Dolvane mélangea sans y prêter attention les cartes puis coupa. D'une voix plus lente que d'habitude, il entreprit d'expliquer les règles les plus simples du jeu des réclames.
"L'avantage, commença-t-il, c'est qu'on peut jouer avec presque autant de joueurs qu'on veut. Il suffit d'avoir assez de cartes. C'est très simple, vraiment. On entame en pariant, sans savoir quelle main on aura. Le but, par la suite, est d'augmenter la mise, en espérant rafler celle des autres, bien sûr. Ceux qui ne pensent pas avoir une assez bonne main peuvent sortir du jeu à tout moment et y rentrer à la main suivante... Pour gagner, il faut présenter une meilleure combinaison de cartes que les joeurs restants."
Tout en expliquant lesdites combinaisons, ill n'avait cessé de battre les cartes et en aligna soudain cinq, face visible sur le tapis improvisé. Il les pointa du doigt aux légionnaires qui se démanchèrent le cou pour mieux voir. Dolvane s'en réjouit. Il connaissait bien le genre de ces soldats - excepté en ce qui concernait leurs pulsions déprédatrices, bien sûr. Ils étaient la lie des garnisons, occupés à faire du cachot pour avoir provoqué une bagarre en ville ou chargés de tenir les gardes les plus longues au milieu de la nuit. La vie militaire était pour eux confortable mais incroyablement pesante et ennuyeuse. N'importe quoi leur aurait servi de distraction. Pas étonnant alors qu'ils se laissent appâter plus facilement qu'un passant par un chaland, un jour de marché ! Son boniment avait pris, et ils accepteraient n'importe quelle règle. Il jeta cinq autres cartes sur le tissu, et encore cinq autres. Les légionnaires firent mine de les examiner, mais la plupart s'avouèrent incapables de déterminer quelle était la meilleure main. Celui à la langue tirée fit un bel effort.
"La première n'a rien, la deuxième a deux cartes pareilles, c'est mieux, non ? et la dernière a deux fois deux cartes pareilles."
Il rayonnait. Dolvane se sentit presque coupable de devoir le détromper. Il jeta un coup d'oeil aux cadavres dépouillés de tout sauf de leurs vêtements et sentit toute trace de pitié disparaître.
"Pas tout à fait, pointa-t-il. La première main a cinq cartes de bâton. C'est plus fort que les deux autres."
"Oh, fit le légionnaire. C'est vrai..."
"Ecoutez, dit Dolvane, d'un ton plus bas, comme s'il s'agissait d'un secret. Je ne le fais pas souvent, mais pour ceux qui ont failli être mes frères d'armes, je vais quand même essayer. Qu'est-ce que vous diriez que je distribue deux mains, une pour moi, une pour vous tous. Comme ça, vous pourrez vous conseiller et apprendre plus facilement les ficelles. Ca vient en jouant."
Il fouilla de nouveau dans son débarras et en sortit la fiole d'Aëana. Le liquide qu'elle contenait avait une riche couleur ambrée, ressemblant à s'y méprendre à du vin. Si le goût était à l'avenant, songea le skald, tout serait parfait.
"Et comme je n'ai pas d'argent, mais que vous me plaisez, je vais parier avec vous à cinq septims contre une gorgée de ce nectar, ajouta-t-il en claquant de la langue. Je n'en ai pas bu depuis une éternité et, si je perds, je risque de ne pas le sentir couler entre mes lèvres avant une autre éternité, mais je suis beau joueur et je prends le risque. Qu'en dites-vous ?"
Modifié par redolegna, 04 novembre 2007 - 11:37.