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La muse


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#1 zhephira

zhephira

Posté 29 octobre 2003 - 00:43

A la faveur des ténèbres, l’elfe se glissa sur le rebord de la fenêtre, sombre et belle créature de la nuit, glissant silencieuse dans la brume hivernale. Telle un rêve, elle s’installa sans bruit, en équilibre sur le bois humide, pour épier le créateur atteler à son œuvre. Seule la lueur d’une vieille bougie éclairait son visage juvénile et fiévreux, mais elle pouvait apercevoir ses yeux mobiles ou luisait l’inspiration, tout aussi passionné qu’au premier jour de leur histoire. Une légère bruine se mit à chanter, comme si, complice, elle avait voulu attendre que l’elfe se fût mise à l’abri pour lâcher sur le monde endormi ses larmes nourricières.

L’homme frissonna, sans même être conscient du retour de sa compagne, qui pourtant, traversait dans l’atelier sur la pointe des pieds, déambulant avec grâce entre les mécanismes inachevés qui jonchait le sol poussiéreux, à la recherche d’une couverture pour son tendre poète. Il ne leva pas même les yeux de son œuvre lorsqu’avec une infini tendresse, elle enserra ses épaules musculeuse dans la douce étouffe de laine, continuant à couvrir le papier de son écriture fine et nerveuse, mais il retint néanmoins le petite main bleue sur son épaule, d’un doigt léger, en signe de remerciement. Point n’était besoin de mot entre eux.

Immobile, elle attendit que la main aimée libère la sienne, et s’en retourna à son poste d’observation, silencieuse, comme toujours. Il pouvait se passer des lunes, sans qu’il n’entende sa belle voie basse, mais ses yeux discourraient à la place de sa gorge. Tantôt présente, attentive à ses désirs, tantôt lointaine, distante, rêveuse, telle était l’elfe : beauté mystérieuse, aussi bien douce et gracile que forte et dure comme l’acier, elle n’admettait ni les questions, ni les contraintes. Puisqu’il savait qu’elle était de retour, il poursuivrait sa tache plus sereinement. Il n’aimait qu’elle s’absente ainsi, pendant de longues journées ou il ne prenait même plus soin de lui, se hâtant de créer des mondes de merveille à lui offrir, s’assurant ainsi de sa présence, puisqu’il doutait de son amour.

Lorsqu’il posa enfin sa plume, la pluie tombait toujours, lavant la nuit des horreurs qu’elle engendrait. Il s’autorisa enfin à lever la tête vers la fenêtre, ou l’elfe sereine et souriante l’observait toujours. Son beau regard vert rencontra celui, sombre, de la jeune femme, qui brillait du même feu que le sien. Elle resta encore un moment immobile à l’observer, longue silhouette échouée négligemment dans son fauteuil, dont les bras ouvert l’invitait à la rejoindre. Elle revint à lui sans mots dire, s’installa sur ses genoux, la tête lovée dans le creux de son épaule, et il referma enfin son étreinte sur l’être tant chéri. Bien avant la musique de ses mots, elle se reput du chant de son cœur, de son odeur délicieuse, tout comme il la berçait en silence, pour tendrement se convaincre de sa réalité. Puis dans le silence, il prit la parole.

Elle l’écouta lui conter des merveilles jusqu’au petit jour, qui, jamais, pour eux, ne pénétrait dans la sombre cabane. Il créait des empires, murmurant à son oreille ébahie la naissance et la mort des rois, les licornes et les dragons, les héros et leur dame. Un instant, jongleurs et troubadours jaillissaient au cœur de la masure, donnant un spectacle féerique pour les yeux d’enfant de la belle à la peau bleue. Mais toutes les histoires ont une fin. Comme toujours, elle lui présenta une mine si triste, qu’il du lui en promettre un autre pour la lune prochaine, sans qu’aucun son ne sorte des lèvres charnues de la belle alanguie. Elle retrouva le sourire à ce prix, et dans le cœur de l’homme, rien n’était plus cher que ce sourire la.

Ce fut à contre cœur qu’il la laissa se séparer de lui, mais le feu se mourrait, et l’humidité du matin aurait bientôt tout gelé s’il n’y mettait bon ordre. Il attisa les braises, et la flambée embrassa bientôt toute la pièce. Même s’il ne l’entendait, il la devinait silencieuse, nue, sur le lit, qui l’attendait. Et lorsqu’il se leva enfin pour la rejoindre, il fut soufflé par l’immense beauté de sa maîtresse dans l’abandon, comme s’il la découvrait pour la première fois.

Ce matin là, leur étreinte fut plus tendre que jamais, et, ô délice suprême, elle lui parla.
Il était tellement subjugué par le son de sa voix, qu’il mit un certain temps à comprendre le sens de ses paroles.

« Te souviens-tu ? Tu avais une vie…Je t’ai assez volé de ton temps, tu n’es pas comme les autres, toi, je veux te rendre à ceux qui t’aime et qui t’attendent… »

Une sourde angoisse lui étreint tout à coup le cœur. Que voulait dire dans ce discourt ces accents d’adieux ?
« Mais surtout souviens-toi, tu dois continuer à me raconter des histoires… »

Le pouvoir apaisant de la promesse, la caresse de ses doigts sur ses joues, le jeune homme s’endormit enfin, sur le sein de sa maîtresse.

« Dors bien, forgeron onirique, et surtout, ne m’oublies pas. »

Le lendemain, le jeune homme se réveilla dans une cour de ferme, au milieu du tas de foin. Alarmé, il bondit sur ses pieds, écarquillant les yeux, médusé de reconnaître autour de lui, la grange familière et la porte du logis…Machinalement, il entra. Ses parents lui sautèrent au coup ! On le disait perdu depuis longtemps, emporté par la sorcière des songes qui, jamais, pourtant, ne relâche ses amants.

L’homme vécut vieux, et devint riche et célèbre, en vendant aux autres les contes qu’il écrivait. Il épousa une jeune fille des environs, qui lui offrit une belle descendance.
Mais lorsqu’il écrivait tard, dans la nuit, il lui semblait toujours voir, perchée sur sa fenêtre, une jolie elfe bleue, rayonnante de bonheur, une larme sur la joue.




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