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Les Effets Des Erreurs De Traduction Dans La Localisation Des Jeux Vidéo. L’Exemple De The Elder Scrolls Iv : Oblivion

Posté par D.A.D. , 08 octobre 2015 · 1 945 visite(s)

Traduction Langue Oblivion Master Localisation Erreurs My translator is rich

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Les effets des erreurs de traduction dans la localisation des jeux vidéo. L’exemple de The Elder Scrolls IV : Oblivion.


Le document présenté ici est un mémoire de Master présenté en 2011 à Ecole de Traduction de l’université de Genève (mention traduction spécialisée). Son auteure, Florence Roh, s’intéresse aux erreurs de traductions dans la version française qui ont émaillé Oblivion à sa sortie. Se définissant elle-même comme joueuse, elle s’intéresse au processus de localisation, élément participant à la qualité d’un jeu. Son étude porte plus précisément sur les erreurs de traductions et à leurs effets possibles sur le joueur. Florence Roh a porté son choix sur Oblivion notamment parce qu’il contient beaucoup de texte, sous différentes formes (dialogues, instructions, descriptions, inventaires, livres…) mais aussi parce que sa localisation française comporte un certain nombre de problèmes.

Le travail de l’auteure se décompose en deux parties. La première définit la localisation et offre un petit aperçu des différents genres des jeux vidéos et de ses support (petit aperçu sur lequel je ne reviendrai pas ici, le Wiwilandais étant par définition un joueur averti). Le second chapitre du mémoire est consacré à la localisation des jeux vidéos en général et notamment aux différentes solutions qui s’offrent aux éditeurs. Enfin, la troisième partie, qui nous intéresse plus particulièrement, est une étude de cas dédiée à Oblivion.

Le processus de localisation d’un jeu procède de plusieurs étapes qui diffèrent en fonction du produit concerné. Il s’agit là d’un processus qui va au-delà de la simple traduction, qui est une étape de ce dernier. Précédée par une phase d’internationalisation, qui consiste en la conception d’un produit adaptable aux exigences linguistiques et culturelles d’un marché cible, la localisation peut aussi impliquer la gestion de projet, du génie logiciel ou encore de l’assurance qualité. C’est semble-t-il en partie cette dernière étape, censée contrôler la qualité syntaxique et lexicale des textes (ainsi que la fonctionnalité du produit dans sa nouvelle localisation), qui a péché dans Oblivion.  
Florence Roh rappelle par ailleurs l’importance d’une bonne localisation, notamment quant à l’immersion et à l’expérience de jeu, deux notions primordiales dans les jeux de rôles. D’autre part, l’enjeu est aussi plus commercial : il s’agit alors de donner l’impression que le jeu a été créé pour un public cible qui  peut disposer de références culturelles différentes de celles des créateurs du jeu.
C’est un processus important à plusieurs égards pour l’éditeur donc, mais c’est aussi un processus coûteux. En raisons de cet argument économique, l’auteure définit quatre niveaux de localisation. L’absence de localisation est évidemment la solution la moins coûteuse, mais destine le produit à un marché plus restreint. La localisation “Box and docs” concerne exclusivement la boîte de jeu et le manuel. Elle peut s’accompagner d’une seule localisation anglophone du jeu (lorsque celui-ci ne l’est pas d’origine) qui fera office de localisation universelle. La localisation partielle concerne des jeux dont seuls les textes sont traduits : les voix ne sont ainsi pas doublées mais souvent associées à des sous-titres. Cette solution, moins onéreuse que la localisation complète, est privilégiée pour les marchés dits secondaires tels que l’Italie ou les Pays-Bas. Les marchés primaires (États-Unis et Royaume Uni, Allemagne, France) bénéficient quant à eux, le plus souvent, de localisations complètes.

L’une des phases les plus coûteuses lors d’une localisation complète est celle du doublage. Avec les avancées techniques des jeux vidéos, qui pour la plupart se veulent toujours plus réalistes, le doublage vidéo-ludique s’est rapproché du doublage cinématographique : temps de parole, mouvement des lèvres, personnalités et spécificités des personnages à respecter… Cependant, Florence Roh met en évidence certaines spécificités liées au jeu vidéo. Il arrive ainsi que les comédiens doubleurs n’aient pas accès aux images, celles-ci n’étant pas forcément disponibles. D’autre part, le nombre et la taille des fichiers audio est un facteur important. Dans les jeux, chaque son est enregistré séparément (puisqu’il doit arriver à un moment prédéfini, déclenchable par le joueur à tout moment) et la longueur de la piste audio doit être semblable à celle d’origine (afin d’éviter par exemple le chevauchement de répliques). Par ailleurs, d’autres aspects de la localisation, comme le sous-titrage, diffèrent des pratiques du cinéma.

Ces préalables posés, la partie la plus conséquente du mémoire est l’étude de cas dédiée à Oblivion (je n’exposerai pas ici la présentation du jeu ni celle consacrée à Bethesda). Étant donnée l’importance quantitative de la localisation du jeu, Florence Roh a choisi de s’intéresser particulièrement à la phase de création du personnage et au tutoriel, moments durant lesquels le joueur est amené à opérer des choix importants. L’échantillon analysé est complété par les options du jeu et le début de la quête principale. La problématique tourne autour des erreurs de traduction et leur influence (possible) sur le joueur. La démarche adoptée consiste dans un premier temps à relever ces erreurs et à les classer, en comparant les versions originale et française du jeu. La typologie ainsi constituée révèle 11 catégories : les ajouts, les omissions, les faux-sens, les glissements de sens, les non-sens, l’opacité, les ambiguïtés, les erreurs liées à la terminologie, les fautes de langue, les incohérences et les problèmes liés à la traduction des noms de lieux.

L’une des catégories les plus représentées est celle des ajouts, c’est à dire d’éléments d’information ou stylistiques absents du texte d’origine mais présents dans le texte d’arrivée. Ils sont, pour la plupart, présents dans les descriptions des races, des constellations et des classes. Il apparaît qu’un certain nombre de ces ajouts semblent provenir d’au moins trois sources différentes, dont Morrowind. Ainsi, la capacité “Veau de Lune” associée à l’Amant dans la version française d’Oblivion de la description de la constellation, est un ajout provenant du jeu précédant (sans les mêmes caractéristiques cependant). L’hypothèse émise pour expliquer ces ajouts est que le traducteur a sans doute travaillé à l’aide d’une version intermédiaire entre Morrowind et Oblivion des descriptions. L’effet sur le joueur est variable : la promesse d’un bonus qui, en fait, n’existe  pas, peut l’induire en erreur lors d’un choix (de constellation dans l’exemple cité), là où la plupart des ajouts passent inaperçus.
L’étude des omissions révèle plusieurs niveaux : les omissions de mots sémantiquement peu marqués (articles, prépositions…) sont essentiellement dues à un souci de gain de place dans des espaces limités (par exemple, dans l’inventaire) et ne posent pas de soucis majeurs vis à vis de la compréhension par le joueur. S’ajoutent à cela de rares omissions de mots (liées à un manque de place dans les lignes de dialogues) mais surtout d’omissions d’informations (parties de phrases porteurs d’informations utiles au joueur), concentrées dans les descriptions de races. Ainsi, par exemple, la phrase mentionnant l’habileté des Impériaux avec une armure lourde, présente dans la version originale, a disparu (alors qu’elle est présente dans le manuel physique du jeu). Chacune des dix descriptions de race est touchée par une omission d’information et à chaque fois, celle-ci concerne la dernière phrase (ou partie de phrase) de la version anglophone, sans qu’il puisse s’agir d’un problème de place.
Si certains faux-sens relèvent de l’anecdote  pour ce qui concerne l’expérience de jeu (jargon capillaire non conforme par exemple), d’autres en revanche peuvent induire le joueur en erreur. Ainsi, le sort  de soin “Healing Minor Wounds” est-il devenu en français une “boule de feu”, appellation faisant penser que son usage est plus destructeur que curatif… De même, des faux-sens appliqués aux descriptions des signes zodiacaux tendent à gommer les malus de l’Atronach ou de l’Apprenti ou au contraire les bonus du Voleur. Autant d’informations erronées pouvant influencer le choix du joueur.
Les glissements de sens et surtout les non-sens (traduction qui n’offre aucun sens au joueur), s’ils n’induisent par directement le joueur en erreur, nuisent cependant à l’aspect immersif du jeu. De même, l’ambiguïté et l’opacité de certaines descriptions peuvent entraver la compréhension par le joueur des mécanismes de jeu. Le tutoriel du crochetage apparaît à cet égard comme un grand moment de bravoure.
On trouve également dans la version française d’Oblivion des fautes de langues ; les erreurs orthographiques et grammaticales, ainsi que les fautes de ponctuation, assez peu nombreuses dans l’échantillon analysé, donnent l’effet d’un manque de soin de la localisation française. Par ailleurs, les défauts de collocation (mots dont la combinaison forme une association idiomatique ou syntagmatique : “poser une question”, “faire un voeu”…) sont les plus nombreuses : ils résultent d’une traduction calquée sur la version originale, sans tenir compte des spécificités de la langue de traduction. Par exemple, “les feux de dragons seront sombres”  (dialogue avec Jauffre) passe assez mal en français, où l’ont remplacera plus naturellement “sombres” par “éteints”.
Enfin, dernière catégorie d’erreurs est celle des incohérences : un même concept ou objet dans le jeu est traduit de plusieurs manières. Ainsi le talent “armes contondantes” est-il aussi dénommé “armes lourdes”, par exemple.

Une fois ces erreurs analysées et classées, Florence Roh s’intéresse ensuite à leur impact sur le joueur. Un facteur qui lui permet de distinguer trois niveaux de fautes.
Les fautes graves sont celles qui désavantagent le joueur francophone par rapport à un joueur utilisant la version originale. Ajouts, omissions et faux-sens peuvent induire en erreur le joueur en lui fournissant des informations erronées ou incomplètes. Les fautes de gravité moyenne, non-sens, incohérences, opacité, ambiguïtés et fautes de langue, ont pour principal effet de freiner la compréhension du texte et de nuire à l’expérience de jeu. Enfin, le troisième type représente des fautes sans impact réel, que sont notamment les glissements de sens ou le mauvais emploi des majuscules.

En conclusion, l’auteure évoque le manque de temps comme principale source de ces erreurs. Elle rappelle aussi, plus généralement, que d’autres facteurs peuvent influer sur la qualité d’une localisation : le budget, la connaissance du thème ou de l’univers d’un jeu, le choix des doubleurs en sont quelques exemples. Autant d’éléments qui conditionnent en partie l’expérience de jeu.




Références
Auteur(e) : Florence Roh, Université de Genève
Titre : Les effets des erreurs de traduction dans la localisation des jeux vidéo. L’exemple de The Elder Scrolls IV : Oblivion, Mémoire de maîtrise, Université de Genève, 2011, 188 p.
Lien : http://archive-ouver....ch/unige:17295
Domaine : linguistique / traduction




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