Du Mythe Au Jeu Vidéo : L’Archétype De L’Enfant-Dieu Dans Le Lore Des Tes
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Du mythe au jeu vidéo : l’archétype de l'Enfant-Dieu dans le lore des TES
Ce blog s'ouvre donc sur un premier article de Valentina Sirangelo, de l'Université de Calabre, paru dans les Cahiers Echinox, et disponible sur le site de l'Université de Cluj en Roumanie qui l'édite. L'auteure s'intéresse à Arkay et souhaite démontrer qu’il est possible de reconnaître dans cette divinité inventée l’archétype de l’enfant-dieu tel qu’il existe depuis les polythéismes proto-historiques, et qu’elle définit par ses traits principaux : un destin cyclique lié à la nature, la place centrale de la mort dans sa destiné et la relation fatale avec la figure de la déesse mère.
L’archétype de l’enfant-dieu
La première partie de l’article se consacre donc à la figure de l’enfant-dieu en général, dans une perspective antropo-historique. L’auteure rappelle la genèse de cette figure à partir du Néolithique, période durant laquelle l’agriculture tient une place nouvelle et prépondérante. C’est pourquoi depuis les origines, l’une des constantes de la figure de l’enfant-dieu est cette image de divinité liée à la nature, complétée par celle de la déesse mère, liée à la terre. L’enfant-dieu, divinité de la nature, et particulièrement de la végétation, apparaît donc ainsi comme le fils de la déesse mère, la terre.
De cette représentation d’un dieu lié à la végétation, découle le deuxième aspect de l’archétype de l’enfant-dieu : l’aspect cyclique, conséquence de l’adoption par les Hommes d’un nouveau mode de vie, basé sur les cycles inhérents à l’agriculture. De ce fait, l’enfant-dieu est à la fois mourant puis renaissant.
Du cycle, provient le troisième aspect archétypal : la mort, qui est une des étapes de ce cycle. Elle apparaît alors non pas comme un état définitif, mais bien comme une étape vers une renaissance, en lien avec le rythme des saisons. L’auteure s’intéresse plus particulièrement à cette phase mortuaire, dans laquelle l’unité primitive terre/végétation (déesse/dieu ; féminin/masculin) est provisoirement restaurée.
L’article poursuit l’analyse de cette phase en adoptant un point de vue psychanalytique en rapport au concept freudien d’inceste : la mort de l’enfant-dieu serait ainsi la transposition mythique de la phase de retour aux premiers objets incestueux de la libido. Dans cette comparaison reprenant la théorie psychanalytique des principes masculin/féminin, l’enfant-dieu est assimilé au principe masculin tandis que la déesse-mère l’est au principe féminin. Ainsi, il y aurait inconsciemment analogie entre l’utérus de la déesse-mère et la tombe. Et Valentina Sirangelo de conclure : “la mort de l’enfant-dieu devient à la fois une descente vers le tombeau et une étreinte extatique, un acte à la fois funèbre et érotique”.
Cet archétype de l’enfant-dieu a persisté durant les Âges de Bronze puis de Fer dans ses structures basiques, apparaissant sous la forme de scénarios dramatiques impliquant l’exécution et la résurrection d’un personnage divin qui est tant l’enfant que l’amant de la déesse. Ces dieux, dans les panthéons eurasiens sont également liés à la nature. L’évolution progressive de l’archétype amène à des divinités masculines vouées à la mort, suivie une phase de résurrection, tout ceci étant lié au pouvoir excessif d’une déesse dont elles sont les amants. Les figures d’Attis, d’Adonis, de Tammuz ou encore d’Orisis apparaissent comme des avatars de cet archétype.
Ces rappels faits, l’article s’attache ensuite à la figure sénovélinienne d’Arkay.
Protecteur du cycle de la vie et de la mort, Arkay possède un lien avec une temporalité cyclique et joue un rôle dans les rites funéraires ; s’y l’on ajoute à cela sa relation avec la figure de la déesse-mère, on a là les trois traits caractéristiques évoqués ci-avant.
Arkay, dieu du cycle de la vie et de la mort
Membre des Neufs Divins et d’autres panthéons de Tamriel, Arkay est affublé de l’épithète Dieu du Cycle de la vie et de la mort. Moins fréquemment, il est parfois associé aux saisons (Religions de l’Empire). Une autre épithète d’Arkay est celle de Dieu mortel (idem), lui qui n’existait pas avant que le Temps ne débute. Ces notions renvoient directement au concept de la mort perçue comme la phase d’un cycle. Par ailleurs, certaines prérogatives d’Arkay, assimiliées au soin par l’intermédiaire des autels et des amulettes, caractérisent également des divinités traditionnelles de la végétation.
Les membres du cultes d’Arkay, comme les prêtres ou l’Ordre d’Arkay, protégé par les Chevaliers du Cercle (en lien avec le cycle) rappellent ces prérogatives divines, liées au cycle mais aussi à la connaissance en lien avec les mystères du cycle de la vie et de la mort. Autant de références faisant écho à l’archétype de l’enfant-dieu ou dieu de la végétation.
Les sources iconographiques vont également dans ce sens : le cercle, symbole du cycle, la canne, symbole de fertilité ; le vert et le rouge, deux couleurs rappelant le théâtre de la végétation (le rouge étant associé à la terre).
La source la plus importante concernant Arkay est l’ouvrage Ark’ay le Dieu de la naissance et de la mort, dans lequel est mise en avant sa relation exclusive avec Mara, elle-même présentée comme déesse-mère, déesse de la fertilité (entre autre). Arkay, alors marchand, nourrissant une passion pour la connaissance, passe son temps à lire un ouvrage censé lui apprendre les secrets de la vie, de la mort et du but de l’existence. Atteint par une épidémie sévissant dans sa région, il demande à Mara, qu’il appelle lui-même “mère”, de lui laisser assez de temps pour finir d’acquérir ces connaissances. Apparaît alors un trait caractéristique de l’autre archétype en jeu, celui de la déesse-mère : l’aspect positif de donneuse de vie côtoie un aspect plus négatif, celui qui permet de négocier sa mort. Ainsi, Mara apparaît-elle dans ce récit comme responsable de l’épidémie qui va couter la vie à Arkay. Nous sommes en plein dans la relation archétypale entre la déesse-mère (la terre) et l’enfant-dieu (la végétation).
Cela va même plus loin : Mara propose à Arkay soit la mort, soit d’en faire un dieu, qui aurait la difficile tache de veiller à l’équilibre des morts et des naissances. Cette voie, choisie par Arkay, représente la mort de l’enfant et la naissance du dieu, en cohérence avec l’aspect archétypal vu plus haut.
Namira, déesse de l’obscurité
Le chapitre suivant tend à montrer qu’une fois Arkay déifié, il est en relation avec une seconde figure représentant l’archétype de la déesse-mère : Namira. Elle y est présentée comme son antagoniste principale, ses attributions étant l’obscurité et la putréfaction. Elle est également associée aux insectes, araignées ou encore aux maladies. On retrouve là des attributions traditionnellement dévolues à la figure de la déesse mère de la terre, notamment à son rôle consistant à “dévorer les corps morts”. Cette opposition trouve corps (si j’ose dire) dans l’une des quêtes de Skyrim, comme le relève l’auteure de l’article : il s’agit de la quête intitulée le Goût de la mort, dans laquelle le joueur peut s’initier au cannibalisme après avoir tué un des prêtres d’Arkay. En fait, ici, la figure archétypale de la déesse-mère ayant à la fois un aspect bénéfique (celui de donner/redonner la vie) et un aspect meurtrier serait partagée entre Mara et Namira, chacune représentant plus ou moins l’un de ces aspects.
L’analyse se termine par l’analyse d’un lapsus commis par les auteurs des TES révélé dans un dialogue d’Oblivion, dans lequel Arkay se voit affublé d’un pronom féminin (”Praise Arkay and all HER little woodland creature”). Valentina Sirangelo y voit deux explications possibles : cette erreur se réfèrerait à la relation entre Arkay et Mara. Le dialogue serait alors : “Praise Arkay as Mara’s child” puis “praise all her (Mara’s) other woodland creatures”. La seconde interprétation serait celle d’un véritable lapsus lié aux concepts archétypaux inconsciemment intégrés aux mentalités des auteurs ; le dieu de la végétation partagerait ainsi deux natures , masculine et féminine (liées à ce que l’on a vu plus haut : la nature masculine du dieu enfant se faisant progressivement après sa renaissance, au moment où il s’émancipe de la tutelle de la déesse mère). L’emploi du pronom féminin renverrait donc à cette nature féminine.
La figure d’Arkay témoigne de la présence dans le jeu vidéo de la transmission, de la réorganisation et de la recombinaison d’une même figure archétypale ancienne.
Références
Auteur(e) : Valentina Sirangelo, Université de Calabre
Article : From myth to fantasy role-playing game : aspects of the Child God in the Elder Scrolls lore, disponible en pdf ici.
Paru dans : Cahiers Echinox, vol. 26/2014
Domaine : littérature / anthropologie