Douleur
Vide. A l'image de l'univers. Vide. Aewin se sentait vide. Vierge de sensations, vierge de pensées, vierge de réflexion, son esprit et son corps étaient plus que jamais en accord l'un avec l'autre. Tout semblait fonctionner au ralenti. Tout était comme figé. La pluie avait cessé son inexorable course vers le sol, les arbres n'oscillaient plus au gré des rafales de vent. Le temps s'était arrêté tout autour de la jeune femme, à une exception près.
Maelicia s'était jetée vers la blonde brétonne, ses lèvres s'étaient animées, sans qu'Aewin ne puisse comprendre le sens des mots qu'elle prononçait. Les oreilles de la jeune magicienne bourdonnaient, si fort que cette dernière ne parvenait même plus à entendre le tonnerre qui grondait sévèrement plus loin.
Aewin tenta de se redresser pour voir ce qu'il en était du duel engagé entre Jorus et Jeraselm.
Douleur. Terrible douleur. Aewin retomba immédiatement au sol, hurlant à la mort et maculant de plus belle le sol et sa robe de fluide rouge sombre. La jeune femme se mit à pleurer tant sa blessure la faisait souffrir. Et Jorus, son Jorus, n'était pas là pour la réconforter, pas là pour l'embrasser. Seule Maelicia se préoccupait-elle d'elle ?
Aewin saisit la main de son amie dans un spasme de douleur et parvint à articuler, après un effort incommensurable :
"Pi... tié..."
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
Le dégel d'un coeur de glace
Jeraselm se releva, plus mollement que jamais. Le sort de Jorus commençait à se dissiper, lui laissant une désagréable sensation de picotements dans tous les muscles de son corps. Juste à côté de lui, Jorus se tenait le visage, à genoux dans la boue. Jeraselm lui écarta les mains, lui cracha à la figure, puis lui décocha simplement un coup de poing en pleine face. Le Traqueur traîna ensuite sa carcasse vers la rouquine et la Matriarche de la Wyverne, apparemment mal en point puis se laissa tomber lourdement à côté de cette dernière, de l'autre côté de Maelicia. Croisant le regard de la rousse brétonne, il ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortant, il finit par refermer la mâchoire. Ce ne fut qu'une dizaine de coups de tonnerre plus tard que la parole lui revint :
"C'est étrange. Je n'ai jamais vu une flèche normale, telles qu'en utilise la Légion, faire saigner si abondamment. Seules les flèches à pointe de serpent, utilisées plutôt par les assassins, peuvent provoquer un tel saignement..."
Relevant à nouveau les yeux vers la jeune magicienne, il plongea son bleu regard dans le sien, sans dire un mot. Il paraissait chamboulé, destabilisé. Comme mû par la volonté d'un autre, il proposa à Maelicia, d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée :
"Maelicia, je ne suis pas guérisseur, et je ne peux rien promettre. Mais..."
Il hésita un moment à revenir en arrière, mais se força à poursuivre :
"Si tu veux je peux lui prodiguer les premiers soins. Ensuite nous l'emmenerons à la chapelle, chez ton amie guérisseuse... A moins que tu ne m'aies caché encore d'autres talents... ajouta-t-il, l'ombre d'un sourire sur le visage."
Il ne portait pas la Matriarche dans son coeur, mais le sens du devoir, le sens de l'honneur, et surtout la fraternité entre membres de l'Ordre parvenaient à dominer ses réticences. Et puis, c'était l'amie de Maelicia. Et, bien que son esprit fût trop confus pour savoir que penser de la jeune femme, celle-ci venait de lui sauver la vie. Pour cela, il lui était redevable. Mais surtout, il sentait que quelque chose avait changé dans leur relation. S'ils n'étaient plus ennemis depuis quelque temps, cet acte montrait davantage aux yeux de Jeraselm ; cet acte montrait que sa vie importait, un tant soit peu du moins, à quelqu'un d'autre que lui-même. Et cela, il ne l'avait plus ressenti depuis bien longtemps...