La journée qui s'achève est de celles que l'on peut difficilement oublier.
Ce sont les mouvements de la charrette qui m'ont réveillés. J'étais assis en face d'un nordique d'aspect brutal -mais ils ont tous cette apparence, on passe rapidement outre après quelques temps passés à les fréquenter- et à côté de l'homme bâillonné que j'avais déjà aperçu. Il y avait aussi une sorte de brigand avec nous, originaire de Lenclume vraisemblablement, mais les événements ne nous ont pas permis de faire plus ample connaissance. J'ai tout de suite compris vers quoi nous allions. Une étrange résignation m'a envahi, peut-être causée par la certitude que rien ne pourrait nous sauver, peut-être en partie dictée par l'attitude hautaine et détachée du gaillard nordique, qui affrontait son destin avec un courage et une sérénité propre à cette race. Le brigand semblait moins serein. L'homme au baillon semble être un roi, ou quelque chose comme ça. Je comprends que les impériaux soient contents de leur prise.
Je passe les détails, je ne vais pas me mettre à faire comme les impériaux, et consigner par le menu le moindre incident. Pour autant, je ne suis pas prêt d'oublier leur minutie toute administrative, allant jusqu'à nous faire passer sur le billot par ordre alphabétique ! Ce sont vraiment de sacrés grattes-papier, doublés d'impitoyables tueurs. Le brigand de Lenclume a tenté de fuir, il a été abattu comme un animal, d'une flèche dans le dos. Pour ma part, après avoir constaté dans cet extrême moment que je n'avais rien à faire là, leur général, une sale bonne femme, a décrété que je subirai malgré tout le même sort que les autres. Le gradé qui dirigeait les exécutions a eu beau m'adresser un regard peiné, il n'a certes pas levé le petit doigt pour me défendre... Mais je suppose que les rebelles et les déserteurs subissent un sort peu enviable, dans cette armée de brutes fonctionnarisées.
Puis mon tour est venu... le souvenir de ce qui s'est passé alors me fait l'effet d'un rêve. Cela devait pourtant être vrai, puisque je suis encore là, assis dans la neige, à la sortie de ce temple maudit. J'avais la tête sur le billot, les yeux dans les yeux du compagnon d'infortune encore fumant qui m'a précédé, décapité quelques secondes plus tôt... je me rappelle vaguement des genoux du bourreau, de sa longue hache qui se lève, puis tout devient incertain, des gens crient, un son inhumain déchire l'air glacial, un souffle de feu passe tout près de moi, des morceaux de pierre tombent de la tour. Avant de perdre connaissance, je l'ai vu, mais ce fut comme si j'avais déjà compris. Il était juché sur le donjon au-dessus de nous, labourant la pierre de ses puissantes griffes, et crachant ses flammes sur la piétaille dispersée à ses pieds. Le dragon. Une partie de moi-même se refusait à croire à ce prodige et cherchait une autre explication, mais une autre savait déjà l'inéluctable : les dragons sont revenus, et plus rien ne sera comme avant désormais.
Ce sont les mouvements de la charrette qui m'ont réveillés. J'étais assis en face d'un nordique d'aspect brutal -mais ils ont tous cette apparence, on passe rapidement outre après quelques temps passés à les fréquenter- et à côté de l'homme bâillonné que j'avais déjà aperçu. Il y avait aussi une sorte de brigand avec nous, originaire de Lenclume vraisemblablement, mais les événements ne nous ont pas permis de faire plus ample connaissance. J'ai tout de suite compris vers quoi nous allions. Une étrange résignation m'a envahi, peut-être causée par la certitude que rien ne pourrait nous sauver, peut-être en partie dictée par l'attitude hautaine et détachée du gaillard nordique, qui affrontait son destin avec un courage et une sérénité propre à cette race. Le brigand semblait moins serein. L'homme au baillon semble être un roi, ou quelque chose comme ça. Je comprends que les impériaux soient contents de leur prise.
Je passe les détails, je ne vais pas me mettre à faire comme les impériaux, et consigner par le menu le moindre incident. Pour autant, je ne suis pas prêt d'oublier leur minutie toute administrative, allant jusqu'à nous faire passer sur le billot par ordre alphabétique ! Ce sont vraiment de sacrés grattes-papier, doublés d'impitoyables tueurs. Le brigand de Lenclume a tenté de fuir, il a été abattu comme un animal, d'une flèche dans le dos. Pour ma part, après avoir constaté dans cet extrême moment que je n'avais rien à faire là, leur général, une sale bonne femme, a décrété que je subirai malgré tout le même sort que les autres. Le gradé qui dirigeait les exécutions a eu beau m'adresser un regard peiné, il n'a certes pas levé le petit doigt pour me défendre... Mais je suppose que les rebelles et les déserteurs subissent un sort peu enviable, dans cette armée de brutes fonctionnarisées.
Puis mon tour est venu... le souvenir de ce qui s'est passé alors me fait l'effet d'un rêve. Cela devait pourtant être vrai, puisque je suis encore là, assis dans la neige, à la sortie de ce temple maudit. J'avais la tête sur le billot, les yeux dans les yeux du compagnon d'infortune encore fumant qui m'a précédé, décapité quelques secondes plus tôt... je me rappelle vaguement des genoux du bourreau, de sa longue hache qui se lève, puis tout devient incertain, des gens crient, un son inhumain déchire l'air glacial, un souffle de feu passe tout près de moi, des morceaux de pierre tombent de la tour. Avant de perdre connaissance, je l'ai vu, mais ce fut comme si j'avais déjà compris. Il était juché sur le donjon au-dessus de nous, labourant la pierre de ses puissantes griffes, et crachant ses flammes sur la piétaille dispersée à ses pieds. Le dragon. Une partie de moi-même se refusait à croire à ce prodige et cherchait une autre explication, mais une autre savait déjà l'inéluctable : les dragons sont revenus, et plus rien ne sera comme avant désormais.