapis écarlate.




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