Les impasses de l'instinct
21 Soirétoile 3E431, 14h45
« Tayem ! »
L'esprit survolté de la vampire mesura instantanément les risques de la situations. Les arcanes de foudre ne lui étaient que trop connues. Et le dunmer, qui fondait gauchement sur elle, avec toute la célérité autorisée par l'armure dans lequel il était engoncé, avait pris la peine d'énoncer l'incantation. C'était donc un sortilège à pleine puissance qui jaillirait de son index, doigt accusateur pointé vers elle. La Disciple ne pouvait se permettre d'encaisser un tel assaut. Tant pis pour la prétendue faiblesse qu'elle devait affecter...
« Iya ! »
D'un pivotement de sa hanche, le membre sanglant de S'emsyl changea d'orientation. L'esquive était sa seule option.
« Yakhem ! »
Étrangement, la fin de l'incantation différait de ce que la sectatrice attendait. Au lieu d'un bel arc électrique ionisant l'air entre cible et lanceur en moins d'un quart de seconde, ce fut une ogive que le magelame produisit. Laissant tout le temps à la morte pour sa manœuvre.
Mais pendant que la Disciple se projetait latéralement vers la droite, dans l'intention évidente d'interposer la façade entre elle et son agresseur, un sifflement sourd vrombit dans son dos. Le lézard ! L'attaque était traitresse ; la réaction, impossible.
Il y eut un choc violent contre son épaule, et la Disciple se retrouva soudainement projetée en direction opposée à ce qu'elle planifiait. Une ombre s'était élancée, dès que l'objet de son adoration avait été menacé.
Le projectile magique effleura l'albâtre de l'épaule de la duchesse, tandis que celle-ci atterrissait de l'autre côté du bâtiment, sans contrôle aucun de sa trajectoire. Relevant vivement la tête du parterre jardiné ayant amorti sa chute, la rescapée aperçut... l'un des factionnaires subjugués !
L'impérial se tenait sur le seuil, hébété, regardant sourdre sans comprendre le flot écarlate qui s'échappait de sa poitrine, et le carreau de bois l'ayant provoqué. Il fut balayé par la charge brutale de Drem, immédiatement consécutive, quoique la robustesse de sa cotte de maille lui évita l'éviscération.
Une demi-douzaine de gardes assistèrent à la scène, médusés. Sans compter les quelques nobliaux choqués, valets et autre petit personnel naturellement présents sur les lieux. Jusqu'à l'armure rutilante d'un officier accourant, immobilisé dans sa course sous le coup de la stupeur.
Le visage du second optione du Lieutenant-Colonel du palais se déforma, écumant sous l'effet de la fureur :
— Tuez les !! Sus aux traîtres ! fulmina le capitaine Gratius.
Puis se ressaisissant :
— Boucliers ! Rabattez les civils !! Protégez la duchesse ! Quintus, tes arcs, en position !! J'veux ces saligauds morts ou vifs, par Talos !
S'emsyl, quant à elle, exultait. La vampire avait eu du mal à ne pas rire en voyant cet imbécile de garde chuter, roulant mollement sur le perron de l'officine. Cet idiot s'était sacrifié pour elle ! Ce genre de choses arrivait de temps à autres. Certains sujets... plus vulnérables que d'autres à ses charmes demeuraient sous son emprise alors même qu'elle ne le souhaitait plus. Les mâles étaient des créatures tellement instinctives...
Profitant de l'alibi végétal qui lui était fourni, elle dissimula ce qui restait du document dans son décolleté et ôta le trait fiché dans son tibia. Son bras droit la brûlait férocement, mais elle s'en moquait. Après tout, souillée de terre et de sang comme elle l'était, son vêtement sensuellement déchiré par endroits, quoi de mieux qu'une autre blessure pour accentuer son rôle de victime ?
Se composant une mine catastrophée, elle se redressa et rampa jusqu'au chevet de son sauveur, étalé de tout son long. Ses blessures n'étaient pas fatales. Dommage... avec une telle dévotion il aurait fait un enfant remarquable. L'espace d'un instant, son beau visage se détourna vers l'édifice. Si Serethi, bravant l'assaut des gardes qui accouraient, était demeuré sur le pallier, il aurait pu y lire le jubilé d'une insondable malice...
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Le marteau et l'enclume
21 Soirétoile 3E431, 14h50
Bronchant brièvement sous son injonction, le non-être se départit un instant de sa posture voûtée. De sanguinolentes loques recouvraient l'écorché, simiesques réminiscences d'une humanité torturée. Un sceau métallique luisait à son poignet, effegie solidement laçée par un robuste bracelet de cuir. La créature reprit sa course, dépassant Maelicia en coup de vent, griffant le sol de ses serres.
La brétonne cilla. D'abord Ulvasa, maintenant Rodolphe ! Le jeune artisan qui s'était pris de pitié pour Typhaine, gamine moquée par ses pairs à l'abbaye de Camlorn... Un autre innocent, insatiablement torturé par quelque jeu du sort ? S'emsyl paierait pour ses crimes !
Emboitant le pas à la bête, Maelicia scruta anxieusement les parois de la galerie. Guettant quelque forme dégingandée griffant les arêtes rocheuses de son galop, elle se détournait fréquemment. Alors qu'ils parvenaient à un embranchement, le monstre fit halte. Humant l'air vicié des catacombes, il hésita, comme subodorant quelque occulte présence.
L'étudiante volta vers le point semblant retenir l'attention du non-être. Et sentit ses cheveux se hérisser d'effroi : le couloir derrière eux ! Ses délicates arches minérales, ses parterres sombres et poussiéreux... Tous paraissaient mouvants, fourmillant constamment, comme envahis par un flot sombre et fantasmagorique. Ce ne fut que lorsqu'une des fluctuations se fendit d'un cri strident et douloureux que Maelicia comprit. Ses pupilles s'étrécirent de terreur : il pouvait y en avoir plusieurs dizaines...
« Bordel ! À droite !! » s'écria-t'elle, en prenant ses jambes à son cou.
D'autres hurlements résonnaient derrière eux, écho sans cesse repris et amplifié par quelque gorge torturée. Un rapace concert talonnait désormais les proies, se rapprochant sans cesse malgré les efforts soutenus de l'étudiante. Le sol vibrait sous le poids de la cavalcade. Tout affrontement semblait vain. Et ce n'étaient pas ses frêles jambes qui lui permettraient d'échapper à pareille traque.
« Fous l'camp, Rodolphe ! J'te libère ! »
Délivrant le mort de son emprise, Maelicia passa à la vitesse supérieure : visualisant le point le plus lointain qu'elle pouvait deviner, elle le rallia mentalement dans un faible warp. Puis recommença instantanément l'opération, alors que son pied affleurait à peine sa destination. Et ainsi de suite : l'espace défila vertigineusement autour de la magicienne, alors que sa vitesse égalait désormais celle des félins les plus véloces de la nature. Pareillement assistée, la fuyarde ne tarda pas à mettre de la distance entre elle et ses poursuivants.
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Soudain, la téléporteuse stoppa net : droit devant, des silhouettes déchiquetées se prélassaient sur la roche, à l'orée d'un labyrinthe sans lignes de vue. Elle s'était faite rabattre dans un piège ; coincée entre le marteau et l'enclume. Et cette fois, personne ne viendrait la sauver.
Le désespoir s'empara de la rouquine. Les échos sauvages et acérés de la cavalcade lui parvinrent à nouveau, dans son dos. Les rapides face à elle ronronnaient sur leurs murs, se délectant des doutes de leur proie. La horde sauvage, ou le maquis carnivore ? De nouveaux pleurs humidifièrent ses yeux, mais sangloter ne servait à rien.
« Y'a qu'une seule sortie d'toute façons... » marmonna Maelicia, la bouche sèche. Elle inspira profondément...
Et reprit sa trajectoire. Le premier guetteur aboya de plaisir en fondant sur elle, toutes griffes dehors. Il n'attrapa qu'un warp, tandis que ses confrères gardant les deux entrées du dédale volaient dans les airs.
Alors que la sombre béance de l'antichambre s'ouvrait droit devant, la brétonne étouffa l'envie de fuir qui montait en elle. S'approchant de l'albâtre des parois de gauche, l'enchanteresse les toucha de sa main. Une violente secousse les parcourut, force transmise plutôt que propagée. Trois cervelles dentées tombèrent du plafond, aussitôt propulsées vers les gardiens de l'orée, déjà rétablis.
Sans attendre les impacts qui suivirent, la demi-daedra s'engouffra au pas de course dans le funeste enchevêtrement de cellules. Des vagissements sauvages issus de toute part lui vrillaient les tympans. Elle manqua de percuter les occupants de la salle attenante, sans doute molestés par la vibration précédente. La compagnonne ne prit pas la peine de les défaire : accélérant, elle s'était déjà téléportée vers son prochain objectif : un long corridor, que nulle lueur n'illuminait. Déplaçant mentalement une pesante armoire, elle barra l'issue qu'elle venait de franchir : raclements frénétiques, ça cavalait autour. Elle progressait trop lentement, la horde allait finir par la rattraper !
Ignorant les furieux coups de butoir encaissés par sa barricade, elle tendit l'index vers l'obscurité, mais une pensée inhabituelle lui vint. Le Feu facétieux surgit de son doigt, et d'un souffle embrasa l'ensemble du couloir. Les Froids qui s'y dissimulaient accueillirent la vie que le feu leur communiquait, et feulèrent pathétiquement. Un éclat de plaisir illumina les yeux de la pyromane, alors que les torches ambulantes se précipitaient dans toutes les directions, créant de nouveaux foyers à chaque contact. Au moins, on y voyait, maintenant !
La chaleur, ravivée par la combustion d'antiques tentures, devenait étouffante. Ignorant les émanations toxiques, riant sous les caresses de l'incendie, la semi-daedra circulait joyeusement, retrouvant son élément : les morts n'oseraient pas la suivre dans un tel brasier. Brusquement, comme l'une de ses victimes affolées se jetait dans un atrium plus volumineux, un abominable cliquetis s'enclencha . Sous les yeux effarés de sa tortionnaire, le plancher minéral de la salle se souleva, et broya l'imprudent. Une plaque-pression, juste sur le seuil du piège.
Dès lors, Maelicia progressa encore plus précautionneusement. Envoyant d'involontaires éclaireurs lui ouvrir la voie, exploitant chaque avantage possible à mesure qu'il se présentait, la magicienne parvint jusqu'à une excavation plus large. De dimensions généreuses, jonchée de colonnades à perte de vue, le terrain de ce qui paraissait une immense arène remontait en pente douce. L'espoir revint : elle était sortie du complexe !
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Alors qu'elle s'élançait, la seconde issue vomit un flot de rapides : la horde. Qui avait tout simplement emprunté la deuxième aile du labyrinthe... Alors qu'elle était si près du but !
Rattrapée en quelques secondes, elle pulvérisa les premiers assaillants d'une décharge télékinétique vers l'arrière, mais d'autres venaient latéralement. Écartant d'un sortilège les appendices crochus d'un des zombies à sa droite, elle n'eut que le temps de rouler sur le côté pour esquiver un autre assaut provenant d'en haut.
Or Maelicia était une ensorceleuse émérite, et non une acrobate : elle buta à la réception et manqua de s'étaler. Ce fut la curée. Une dizaine de rapides affamés se jetèrent sur la malheureuse, qui n'eut que le temps d'incanter une déflexion circulaire tout autour d'elle. Tous valsèrent, mais aucun ne percuta la roche : bronchant sous l'effort, la magicienne les avait mentalement rattrapés dans les airs. Les créatures interloquées parurent soudain flotter autour de la mystique, comme portés par un vent invisible, alors que celle-ci psalmodiait en tendant ses deux mains vers le sol. La rotation s'accéléra, encore, et encore. Une véritable tornade de chair protégeait maintenant la brétonne, percutant murs et assaillants avec une violence inouïe alors qu'un concert de chocs retentissaient. A chaque monstrueux impact du cyclone mort-vivant, une cervelle, un membre ou d'autres tissus moins définis s'érodaient contre la paroi.
Lorsqu'une Maelicia à bout de souffle mit enfin terme au sortilège, plus d'une douzaine de monstres gisaient autour d'elle. Broyés à des degrés divers, leurs corps pas toujours entiers étaient éparpillés dans des positions improbables. Sauf qu'il y en avait encore : elle eut à peine le temps de ciller qu'un spécimen plus grand que les autres fondait sur elle. Dans son dos.
La brétonne se sentit comprimée par une terrifiante étreinte, alors que des muscles visqueux mais puissants enserraient son cou et son flanc. Des poinçons osseux se plantèrent sous sa clavicule et dans son abdomen. Un frisson d'horreur lui parcourut l'échine, sentant la présence, toute proche, qui l'attirait à elle. Perdant contact avec le sol, elle se tortilla et hurla désespérément alors que la créature mordait. Fourrageant dans son épaule, lacérant de concert poussière, étoffe et tissus humains, le monstre mastiquait frénétiquement, dans un écœurant gargouillis mêlant sécrétions salivaires et giclées d'hémoglobine.
Il y eut un choc, et la rouquine roula à terre. Un rapide plus petit avait molesté le dévoreur pendant son repas. Il tendit une main rougeâtre vers la brétonne. Une main cerclée par un bracelet de cuir. Une main qui jadis aurait pu contenir un mouchoir.
L'étudiante ne se le fit pas dire deux fois : elle se téléporta aussi loin que portait sa vue, alors que Rodolphe disparaissait sous les assauts de ses pairs. L'arène souterraine touchait à sa fin, et ses colonnes se clairsemaient pour céder la place à un nouveau couloir, tout près.
Encore sous l'effet de l'adrénaline, la brétonne réfléchissait rapidement. De toute façon, elle n'arriverait jamais à semer durablement ses opposants. Il fallait une autre approche à ce problème
Ses mortels poursuivants accouraient, rugissant férocement l'hallali.
Alors que l'enceinte s'étrécissait, Maelicia s'aperçut que le sol qu'elle foulait changeait de nature. Cherchant des yeux vers la galerie toute proche, elle y trouva ce qu'elle cherchait. Bondissant, elle actionna mentalement la trappe en dessous d'elle. La roche crissa dans son dos, alors que les rouages du piège surélevaient vertigineusement le plancher de l'arène, droit vers la voûte qu'il atteignit dans un choc.
Les créatures percutèrent violemment le mur improvisé, s'escrimant vainement contre la barrière minérale, sans que cette dernière ne bouge d'un millimètre. La fugitive était coupée de ses poursuivants, séparée des rapides par une lame rocheuse de plusieurs mètres d'épaisseur. Bloquant le mécanisme avec quelques éclats pierreux, Maelicia tomba à genoux, épuisée. Elle s'en était sortie vivante !
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Contrôle technique
21 soirétoile 3E431, 15H10
L'adrénaline retomba, et avec elle son cortège de sensations anesthésiantes. Son épaule gauche la lançait douloureusement. Un flot sombre et chaud s'en échappait, bouillonnant par petits jets au rythme de son pouls, maculant corps et vêtements au fur de l'hémorragie.
La vue de Typhaine se brouillait, l'effet nyctalope touchant à sa fin. Elle hasarda une main tremblante vers son moignon, et gémit au contact de la plaie. Cependant, même au sein de ce magma sanguinolent se reconnaissait le galbe d'un bras. Par miracle, elle pouvait également encore mobiliser son membre.
Tirant d'un coup sec sur ce qui restait de sa manche, l'éclopée voulut s'en confectionner un bandage. Toutefois, le tissage résista. Il lui fallut aller jusqu'à s'y reprendre plusieurs fois avant d'arracher quoique ce soit. Pestant contre les clichés romanesques, geignant au frottement de l'étoffe contre la peau lacérée, elle parvint néanmoins à endiguer le saignement.
La sensation de soif revint, aigue, la tenaillant plus vivement que jamais. La rouquine aurait donné n'importe quoi pour un verre d'eau. Le déficit hydrique avec lequel avait composé son organisme durant sa métamorphose s'était aggravé, et son corps déjà mutilé criait au supplice.
L'hybride se redressa, déprimée. De toutes façons, il était inutile d'espérer quêter le sceptre ainsi souillée de sang. Elle aurait droit sinon à la prison, du moins à l'hospice, ou pire... au laboratoire. Tout comme ces monstres, enfin... ces bêtes humaines dont les cris résonnaient encore dans les couloirs. Semblables à ceux de Rodolphe...
De par son inexplicable sacrifice, le tailleur de pierre avait désormais avait trouvé la paix. Jusque dans sa mort, le brave bréton l'avait protégée. Sa gratitude lui était acquise, même si, comme treize années auparavant, elle ne pouvait autrement le récompenser...
La blessée se redressa, chancelante. Sortir de ces maudites ruines, voilà qui la contenterait. Et, par dessus tout, elle voulait boire ! C'est ainsi, rêvant à moitié d'oasis souterraines, aveuglée par une obscurité qu'elle n'osait rompre, que la vagabonde crut entendre comme des pas cadencés. Elle s'immobilisa, puis se replia derrière une anfractuosité.
Modifié par Trias, 06 avril 2011 - 19:09.