Voyager sucré
L’homme-bête éclata d’un rire pareil à un rugissement devant l’improvisation de Danse-mots, puis l’observa, une lueur malicieuse dans ses prunelles dorées. Il semblait très à l’aise en environnement populaire.
— Enseignez-moi tout sur ces feuilles qu'affectionne tant les Peaux-Molles, mon cher Ra'jiskar, reprit l’argonien, mais commencez par me dire ce que signifie votre nom ?
— L’écaillé veut comprendre le nom de Ra’Jiskar ? s’exclama-t’il, dévoilant de noires gencives. Il faudrait que Jiskar ‘Ra’ et l’écaillé aient perdu bien des griffes ensembles avant que Ra’Jiskar l’instruise sur son nom...
Il s’adossa plus confortablement au mur, sur son banc. Puis, saisissant son broc, il le fit tournoyer légèrement avant d’en absorber une lampée qui eût fait pâlir un nordique.
— Ahhh, fit-il, extatique, mais Ra’jiskar veut aider l’écaillé, et c’est justement par les noms qu’il le fera.
Il se redressa, et découvrit à nouveau une rangée de crocs étincelants.
— Les peaux-glabres aiment les noms. Les peaux-glabres ne les comprennent pas, mais aiment les collectionner. Lorsqu’un de leur chatons devient adulte, ils écrivent ses noms sur une feuille précieuse, sur une feuille ornée, avec laquelle le chaton peut voyager sans crainte des singes-gardes.
Il s’accouda à la mince table de bois, et se rapprocha, sa voix muée en un souffle à peine capable de faire osciller ses vibrisses.
— Habituellement, les chats demandent à Ra’Jiskar la feuille d’un autre chat pour voyager sucré. Mais aujourd’hui, les singes ont fermé la cité parce que les singes-gardes y ont perdu quelque chose. Et les singes ne laissent plus sortir les chats saufs s’ils ont les bonnes feuilles. Si l’écaillé veut sortir, sucré ou pas, Ra’Jiskar peut lui trouver les feuilles qu’il lui faut.
Allégeances de coin du feu
« Mes compagnons peuvent vous en dire davantage, si vous le désirez, notamment en ce qui concerne certaines reliques. Cependant, il est certain que les Disciples ne vont pas s'arrêter sur un échec. Nous devons donc nous presser afin de nous préparer. Vous devez nous aider à défendre ce qu'il reste de Tamriel... Vous nous seriez relativement utiles dans ce combat... »
L'étudiante rousse, à l'extrémité droite du groupe, resta ébahie. Toujours revêtue de la robe d'apparat rouge sombre prodiguée par le comté de Bravil, à demi-cachée sous sa mante grise, elle se tenait assise avec la grâce d'un piquet de tente aux côtés de Sylph.
Initialement, impressionnée par l'impeccable phrasé d'Aewin, un élan de gratitude et d'admiration mêlées l'avait envahie. L'effronterie manifeste de ses propos, combinée à d'outrageants raccourcis avaient bien vite chassé ces sentiments. Et surtout, elle avait dû retenir un hoquet d’étonnement lorsque son amie avait exposé la destruction d’un autre disciple par Terdewen : depuis l'évasion de Jorus, Aewin n’avait plus évoqué de qui s’était passé dans la tour de Bravil. Que venait faire un disciple là dedans ?
Un spasme sonore, moqueur et hilare retentit. Maelicia tourna brusquement la tête : Jeraselm riait à gorge déployée, avec un naturel d'autant plus humiliant vis à vis de celle qui constituait, bon an mal an, la supérieure de son ordre en ruines. Ses éclats laryngés furent soudainement secondés par d'autres tessitures, quelques octaves au dessus. Dame Caranya, par connivence spontanée, joignait ses rasoirs de velours aux sarcasmes du traqueur.
Son rire s’interrompit brutalement.
— Vous servir ? s’esclaffa-t’elle, sa voix mélodieuse charriant des glaçons, votre prétendue Matriarche ne manque pas de culot, vous ne trouvez pas, traqueur ?
Il y eut un silence. Jeraselm hésitait, ayant remarqué le soudain emploi de sa vraie fonction.
— La prétention n’est pas la moindre de ses qualités, avoua-t’il enfin d’un ton rageur, comme s’il se soulageait d’un fardeau indu.
— Cette demoiselle est charmante, ironisa Aragir, sans se départir de son accent.
— Elle est gonflée, oui ! lâcha le mage chauve aux côtés de Caranya, laconique.
— Je... euh... *hem* suis certain que ce n’était pas ce qu’elle voulait exprimer, s’excusa Raminus.
— Elle n’a rien révélé, répliqua le chauve, qui d’après la présentation de l’aldmer devait s’appeler Jarol.
— Ohoh, mais si.... la ‘Matriarche’ a mentionné la victoire sur DEUX disciples, rien que ça, reprit Caranya, crachant du venin, de sa voix suave.
L’apprentie magicienne n’en revenait pas : atterrée, elle assistait sans mot dire à la lapidation de son amie, par un conseil de mages, pour un simple sous-entendu ?
— Mais enfin, piaula-t’elle plaintivement, vous n’allez tout de même pas nous renvoyer pour... pour ... pour simple une étourderie, non ? plaida-t’elle, maladroitement. On a voyagé sur des centaines de lieues, affronté des morts, manqué d’se faire coffrer ou assassiner et vous trouvez rien de mieux que de vous moquer de nous ? On vient s’expliquer, parce qu’on nous le demande et vous ... vous... vous jouez avec nous ? articula-t’elle, contente d’avoir enfin trouvé un terme pour exprimer son ressentiment. Alors qu’on essaye de faire preuve de bonne volonté ? C’est ça votre sagesse de mages ?
Il y eut un nouveau silence. La tirade de la bretonne, bien que manquant sensiblement d’étude et trop fournie en octaves, avait eu pour mérite de trancher avec le ton acéré que prenait l’échange.
Le mage au bouc, se pencha sur la table, au loin, et éleva un doigt d’enseignant :
— L’intelligence construit l’orgueil, et l’orgueil détruit la sagesse. Et nous sommes très intelligents. Ne l’oublie pas, pimprenelle...
Un irrésistible sourire pointa aux coins des lèvres, déridant l’assistance. Le vieux professeur semblait avoir un certain bagout, que Maelicia apprécia pleinement.
Les deux Ordres
Caranya, contre-attaqua :
— Vous avez la langue bien p...
Elle s’interrompit. L’archimage avait levé le bras, en signe de halte.
— Merci de tout coeur pour cette séance d’observation, Caranya, dit-il sans l’ombre d’un sarcasme, nous avons suffisamment appris. Je vais poursuivre.
Les membres du conseil cessèrent leurs piques leurs visages redevinrent neutres, même s’il subsistait un éclat vengeur dans les yeux de l’aldmer.
Traven se tourna vers Aewin.
— Aewin Melleandra, les données que vous nous avez prodiguées nous seront précieuses, effaça-t’il. En retour, veuillez accepter nous condoléances pour la perte de votre tuteur... il s’agit toujours d’évènements difficiles et nous comprenons.
Il se tut un instant, et joignit ses doigts en arc de cercle, s’accordant une brève réflexion.
— Le conseil souhaite que vous exposiez en détail les circonstances de la seconde mort des disciples. Néanmoins, vous avez fait l’effort d'un voyage, et de nombreuses épreuves ont pesé sur vous. Nous souhaitons votre coopération future, et allons donc partager les premiers nos connaissance sur le sujet... Raminus, je te prie...
Le maître mage se pencha un instant, posa un lourd dossier de cuir sur la table et l’ouvrit : il contenait nombre de parchemins poussiéreux, jaunis par le temps, mais les dimensions du meuble de marbre étaient telles qu’elles en interdisaient la lecture aux aventuriers.
Il s’éclaircit la voix.
— *hem*... le nom de Sh’éam n’est pas inconnu de la Guilde. Vers le début de notre ère, en l’an 102, nous avons enregistré la nomination de deux apprentis : Rafael Kalérion et Gabriel Daresort. Ces deux étudiants ont effectué ici même leur cursus universitaire, au cours de neuf années de formation dont nous disposons de traces écrites dans nos archives.
Il tourna quelques pages du vieux grimoire.
— Le premier, Kalérion, était exceptionnellement brillant, mais indiscipliné. Bien qu’ayant connu quelques accidents de parcours, ses résultats au concours de magicien furent tels qu’il eut les félicitations de l’archimage, en 108. Le second, plus jeune et bien que présentant un parcours sans fautes, resta dans l’ombre de son ami.
Saisissant une feuille blanche d’aspect plus récent, il poursuivit.
— Daresort et Kalérion ont tous deux finit par exceller dans leurs disciplines respectives, et furent rapidement nommés maîtres mages. Daresort s’est spécialisé en mysticisme, et les découvertes qu’il a faites dans le domaine de la télékinésie et du contresort nous ont bénéficié jusqu’à ce jour. Kalérion était plus polyvalent, et nous avons quelque parutions en altération, guérison et destruction le concernant. En 122, ils ont effectué à la guilde des recherches communes, mais secrètes, dans lesquelles ils étudiaient les capacités d’expansion de l’âme humaine.
Raminus ferma le livre, et déploya un parchemin enroulé autour de cylindres de bois.
— Il est arrivé, ce qui devait arriver : Daresort a découvert un processus lui permettant de faire fusionner deux esprits en une sorte d’âme étendue qu’il a nommé « manta ». Mais, lorsqu’il en a exposé le fruit à Kalérion, celui-ci lui a proposé d’expérimenter sur l’âme humaine en utilisant des gemmes spirituelles noires. Daresort a refusé, et a gardé ses recherches pour lui.
Son doigt s’arrêta sur l’une des lignes zébrant le document.
— Kalérion s’est vengé en dénonçant Daresort. Ce dernier a été exclu de la guilde pour ses recherches, et les deux amis se sont séparés pour fonder deux ordres distincts : le premier s’est proclamé Sh’éam, et a poussé ses recherches dans le domaine de la non-vie. Son ami s’est fait appeler Triam, et a transmis ses méthodes de mysticisme à ses disciples.
Raminus referma le document et observa ses hôtes.
— Les deux ordres se sont mutuellement annihilés au cours du même siècle, mais des rapports sporadiques de témoins oculaires laissent penser que cinq disciples de Sh’éam, particulièrement puissants, auraient... disons... persisté.
Il observa une pause, puis guetta une réaction de l’archimage. Celui-ci prit le relais, en fixant alternativement chacun des compagnons :
— Nous pensons... que les deux ordres se sont anéantis en se disputant.. le sceptre que vous avez trouvé. Pour qu’un artefact justifie pareil fratricide, il faut qu’il soit... d’une certaine puissance et nous avons donc entrepris de le dissimuler, sous la garde d’un Dragon-Golem d’argile, que nous supposions indestructible, non loin du lac Rumare. A l’heure qu’il est celui-ci a été détruit. Le sceptre a donc dû être rapatrié vers la cité impériale.
Il eût un air embarrassé.
— Notre guilde était assistée d’un détachement de chevaliers impériaux lors du transport. Nous craignons qu’ils aient... égaré l’objet.
Modifié par Trias, 11 novembre 2008 - 08:03.