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[h] Peau Verte Sous Etendard Rouge


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4 réponses à ce sujet

#1 PoufLeCascadeur

PoufLeCascadeur

Posté 17 mai 2007 - 17:20

CHAPITRE I



    Le capitaine orque éclata d’un rire tonitruant mais sincère qui résonna longuement dans les couloirs du Fort Phalène. Deux soldats, qui s’étaient affalés sur leur jeu de cartes, se réveillèrent ainsi en sursaut. Croyant tout d’abord à une attaque, ils comprirent rapidement avec soulagement que la bourrasque sonore qui les avait tirés de leur torpeur provenait de la table voisine où s’était installé leur collègue orque et son public.

    En effet, depuis l’arrivée de l’Orque la semaine dernière, la salle de repos des gardes du Fort Phalène s’était transformée. Les deux soldats encore somnolant comprirent qu’il leur serait impossible de retrouver le sommeil et rejoignirent le petit groupe attablé qui écoutait les aventures et mésaventures de l’Orque bruyant. Quel était son nom déjà ? Un nom bizarre … du moins pour un Orque… Ce devait être Waalhya ou quelque chose comme cela.... Quand il était arrivé au fort et que l’on avait annoncé au commandant Larrius Varo, ce dernier s’était attendu à rencontrer une Bosmer. On racontait que la peau de l’Impérial avait pris la même teinte que celle du visiteur quand ils s’étaient retrouvés nez à nez.

    Ainsi, Waalhya exposait une fois de plus une des missions du temps où il n’était que simple soldat. Les hommes du Fort aimaient entendre ces histoires car ils pouvaient toujours intervenir pour titiller le conteur et chercher à faire tourner en dérision son récit. Ce soir-là, il évoquait le temps où il travaillait comme soldat-aventurier et qu’il avait été envoyé avec une petite troupe pour régler un problème de contrebandiers dans une caverne marécageuse proche de Hla Oad. Alors qu’il décrivait la difficulté de la mission, non pas à cause des vilains qui peuplaient la grotte, mais plutôt celle du manque d’étanchéité des armures lourdes de la légion, son voisin était sans doute intervenu pour lui lancer une quelconque boutade à laquelle le conteur avait répondu par son rire sonore et une violente tape dans le dos.

    Bien qu’il ait bien vite progressé au sein de la légion grâce à son indéniable charisme, le temps où Waalhya n’était que simple soldat lui paraissait bien loin. Aujourd’hui, il occupait le rang de capitaine et champion et il donnait plus d’ordres qu’il n’en recevait. Ses soldats appréciaient sa compagnie, du moins tant qu’il était de repos. On racontait que sur un champ de bataille ou au fil de l’action, le personnage perdait radicalement sa sympathie et devenait bien moins drôle.

    Waalhya semblait avoir peu de choses d’Orque en lui. D’une part, il était moins verdâtre que ses compatriotes, et d’autre part, il était moins costaud qu’eux, bien que sa corpulence restât tout de même supérieure à celle du commun des humains. Elevé en Hauteroche puis en Cyrodil, il avait acquis une érudition certaine et était capable de discuter de sujets complexes. D’aucun disaient que Waalhya n’était rien d’autre qu’un Impérial déguisé mais sa voie puissante et son ardeur au combat rappelaient sans mal ses origines bien orques. Il maniait la hache avec efficacité mais sans plus et c’était surtout sa personnalité peu commune qui lui avait permis de gravir les échelons de la légion impériale. Excellent stratège et bon diplomate, l’armée lui confiait désormais des tâches et enquêtes plus subtiles.

    Achevant son histoire, le capitaine décréta qu’il était l’heure de se coucher. Son grade lui permettait d’avoir une chambre privée à l’écart du dortoir des gardes. Il finit son verre de sujamma et se coucha. Sa bonne humeur s’évapora vite quand il repensa à la sombre et sanglante histoire qui l’amenait dans la capitale Hlaalu. Il trouva difficilement le sommeil.


* * * * * *


    Waalhya se réveilla très tôt le lendemain. Il avait retrouvé tout son sérieux. Il frotta douloureusement ses petits yeux légèrement bridés, coiffa son bouc puis s’équipa et grignota sans appétit un morceau de pain salé. Il se mit en marche vers Balmora au moment où le jour se levait. Le ciel était clair et prévoyait une belle journée. L’Orque refusa une escorte et prit la direction de la ville au pas de course, ce qui lui permettrait d’arriver à la ville en moins d'une heure tout en faisant son entraînement matinal. A l’approche de la cité, il ralentit le pas et remit en place sa cuirasse de templier impérial. Il entra en ville par la porte sud en restant bien à l’écart du gigantesque échassier des marais, il n’appréciait pas ces créatures qui lui semblaient dangereuses. Les deux soldats hlaalus en armure d’ossements qui montaient la garde reconnurent immédiatement son uniforme et lui adressèrent un salut auquel il ne répondit pas. L’Orque traversa le quartier marchand sans prêter attention aux nombreux négociants et taverniers qui l’interpellaient pour lui vendre leur camelote. Quelques mendiants le supplièrent mais il les ignora, ils furent promptement chassés par des gardes en patrouille qui les forcèrent à retourner dans leurs taudis. Après presque une heure à errer, Waalhya découvrit enfin la place qu’il cherchait. Un grand escalier montait vers l’Est vers les quartiers les plus riches tandis qu’un autre escalier déjà moins bien entretenu menait vers la ville basse. Au loin, par delà le fleuve Odaï, l’Orque aperçut les quartiers les plus pauvres où s’entassaient des milliers de miséreux. Il resta là un moment, troublé de se trouver sur une frontière si nette séparant deux milieux sociaux.

    Le guerrier n’était pas venu pour se lamenter du sort des plus pauvres. Il gravit avec résolution les marches qui menaient au quartier des manoirs et plus précisément au manoir du conseil Hlaalu. Sur son chemin, il ne put s’empêcher d’admirer les gigantesques et magnifiques demeures des familles les plus aisées de Balmora. Il finit par arriver devant la grande demeure du conseil hlaalu. Le capitaine s’apprêtait à ouvrir une des lourdes portes quand il se remémora la raison de sa visite. Une patrouille de soldats hlaalus disparue sans laisser de traces sur une route menant à Gnaar Mok. De nombreuses pistes possibles. Des Rédorans qui refusent de coopérer. Des Hlaalus qui demandent l’aide de la légion. Une histoire obscure.

    L’homme poussa la lourde porte. Il fut immédiatement accueilli par un garde.

    « Je suis envoyé par la légion pour répondre à une requête de la maison Hlaalu, dit-il en présentant ses papiers officiels. Veuillez me conduire auprès de Dame Niléno Dorvayn.

    - Bien sûr, Monsieur. Je vous prie de bien vouloir me suivre. »

    Waalhya fut rapidement présenté à une Dunmer relativement âgée qui le conduisit jusqu’à son bureau. Elle proposa un siège à son invité et ordonna à un jeune Dunmer d’apporter des boissons. Une fois qu’elles furent servies, Niléno Dorvayn s’assit à son tour.

   « Je suis heureuse de voir que la légion a répondu à notre demande d’aide.

   - Oui … mais venons-en au fait. Je suis envoyé pour mener une enquête et je vais donc avoir besoin de tous les renseignements possibles. De nombreuses pistes sont envisageables : désertion, attaque des Rédorans ou de contrebandiers, trahison au sein même de vote maison… J’aurais besoin de leurs dossiers et d’un rapport concernant les éventuelles rivalités internes à la maison Hlaalu et susceptibles d’être en rapport avec cette affaire, répondit l’Orque d’un ton sec.

    - Bien sûr, répondit la Dunmer en saisissant l’un des lourds volumes qui s’entassaient sur son bureau. La patrouille était constituée de 22 soldats hlaalus. Il s’agissait d’une mission mensuelle de protection des routes marchandes et de réapprovisionnement des villages de la Côte de la Mélancolie. Une mission classique… »

Waalhya prit le livre que lui tendait la Dunmer. Il le feuilleta rapidement.

    « Quel a été leur itinéraire ?

    - Ils sont partis le 8 de l’Ondepluie en fin de matinée en descendant l’Odaï. Ils se sont arrêtés à la mine d’œufs de Shulk mais ses mineurs n’avaient besoin de rien. Ils y ont campé et je suppose qu’ils sont partis le lendemain pour le plateau Odaï qu’ils ont du atteindre le soir du 9. Selon les habitants de Hla Oad, ils sont arrivés le 10 en fin d’après-midi et n’ont rien signalé de particulier mis à part quelques attaques de kagoutis. Ils sont restés à Hla Oad pour la nuit et repartis très tôt le lendemain matin car la route vers Gnaar Mok est longue. Ils sont arrivés exténués à la mine d’œufs de Brand le 14 très tard dans la nuit et ont monté leurs tentes à proximité. Selon les mineurs, le temps était couvert quand ils sont partis le matin du 15 et il y a même eu des chutes de pluie. Ils ne sont jamais arrivés à Gnaar Mok.

    - La route était encore longue jusqu’à Gnaar Mok ?

    - A leur rythme il y serait arrivé tout au plus en deux jours.

    - Quand est-il des gardes ? Sont-ce toujours les mêmes qui s’occupent du transport des marchandises ?

    - Non, ces voyages sont épuisants, plusieurs équipes se relaient. Les membres de la patrouille n’étaient pas tous des soldats professionnels. Certains étaient des volontaires et avaient des familles à faire vivre. Je ne crois pas à la désertion. Parmi les 22 gardes, seul l’un d’eux avait été réprimandé une fois auparavant pour une affaire de corruption mais rien bien de grave.

    - Une mutinerie aurait-elle pu éclater ? C’est peu probable, pas si proche du but… »

    L’Orque resta songeur un moment avant de reprendre :

    « Pour avoir travaillé un certain temps dans cette région marécageuse, je sais que toutes sortes de brigands et de vermines y vivent… Je ne met pas en doute les compétences de vos guerriers mais … l’épuisement à peut être altéré leurs sens…

    - Cela aurait été stupide, intervint Dorvayn. Après avoir ravitailler la mine de Brand, la caravane devait être presque vide. Personne n’aurait pris le risque d’attaquer le convoi pour si peu. Vous pouvez conclure comme moi que ce n’est pas une simple attaque de caravane.

   - C’est curieux. Ils disparaissent sans lancer de traces de combat ni de corps, aucune revendication, pas de demande de rançon… Quelqu’un de votre maison pourrait-il être intéressé par cette disparition ?

    - Personne. Il y a toujours eu des rivalités entre certains conseillers mais ça n’irait pas jusqu’à éliminer une compagnie de soldats. Ca ne profiterait à personne.

    - Vous voyez donc là l’œuvre des Rédorans, conclut l’Orque. Mais cela ne ressemble pas à leurs pratiques. Plutôt à celle des Telvannis, je dirais… Mais c’est bien trop loin de leurs terres…

    - Les Rédorans refusent de laisser mener une enquête sur leur terres ! Ca me semble évident qu’ils cachent quelque chose !

    - Non. Les Rédorans refusent de vous laisser mener l’enquête car ils n’ont pas confiance. Ils préfèrent que la légion s’en occupe et certains de mes collègues sont déjà là-bas. Je vais mener quelques recherches ici même à  Balmora pour en savoir plus sur ces soldats et je partirais tantôt pour la Côte de la Mélancolie.

    - Parfait, répondit la Dunmer en se levant. Vous pourrez rester à l’auberge des Huit Plats où vous pourrez vous loger à prix réduit en temps qu’agent de l’empire. Un garde pourra vous y escorter si vous le souhaitez. »

    Waalhya sortit du palais à l’heure du déjeuner. Le temps était clair et aucun nuage n’entravait les rayons du soleil. Son estomac gargouillait, mécontent de ne pas avoir été rempli à son réveil. Cependant, l’Orque préféra visiter quelques boutiques avant de passer à table. Ici, un forgeron Nordique proposait un vaste choix d’armes mais rien ne lui donna envie de remplacer sa bonne hache de fer. Plus loin, un Bosmer vendait des armures d’ossement mais lui préférait bien plus son équipement en acier impérial et sa cuirasse de templier. Finalement, il retourna à son hôtel. Sa mission actuelle ne lui plaisait pas. C’était une trop sombre histoire où il n’avait pas assez de pistes.

    Finalement, il rejoignit le restaurant où il s’installa à une table sur la terrasse et commanda de la viande de scrib épicée accompagnée de coutil et de vil blé. Il accompagna le tout d’une bouteille d’un shein assez bon. Le tout lui coûta tout de même huit pièces d’or.

    Durant l’après midi, L’Orque enquêta sur le passé des gardes disparus. Il ne découvrit absolument rien de suspect. Il s’agissait de citoyens parfaitement classiques et le seul qui avaient eu des antécédents judiciaires avait été condamné pour avoir simplement « fermer les yeux » sur un trafic de sucre de lune auquel s’accordaient deux misérables marchands de la ville basse. En fin d’après-midi, l’Orque retourna au Fort Phalène pour demander une escorte. En outre, il avait déjà travaillé avec quelques soldats du Fort Phalène qui s’étaient montrés assez compétents. Ils partiraient dès le lendemain pour Gnaar Mok.


* * * * * *


CHAPITRE II




    La petite troupe dirigée par l’Orque et composée de quatre soldats impériaux, d’un nordique et d’un prêtre bréton progressait difficilement dans les marécages. Le capitaine orque menait la marche en lançant des jurons. Waalhya avait réquisitionné à contrecoeur deux échassiers des marais de Balmora. Les grands insectes avaient escaladé avec grâce les montagnes qui séparaient la capitale hlaalu de la région de la Côte de la Mélancolie puis les cochers avaient déposé leurs voyageurs près de la vielle forteresse de Hlormaren. La première journée de marche s’était déroulée sans problème majeur. Le lendemain, ils avaient quitté la route principale pour arriver plus vite à la mine de Brand mais ils avaient maintenant de la boue jusqu’au genoux. Les attaques des moustiques et des chiens de Nix rendaient déjà la progression difficile mais cela avait empiré quand le Bréton avait fait un malaise à cause de l’odeur infecte des marais. Waalhya avait ordonné qu’on lui donne deux gifles pour réveiller le malade. Ce dernier s’était relevé en titubant avant de vomir longuement contre un arbre puis de perdre à nouveau connaissance. Il était désormais porté par deux soldats, ce qui ralentissait considérablement leur marche.

« Stupide et chétif Bréton ! »
« Pourquoi la légion engage-t-elle de tels bons à rien ? »
« Un guérisseur, ça ne doit pas tomber malade ! »
« S’il ne reprend pas ses esprits dans cinq minutes, on l’abandonne ici ! »

    La colère de l’Orque et la situation actuelle laissait le reste de la compagnie dans le silence le plus total. Cependant, peut-être à cause des dernières paroles de son capitaine orque, le Bréton fit un effort pour se remettre sur ses pieds. Depuis le début, Waalhya avait maintenu une vitesse de marche rapide car il voulait arriver tôt à la mine de Brand, mais les événements imprévus les avaient ralentis et il craignait que la nuit ne tombe et qu’il se retrouve perdus dans ces marécages fétides. Waalhya s’apprêtait à allumer sa torche quand le grand Nordique lui annonça qu’une porte, vraisemblablement celle de la mine, était visible au loin. Hâtant le pas, il y arrivèrent rapidement et entrèrent dans la mine d’œufs de Brand au moment où disparaissait le dernier rayon de soleil.

    La petite mine de Brand n’accueillait que six mineurs Dunmer mais il y avait suffisamment de place pour que tous les soldats pour dormir à l’intérieur. La reine kwama avait été malade et soignée seulement récemment. Elle était donc affaiblie et les soldats kwamas seraient impitoyables avec tout visiteur autre qu’un mineur. De plus certaines galeries s’étaient effondrées. Les mineurs d’oeufs leur conseillèrent donc de ne pas s’enfoncer dans les profondeurs de la mine. Préférant conserver leurs provisions, le groupe de soldats dîna avec les mineurs et dévorèrent un plat fade mais nourrissant à base d’œufs de kwama et d’hypha facia. Le capitaine orque conseilla ensuite à ses hommes de se reposer car la journée suivante serait longue et fatigante. Ils s’endormirent tous facilement malgré la dureté du sol sur lequel reposait leurs sacs de couchage.


* * * * * *


    Comme il était toujours très matinal, Waalhya se réveilla tôt le lendemain. Seul le soldat Nordique, Skijörn, un bon élément, était déjà debout et faisait griller un rat des cavernes qu’il venait sans doute d’attraper. Le cuisinier salua son chef et lui proposa un morceau. Bien que l’odeur de la viande à cette heure-ci ne le mettait pas vraiment en appétit, il accepta tout de même car il savait que la journée serait éprouvante. L’Orque fouilla dans sa sacoche et sortit un morceau de pain salé avec lequel il fit passer le goût assez atroce de la viande de rat.

    « Chef, qu’est-ce qu’on fait ? On les réveille ? proposa Skijörn en désignant de la pointe de sa brochette ses compagnons assoupis.

    - Laissons leur un petit quart d’heure », ricana son capitaine.

    Le jour se levait à peine quand le groupe quitta la mine, mais la pluie tombait déjà avec fureur si bien que les soldats enfilèrent leurs casques. Jarnand Duplonton, le soldat et prêtre à la santé fragile, avait recouvré toutes ses forces et marchait avec conviction derrière son capitaine. Leur périple avait pris une tournure différente. Ils suivaient maintenant la route vers Gnaar Mok mais fouillaient aussi ses alentours à la recherche de corps ou de quelconques indices. Le Nordique et deux autres Impériaux étaient d’excellents pisteurs et exploraient les environs tandis que les autres étudiaient la route. Waalhya, quand à lui, scrutait le paysage afin de discerner les éventuels sites propices à des embuscades ou où les soldats hlaalus auraient pu se faire surprendre.

    La première journée de recherche fut atroce car la pluie ne leur laissa pas un seul moment de répit. La seconde journée fut plus tranquille car ils ne durent subir qu’un léger crachin mais leur nuit ne fut pas reposante car leurs tentes commençaient à prendre l’eau. Au cours de l’après-midi du troisième jour, alors qu’ils approchaient de Gnaar Mok, un des soldats impériaux, Sumulius, vient chercher Waalhya. L’Orque ordonna à ses hommes rester dans leurs zones respectives et suivit le pisteur impérial jusqu’à un grand arbre qui surplombait une mare peu profonde. Là-bas, un autre pisteur impérial s’occupait à examiner le tronc.

    « Alors ? grogna leur chef.

    - Approchez-vous et regardez ce que nous avons trouvé sur ce tronc », dit Sumulius avec excitation.

    Deux carreaux d’arbalètes étaient effectivement plantés dans le tronc du gigantesque arbre. Sumulius continua :

    «  Ce sont deux carreaux d’acier. En examinant leur facture, je peux presque vous affirmer qu’ils ont été forgés par le même artisan. Etant donné la profondeur avec laquelle, ils ont pénétré le bois, il est probable que ce soit la même arme ou deux armes similaires qui les aient tirés. Je pense qu’il doit s’agir d’arbalètes en acier.

    - Intéressant, répondit simplement son supérieur hiérarchique. Quoi d’autre ?

    - Hé bien, étant donné le temps pourtant très humide de la région, ils sont encore remarquablement bien conservés ce qui me laisse à penser qu’ils n’ont été plantés que récemment. Cela a peut-être un lien avec l’attaque…

    - Oui, lui répondit Waalhya d’un air songeur. Néanmoins quelque chose me trouble… Un premier carreau semble provenir de notre direction, c’est-à-dire le Sud, tandis que le deuxième semble plutôt venir des collines au Nord-Est.

    - Ils ont peut-être été attaqués sur deux fronts, intervient le deuxième pisteur que ses collègues surnommaient « Mumus » tant son vrai nom comportait la syllabe « Mu ».

    - Bon boulot les gars, sourit l’Orque. Sumulius, fais-moi un croquis de l’arbre et des carreaux en détaillant bien leur direction, essaye ensuite de voir d’où il pourrait venir.
Mum… euh Mulmumius (l’Orque arrivait difficilement à l’appeler par son nom officiel) … quand ton collègue aura fini de dessiner, tu t’occuperas de déloger proprement les projectiles de l’arbre et tu les mettras dans la valise. En attendant, tu vas fouiller un peu les alentours. Compris ? »

     Les deux impériaux répondirent à l’affirmative. Waalhya siffla :

« Jarnand, viens par là. Si tu n’as pas trop peur de t’évanouir… prend une branche et fouille moi cette mare. Si tu trouves quoi que ce soit de suspect, tu le nettoyes et le mets dans la valise », ordonna-t-il en désignant du menton la valise de fer et de cuir de netch bouilli qui attendait près de la mare.

    Waalhya se concentra maintenant sur sa part du travail. Effectivement, ce lieu et ses alentours étaient idéaux pour une embuscade. Les marécages rendaient la fuite difficile à cause des nombreuses lianes qui pendaient ça et là tandis que les collines qui s’élevaient tout autour permettaient de surprendre aisément ceux qui se trouvaient en contrebas.

    Le reste de la journée se passa sans découverte majeure. En explorant la mare, le Bréton avait trouvé ce qui semblait avoir été un bâton en argent mais il était tellement rouillé et rongé qu’il aurait pu appartenir à Vivec lui-même.

    Le soleil commençait à décliner quand Waalhya rejoignit Skijörn le Nordique et Mumus. Ils avaient trouvé autre chose. Ils expliquèrent à l’Orque que la zone semblait avoir été piétinée par une armée en armure lourde. La pluie avait effacé de nombreuses traces mais certaines parties plus solides du sol restaient encore marquées. Leur chef leur demanda de faire preuve de courage en continuant leurs recherches à la lueur de leurs torches tandis qu’il envoyait un de ses hommes à Gnaar Mok afin de leur trouver un endroit où dormir.

    « Et surtout, bonhomme, hâte-toi et ne traîne pas en chemin. On ne sait pas si ce qui a décimé les gardes hlaalus est encore dans la région. Alors tu fuis vers le village au moindre bruit, pigé ? »

    La recherche nocturne porta ses fruits puisqu’ils trouvèrent un bouclier hlaalu brisé à moitié enseveli proche du chemin qui remontait vers Ald’Ruhn. Cette découverte fut importante puisqu’elle démontra que les gardes hlaalus avaient été obligés de quitter leur route. Ils avaient même été contraints de dépasser Gnaar Mok, quelque chose leur avait sans doute barré la route vers le village et les avaient poussé à tenter une retraite vers les montagnes avant de se faire sans doute massacrer…

    Un frisson parcourut le dos de Waalhya quand il réalisa qu’ils se trouvaient à l’endroit où 22 gardes hlaalus avaient disparus. Ne laissant rien paraître de ses inquiétudes, il regroupa sa troupe. Ils étaient au moins à une heure du village, peut-être même deux. Il fallait se dépêcher. La nuit était noire et les torches éclairaient mal. Les gargouillements des netchs n’étaient pas rassurants. Ainsi, c’est en courant que les soldats se dirigèrent vers Gnaar Mok où ils espéraient que leur collègue leur aurait trouvé un endroit confortable où passer la nuit.


* * * * * *


Waalhya se réveilla puis bailla bruyamment. Après s’être levé et étiré, il décida de faire ce qu’il aurait voulu faire la veille au soir s’il ne s’était pas fait aussi tard mais ce que rien au monde, ni l’Empereur en personne, ni une armée démoniaque menée par une coalition de tous les Princes Daedras de l’Oblivion, ne pourraient l’empêcher de faire maintenant : prendre un bain pour se débarrasser de l’odeur écoeurante des marais.

    Fort heureusement, le messager qu’il avait envoyé la veille était arrivé sans problème. Grâce à lui, trois soldats avaient pu loger au manoir Arénim et les quatre autres à l’auberge du Repos du Chasseur de Dreugh. Le manoir Arénim n’était pas aussi luxueux que ceux que Waalhya avait entraperçus à Balmora, mais il n’en restait pas moins très confortable et ses habitants avaient été très coopératifs et accueillants. Après s’être lavé, changé et avoir nettoyé son armure, Waalhya décida de sortir du manoir. Quittant de sa chambre, il remarqua avec amusement que la salle de bains que leurs hôtes avaient mise à la disposition de sa troupe souffrait déjà d’un problème d’encombrement. En effet, le pisteur Mumus et un autre de ses soldats qui n’excellait que dans l’art d’énoncer les règlements attendaient qu’un troisième de ses hommes ne libère la salle de bain. L’Orque descendit au rez-de-chaussée où il croisa Almse Arénim, la propriétaire du manoir. Il en profita pour la remercier de son hospitalité. Il lui parla de sa mission dans la région mais n’évoqua pas les indices que son équipe avait trouvés.

    Compte tenu de la journée éprouvante de la veille, Waalhya avait laissé la matinée libre à ses hommes. Ils avaient néanmoins convenu de se retrouver à l’heure du repas à l’auberge locale. Il s’installèrent à la seule table suffisamment grande pour accueillir sept couverts et commandèrent à déjeuner. En attendant leur nourriture, le capitaine orque déplia sur la table une grande carte de la région où il avait noté la position des différents indices trouvés et celle des zones à embuscades qu’il avait repéré. Après avoir analysé la situation, ils décidèrent qu’ils suivraient la route vers Ald’Ruhn et qu’ils partiraient juste après leur repas. Ou plutôt, l’Orque décida ainsi et ses hommes ne purent que se plier à sa décision tout en se lamentant comme quoi ils auraient aimé avoir une journée complète de repos. Un des Impériaux, plus malin que ses collègues, demanda innocemment à  Waalhya de leur raconter une de ses (parfois interminables) histoires mais celui-ci comprit la ruse et s’abstint.

    L’auberge semblait manquer cruellement de main d’œuvre puisque ce fut le patron et le cuisinier qui leur apportèrent leurs plats : une spécialité locale ou plutôt le seul plat que l’auberge servait, c’est-à-dire un bol contenant du poisson et une purée des champignons de la région. Cela plut toutefois au groupe qui paya une somme très correcte. Ils quittèrent rapidement Gnaar Mok en se dirigeant vers les montagnes au Nord-Est tandis que le vent se levait et qu’une fine pluie commençait à tomber.


* * * * * *


La route menant vers Ald’Ruhn passait par les montagnes. Le chemin devenait rocheux et était plus praticable. Les pisteurs poussèrent l’exploration mais ne découvrirent rien sinon quelques entailles dans la roche pouvant provenir d’un coup d’épée comme des cornes d’un kagouti. On pouvait apercevoir loin au Nord, la silhouette de l’imposante place forte dunmer d’Andasreth, occupée par la maison Hlaalu mais on disait que l’endroit servait aussi de refuge pour leurs hors-la-loi. Waalhya contempla l’immense bâtisse qui s’élevait bien au-dessus d’eux. Il fut tiré de ses rêveries par une pluie glaciale qui s’abattit sur eux. La nuit tomba rapidement et ils montèrent avec difficultés leurs tentes sous le déluge. Plus tard, un puissant vent se leva et l’orage éclata. Ils durent convenir à chercher un abri plus solide. Ils entamèrent une course effrénée vers le Nord. Un éclair zébra le ciel et frappa un arbre au loin.

    Ils coururent ainsi pendant plusieurs minutes. Une bourrasque manqua de les balayer alors que le tonnerre grondait tout autour d’eux. Skijörn avait pris de l’avance et il avait semble-t-il trouvé l’entrée d’un tombeau. La porte ne semblait pas verrouillée mais plutôt bloquée. Le Nordique pestait et tentait de la défoncer. Grâce aux assauts cumulés et coordonnés de l’Orque et du Nordique, la porte céda. Le groupe se réfugia à l’intérieur. On fit l’appel et personne ne manquait. Malheureusement, la porte était trop endommagée et Waalhya refusait qu’on la ferme, de peur qu’elle se bloque à nouveau et qu’ils se retrouvent piégés. Des trombes d’eau se déversaient sur eux par l’ouverture béante. Avec difficulté, Waalhya alluma une torche puis il proposa de descendre plus profondément dans la sépulture.

    Ils passèrent une première porte et se retrouvèrent dans une pièce remplie d’urnes. Waalhya referma la porte après que tous ses hommes soient passés afin que l’eau ne pénètre plus dans le caveau. Alors qu’il se retournait vers ses soldats, il remarqua de Mumus et Sumulius avait dégainé leurs armes et scrutaient l’obscur couloir au fond de la pièce.

   « J’ai entendu un bruit, déclara le premier.

    - Ou..oui moi aussi », répondit l’autre d’une voix male assurée.

    Waalhya, étant le seul à avoir une torche, avança prudemment. Sans quitter le couloir des yeux, il s’adressa autoritairement à ses hommes :

    « Ne touchez à rien ! Il y a sans doute ici des esprits qui gardent les possessions des défunts. Il paraît que les Dunmers raffolent de ça… S’ils comprennent que nous ne sommes pas des voleurs, ils nous ignoreront peut-être. »

    L’Orque avançait lentement, tenant sa torche de la main droite et son grand écu d’acier de la gauche. A chacun de ses pas, une petite partie du couloir se révélait. Il s’efforçait de respirer calmement. Mais son sang se glaça dans ses veines quand la lumière de sa torche dévoila une silhouette semblant humaine.


* * * * * *


Nul ne bougeait dans la pièce. Les vivants étaient tétanisés et la créature restait immobile. La lumière dévoila sa nature : celle d’un mort-vivant. Il s’agissait d’un grand squelette aux os grisâtres et poussiéreux. Il portait une toge usée et déchirée par endroits. Le gardien ne semblait pourtant pas agressif aussi Waalhya bégaya-t-il quelques excuses comme quoi ils étaient de simples soldats impériaux à la recherche d’un abri pour passer une tempête. Quelques secondes s’écoulèrent avant que le squelette ne s’anime lentement et à la grande stupéfaction du chef orque, lui fasse un geste silencieux l’encourageant à le suivre. Invitation … ou provocation ? Le capitaine jeta un coup d’œil à ses compagnons qui semblaient tout aussi perdus que lui et leur fit signe de ranger leurs armes mais de rester sur leurs gardes. Après quelques instants d’hésitation, il suivit le zombie.

    Il n’avait fait que de deux ou trois pas dans le sombre couloir quand la lumière de la torche dévoila une seconde forme dans la pénombre. Un homme, probablement mort, était assis contre le mur. Toujours silencieusement, l’esprit lui désigna la dépouille. Après s’être assuré que le capitaine avait bien compris, le gardien disparut dans les profondeurs obscures et silencieuses de la tombe. Avec prudence, Waalhya approcha sa torche du cadavre. C’était un guerrier qui portait une armure d’ossements dont un bouclier arborant les armes des Hlaalus. Se pourrait-il que ce soit un des gardes disparus ?! Ce serait vraiment un sacré coup de chance …


    Avec l’aide du reste du groupe, le corps fut transporté jusqu’à l’entrée du tombeau. Waalhya le fouilla et découvrit son identité : Movrym Odriam. Odriam … Ce nom lui rappela quelque chose … Oui, c’était l’inscription qu’il avait lue sur la porte du tombeau. Ils se trouvaient donc dans le tombeau ancestral des Odriam. Enfin l’Orque sortit de sa sacoche la liste des soldats hlaalus disparus : Morvym Odriam en faisait parti. Il aurait hurlé de joie si l’endroit n’avait pas été aussi lugubre.

    Jarnand Duplonton se révéla très utile pour examiner le corps. Sans doute blessé par ses poursuivants, Movrym Odriam s’était traîné jusqu’au tombeau de ses ancêtres où il avait pu profiter de la sécurité du sanctuaire et peut-être même que les gardiens qui l’occupaient avaient senti l’imminent danger que courait l’un des leurs et l’avaient protégé des ses agresseurs. Malheureusement, le soldat avait reçu une blessure profonde au ventre et souffrait d’une grave hémorragie. En outre, même soigné par les meilleurs guérisseurs de l’île, sa vie aurait été en péril, alors perdu dans un tombeau avec seulement quelques vivres, son sort était certain. L’analyse de la blessure permit de déterminer que son meurtrier maniait probablement une lame lourde très large. L’unique coup délivré avait fait explosé son armure et entamé ses chairs.

    Plus de doute possible, les gardes hlaalus s’étaient faits massacrés, vraisemblablement par des guerriers bien équipés. Mais cette découverte n’excluait toujours pas une éventuelle culpabilité des Rédorans.


    La bonne humeur était revenue. Waalhya était soulagé et affichait maintenant un sourire satisfait.
    « Allez les gars, quand la pluie aura cessée, nous quitterons ce lieu. Je crois que nous avons suffisamment dérangé ses gardiens. Vous avez tous fait un excellent travail et je le mentionnerais dans mon rapport. Et si vous êtes sages, je vous raconterais une histoire ! »


* * * * * *

Modifié par PoufLeCascadeur, 20 septembre 2007 - 13:45.


#2 PoufLeCascadeur

PoufLeCascadeur

Posté 10 juin 2007 - 09:19

CHAPITRE III




     La jeune Dunmer s’extirpa de la carapace de l’échassier dans la noirceur de la nuit. Sa tête lui tourna quand elle posa le pied sur le ponton tandis qu’elle s’étirait le dos. Elle versa à son chauffeur les 85 pièces d’or qu’elle n’avait pas réussi à marchander puis entreprit la descente de la longue pente qui menait à la ville, croisant sur son passage quelques gardes Rédorans qui s’empressaient de venir décharger la caravane. Elle avait quitté Coeurébène avec son collègue orque et une escorte de soldats impériaux jusqu’au Fort Phalène où ils étaient restés quelques jours mais elle avait suivie seule le chemin de Balmora où elle avait pris le premier échassier des marais pour Ald’Ruhn.

     Kattlea Ulsirim, c’était son nom, dégrafa le voile qu’elle avait placé sur son visage quand la tempête des cendres s’était levée. Un peu plus petite et chétive que les autres femmes Dunmer, son air timide, ses longs cheveux couleur cuivre et ses grands yeux brûlant d’un feu mauve suffisaient à décrire la jeune femme. Elle servait l’empire en tant que magelame et occupait le poste d’agent de la légion mais sa propension à tomber malade avait enrayé sa progression au sein de l’armée. Elle n’était venue qu’à contrecœur dans cette région poussiéreuse. Un groupe de soldats hlaalus avait disparu, la Maison Rédoran était potentiellement coupable et la situation risquait de dégénérer en un conflit autrement plus préoccupant que la Guerre des Maisons à laquelle se livraient couramment les nobles par le biais de la Morag Tong. La légion devait intervenir.


    Saisissant son bagage sous le bras, la Dunmer lança une formule d’Intervention Divine. Tout devint blanc autour d’elle. Elle se sentit portée comme une plume dans une main de géant. Quand les couleurs réapparurent, elle se trouvait au centre d’un petit cercle dessiné sur le sol dans la cour du Fort Silène. Les gardes qui patrouillaient ne furent aucunement surpris par l’apparition et lui indiquèrent l’entrée du quartier général. A l’intérieur, elle rencontra le commandant Raesa Pullia, une Impériale autoritaire qui laissait paraître une redoutable aura d’efficacité. Après l’interminable protocole de salut auquel Kattlea devait se livrer, sa supérieure lui indiqua en vitesse les différents services du Fort, de la ville d’Ald’Ruhn, les contacts importants, les événements actuels dans la région des Rédorans et finit son exposé en confiant à la jeune Dunmer désorientée le paquet contenant ses instructions.

    Elle se rendit silencieusement dans le dortoir des femmes afin d’en prendre connaissance dans un milieu calme. Elle remarqua avec joie que le Fort Silène était très silencieux de nuit, contrairement au Fort Phalène dans lequel résonnait toutes les nuits des rires sonores… Le colis contenait une petite clochette dorée ainsi qu’une lettre l’informant précisément de ses instructions. Kattlea devait prendre contact avec l’agent de l’Ordre des Lames posté à Ald’Ruhn. Bien entendu, elle ignorait son identité et continuerait à l’ignorer tout au cours de la mission. Elle devait se rendre à l’auberge d’Ald Skar à l’heure du déjeuner un jour où ferait rage une tempête des cendres et poser bien en évidence sur sa table la clochette dorée. Si tout se passait bien, un simple messager, ignorant sûrement l’importance de sa course, viendrait lui porter une lettre codée contenant les informations recueillies par les espions de l’empire à Ald’Ruhn. Le succès de la mission dépendrait alors des capacités de la jeune femme à déchiffrer le code, chose à laquelle, paraît-il, elle excellait.


* * * * * *


    Au grand bonheur des habitants d’Ald’Ruhn, les trois jours qui suivirent l’arrivée de l’agent furent magnifiques. La magelame avait passé la première journée à visiter Ald’Ruhn mais la ville ne l’intéressait pas davantage aussi avait-elle préféré rester au fort où elle s’ennuyait fermement. Une petite bourrasque balaya le sol trop tard dans l’après-midi du quatrième jour. Par contre, le cinquième jour, une tempête des cendres se leva au milieu de la matinée. Kattlea s’installa à une petite table inoccupée de l’auberge d’Ald Skar et commanda à déjeuner pour peaufiner sa couverture. On venait tout juste de lui servir une généreuse assiette fumante de viande de guar grillée, d’igname des cendres et d’autres légumes qu’elle ne connaissait pas, qu’une Bosmer souriante fit son apparition. Sans dire un mot, elle souleva la clochette et glissa une enveloppe juste en dessous puis remonta à l’étage en lui lançant un « Bonne journée ! ».

    Après avoir fini son repas, la Dunmer étudia le message qui lui avait été délivré. Le décodage fut relativement facile : il ne portait pas sur les lettres mais sur la tournure des phrases ; toute personne extérieure à l’affaire n’aurait vu là qu’une banale liste de course. Selon l’informateur d’Ald’Ruhn, les Rédorans n’avaient effectués aucun mouvement de troupes particuliers et ils avaient suffisamment de problèmes pour vouloir en plus se mettre à dos la Maison Hlaalu. Il était vrai que la Maison Rédoran s’était très affaiblie ces dernières années et que la situation avait empiré au cours des derniers mois. En outre, elle éprouvait de plus en plus de difficultés à faire régner l’ordre sur ses terres où pullulaient toutes sortes de brigands et de contrebandiers.

    La lettre évoquait en détail ce qui faisait souffrir actuellement la Maison Rédoran : les attaques de plus en plus fréquentes sur les routes, les rivalités entre les différents conseillers, la montée en puissance d’un mystérieux culte de la Sixième Maison, les tempêtes des cendres qui gênaient les fermiers … Une affaire attira plus particulièrement l’attention de la Dunmer : il y avait eu aussi plusieurs cas de disparitions au cours des derniers mois chez les Rédorans. Par contre, cela ne concernait pas un groupe de gardes mais des personnes isolées. Ainsi, un éleveur de guars puis trois marchands et deux pèlerins avaient disparu dans la vaste région inhabitée qui s’étendait au Sud du village de Gnisis. Pour des histoires d’honneur et de fierté, la Maison Rédoran avait souhaitée enquêter seule sur cette affaire. La légion avait accepté sa requête tout en déclarant qu’elle interviendrait si un seul citoyen de l’empire venait à disparaître à nouveau. Mais il n’y avait eu aucun nouvel enlèvement depuis un mois.


    Au vu des difficultés qu’elle traversait en ce moment, Kattlea avait rayé immédiatement la Maison Rédoran de sa liste des suspects. Il restait donc cette mystérieuse affaire de disparitions qui rappelait celle des gardes hlaalus puisque aucune demande de rançon n’avait été faite. Néanmoins, entre s’attaquer à un marchand et à un convoi de soldats, il y avait là un gouffre, une abîme même. Mais peut-être les ravisseurs avaient-ils décidé de franchir un cap supérieur ?

    L’expérience avait appris à la Dunmer à se fier à son instinct. Aussi décida-t-elle de s’intéresser à ces enlèvements.


* * * * * *


    La première chose à faire était d’entrer en contact avec les Rédorans qui avaient mené l’enquête dans la région. Suivant les conseils du commandant Raesa Pullia, Kattlea s’adressa à Imsin la Réveuse, une Nordique sévère qui la dépassait de plus de deux têtes et qui occupait pour ainsi dire le poste le plus important du fort puisqu’elle gérait toutes les affaires de la région. Cette dernière l’informa qu’un chevalier rédoran du nom de Trylès Ramoran s’était rendu dans la région de la Faille de l’Ouest avec un groupe de guerriers. Il était revenu la semaine dernière et ses recherches n’avaient parait-il rien donné.

    Kattlea prit donc le chemin d’Ald’Ruhn. Un souffle très léger balayait la cité, faisant stagner un nuage de poussière sur toute la ville. La Dunmer aperçut alors la silhouette imposante, presque terrifiante, de la gigantesque carapace du crabe empereur que les autochtones appelaient Skar. Là, en ce qui avaient été jadis ses entrailles, la créature abritait désormais les manoirs des conseillers Rédorans. Elle avait déjà pénétré dans cette carcasse une fois auparavant. C’était il y a bien des années, quand elle n’était qu’une simple recrue et qu’elle servait d’escorte à une mission diplomatique. Une chose l’avait alors surtout marquée : l’antipathie des conseillers qui habitaient cette structure.


    Après avoir timidement demandé son chemin à un garde, elle traversa les différents ponts qui ornaient la zone centrale et entra dans le manoir Ramoran. Ses occupants masquaient difficilement leur mépris en voyant une Dunmer porter l’uniforme impérial. Trylès Ramoran, fils de Hlaren Ramoran, Seigneur de la Faille de l’Ouest et conseiller de la Grande Maison Rédoran, possédait sa propre chambre dans les quartiers privés du manoir où elle n’était bien évidemment pas autorisée à se rendre. On la fit attendre dans le hall d’entrée tandis qu’un valet allait l’annoncer. Elle écouta d’une oreille indiscrète la conversation de deux gardes qui évoquaient la rumeur qui circulait en ville comme quoi leur seigneur et archimaître Bolvyn Vénim aurait une relation avec la femme d’un conseiller.

    Un Dunmer d’une forte carrure et richement vêtu se présenta à elle et l’invita poliment à s’installer à une table loin des couloirs bruyants.

    Le chevalier rédoran lui détailla donc son enquête. Il n’était pas particulièrement antipathique mais son air pédant et arrogant propre aux jeunes nobles de sa Maison le rendait difficilement supportable tandis que ses excès de courtoisie et de galanterie dévoilaient une certaine forme d’hypocrisie.

    « Un échassier des marais nous a conduit mes hommes et moi dans la région côtière qui se situe au Sud du Sanctuaire de la Caverne de Koal. Nous avons ensuite exploré tout le secteur pendant trois semaines. Nous sommes tombé sur quelques repaires de contrebandiers que nous avons fouillés après avoir chassé les scélérats qui s’y cachaient mais nous n’avons trouvé que des caisses de sucre de lune, d’alcools ou d’objets volés. Aucune trace de quelconques prisonniers. Tandis que nous progressions vers le Sud, la place forte d’Andasreth est apparu et avec elle, l’éventuelle culpabilité de ses habitants. Mais nous ne nous sommes pas approchés de la forteresse, ceux qui l’occupent nous auraient certainement attaqué à vue. Nous avons décidé d’explorer les montagnes aux alentours, mais nous avons eu l’impression d’être épiés puis notre crainte s’est accentuée quand un membre du groupe a disparu et…

    - Pardon ? l’interrompit prudemment Kattlea, quand vous dîtes disparu, vous voulez dire mort, je suppose ?

    - Euh … non, lui répondit-il, disparu sans laisser de trace alors qu’il était parti chercher du bois pour le feu. Nous avons redoublé d’efforts dans nos recherches pour le retrouver mais en vain…

    - Un citoyen de l’empire qui disparaît à nouveau et vous le cachez à la légion ?! Tout cela pour garder le monopole de l’enquête ? lui dit-elle avec mépris.

    - Connaissant la région, nous avons fait la supposition qu’il avait était probablement tombé dans un des nombreux ravins. Nous l’avons pensé mort et nous l’avons signalé comme tel, s’exclama-t-il.

    - Mettant ainsi en périr tous les habitants de la région ?!

    - Vous ne comprenez pas, vous…

    - Non, le coupa-t-elle avec une fermeté qui l’étonna elle-même, non je ne comprends effectivement pas votre attitude. Je vais en informer la légion. Nous allons prendre l’affaire en main désormais.


* * * * * *


    Andasreth. La légion irait là où les Rédorans n’avaient pas pu. La place forte avait mauvaise réputation, c’est pourquoi Imsin La Rêveuse et le commandant Raesa Pullia tombèrent d’accord pour y envoyer un bataillon de soixante-quinze hommes. La mission fut confiée à un officier du nom de Tétrius Maggnat, un Impérial chauve presque aussi imposant qu’un Nordique. Extrêmement compétent en plus d’être une fine lame, il était néanmoins réputé comme étant brutal et impitoyable. Il n’avait semble-t-il qu’un seul défaut : il était arrivé en Morrowind depuis deux semaines et il ne connaissait absolument rien des Elfes Noirs. Son proverbe : « Celui qui pense que la violence ne résout rien n’a pas frappé assez fort ». Imsin La Rêveuse lui avait confié un mandat de perquisition de la forteresse mais les personnes douteuses qui s’y terraient refuseraient peut-être de coopérer aussi la présence des soldats était-elle donc nécessaire.


    La troupe quitta le Fort Silène un matin où le soleil brillait difficilement dernière des nuages. Si le temps restait calme, il leur faudrait six à sept jours pour atteindre Andasreth. Tétrius Maggnat menait la troupe, non sans quelques éclaireurs qui lui qui lui expliquaient le chemin et lui décrivaient la région.


   Une tempête des cendres le premier jour puis le violent orage qui sévit sur toute la région durant la quatrième nuit avaient ralenti leur progression. Mis à part le village de Gnisis plus loin au Nord, la région de la Faille de l’Ouest était pour ainsi dire complètement inhabitée. Ces plaines désertes étaient seulement traversées par les pèlerins qui voulaient prier à la Caverne de Koal ou ceux qui venaient déposer des présents devant le tombeau ancestral de Véloth, le prophète et guide des ancêtres des Dunmers. Mais depuis les récentes disparitions, les pèlerins se faisaient moins nombreux.

    Après avoir passé la plus grande partie du voyage en compagnie d’un petit groupe de mages de guerre brétons, Kattlea s’était dirigée vers la tête de la troupe afin de rencontrer ce fameux officier impérial. Cet homme était assez désagréable et arrogant mais certaines de ses attitudes lui rappelaient parfois son collègue Waahlya. Elle s’imagina l’Orque en train de barboter dans les marécages où il avait été envoyé enquêter et cette image la fit sourire. Par contre, elle fut bien embarrassée quand l’officier impérial lui demanda de lui parler des coutumes de ses congénères, puisqu’elle avait quitté les Telvannis dans sa toute jeunesse avant de s’installer dans une ville impériale, et que finalement, elle n’en savait pas grand-chose.

    Ils arrivèrent à la forteresse le septième jour au milieu de l’après-midi sous une pluie diluvienne. Trois mercenaires, un guerrier Dunmer et deux archers Bosmer, avaient observé la troupe. Ils se placèrent en travers du chemin de l’officier qui s’engageait dans la montée des marches qui menaient à la propriété :

    « Pardonnez-moi, Monsieur, dit l’un d’eux d’un ton mal assuré, mais personne n’est autorisé à pénétrer ici. »

    L’Impérial fronça les sourcils et se tourna vers son capitaine :

    « Mettez-moi immédiatement ces trois guignols au frais pour obstruction à la justice. »

    Les trois guignols en question eurent à peine le temps d’esquisser un petit sourire surpris qu’un déluge de légionnaire s’abattait déjà sur eux et les plaquait au sol. Un des archers réussit à se dégager et courut en direction de la place forte. Tétrius Maggnat ramassa le casque en acier du Dunmer qui gigotait au sol et le lança avec force vers le fuyard.

    « Sonnez l’al… »

    Le projectile atteignit sa cible dans un bruit sourd et le Bosmer s’étala lamentablement dans une flaque de boue. L’officier ne voulait pas que l’alerte soit donnée aux habitants d’Andasreth. Non, il voulait leur faire la surprise.


* * * * * *


    Tétrius Maggnat frappa à la lourde de porte. Il affichait un sourire sympathique et chaleureux, et toute personne qui serait passée par là se serait dite à tort « Voilà un homme bienveillant ». On entendit le bruit familier d’un cliquetis de serrure puis la lourde porte s’ouvrit en grinçant et un Dunmer grisonnant fit son apparition, d’abord pour le moins étonné de voir l’officier et toute cette attroupement qui attendait derrière lui. Sans dire un mot, arborant toujours son sourire, l’Impérial lui brandit un papier et, alors que le Dunmer approchait son visage du document, le bras puissant de l’officier le saisit par le col. Tétrius Maggnat pénétra ainsi dans la forteresse, tenant par le col le vieux Dunmer de l’entrée, lequel se débattait vainement. Il ordonna à ses hommes d’investir le bâtiment.


    Les occupants de la place forte accouraient déjà, prêts à se défendre vaillamment, mais ils s’arrêtèrent dans leur élan, voyant que les intrus portaient les uniformes de la légion. Maggnat annonça d’une voix puissante qui résonna dans tout le niveau inférieur de la forteresse et peut-être même dans les niveaux supérieurs :

    « Habitants d’Andasreth. Ceci est une perquisition menée par la légion impériale. Veillez tous retourner calmement dans vos appartements et attendre en silence que vos quartiers soient fouillés. Toute personne refusant de se plier à ce règlement sera arrêtée pour non respect d’une consigne impériale. Toute personne qui sortirait une arme ou qui manifesterait un quelconque signe d’agressivité sera considérée comme traître de l’empire et pourra être mise à mort si la situation l’exige. »

    Provenant d’un autre homme, ces paroles brutales auraient pu paraître absurdes, mais sorties de la bouche de l’officier impérial, elles clouèrent sur place tous les guerriers de la place forte. Tétrius Maggnat baissa le ton puis s’adressa à son capitaine :

    « Vous pouvez commencer. »


    Les soldats débutèrent leurs recherches. Toutes les salles, tous les quartiers privés, même les égouts furent fouillés. Tétrius Maggnat se rendit dans les complexes supérieurs afin de trouver le dirigeant d’Andasreth. Suivant les indications du Dunmer de l’accueil qu’il traînait toujours, il s’engagea dans un long couloir puis arriva devant l’entrée d’une vaste chambre et abandonna au sol son guide. Après avoir défoncé d’un coup de pied la porte, qui n’était d’ailleurs même pas verrouillée, l’officier impérial et deux de ses soldats pénétrèrent dans la salle sous les yeux médusés de deux Dunmer, un homme assez âgé qui travaillait à une table et une jeune femme très belle qui portait une armure de cuir de netch. Par simple réflexe, elle approcha la main de la garde de son épée mais l’Impérial lui empoigna le bras et le lui broya. Il la désarma et la projeta avec violence contre un meuble de bois qui s’écroula sous le choc. La Dunmer se redressa douloureusement et lui lança un regard froid, serrant les poings et les dents pour contenir sa rage et ne pas se jeter sur son agresseur. Ne laissant même aux deux Dunmer le temps de s’énerver, l’officier commença :

    « C’est vous qui commandez ici ?

    - Euh …Oui … enfin non … mais … disons plutôt que j’occupe le poste le plus important, bredouilla l’homme en se levant de son siège. Mais que signifie cette intrusion ?!

    - Vous étiez sans doute beaucoup trop occupé pour entendre la sommation que j’ai faite en entrant dans ce bâtiment et que j’ai d’ailleurs répétée quand je suis arrivé à l’étage…, continua l’Impérial. Nous procédons à des fouilles. Contentez-vous de vous taire et tout ira bien.

    - De quel droit entrez-vous dans cette forteresse ? C’est une propriété privée ici !

    - J’ai un mandat, lui répondit-il simplement.

    Le Dunmer parcourut des yeux le manuscrit que lui tendait l’officier. Tout semblait être en ordre. L’Impérial rangea la feuille et donna l’ordre à ses soldats de commencer les recherches. Tous les meubles, étagères, coffres de la pièce furent vidés car l’officier, qui savait pertinemment que dissimuler un prisonnier dans un tiroir restait un exploit difficilement réalisable, cherchait surtout à déstabiliser le Dunmer qu’il avait en face de lui. Après presque une heure de recherches sous le lourd silence imposé par l’Impérial, un capitaine se présenta et chuchota quelques mots à l’oreille de son supérieur. Tétrius prit la parole d’un ton calme en saisissant un pot bleu en céramique qui reposait sur une étagère :

    « Nous enquêtons sur une affaire de disparitions, vous devez sans doute savoir quelque chose à ce sujet.

    - Nous en avons seulement entendu parlé. Mais si vous avez déjà fouillé la forteresse, vous n’avez rien du trouver car nous n’avons rien avoir avec cette affaire ! Alors tirez-vous maintenant ! s’emporta le Dunmer.

    - Toutes les disparitions se sont produites aux alentours de cette place forte. Je veux bien croire à une coïncidence, mais si vous me dîtes que vous n’avez rien remarqué de suspect dans les environs au cours des derniers mois, je vais prendre cela pour de la mauvaise volonté, lui dit-il avec un air faussement contrarié tout en étudiant attentivement l’objet qu’il avait dans les mains.

    - Barrez-vous !

    - On refuse de coopérer ? conclut l’Impérial, en jetant négligemment le pot bleu qu’il tenait, lequel explosa au contact du sol.

    - Espèce de …

    - Bouclez-la tout de suite si vous ne voulez pas que je vous envoie aux travaux forcés pour injure à un officier de la légion », coupa l’Impérial.

    Il reprit la discussion :

    « Bien. Mes soldats n’ont effectivement vu aucune trace des disparus mais ils ont cependant trouvé des choses intéressantes : quelques objets dwemers, des esclaves argoniens et khajiits, mais surtout de très grandes quantités d’alcool. Parlons-en.

    - Nous n’avons aucun esclave volé, tous ont été achetés comme il se doit au marché de Suran. Et ce n’est pas trois ou quatre gobelets dwemers qui vont ruiner l’empire. Nous avons une quarantaine de caisses de bouteilles d’alcool, la plupart ont été achetés à l’empire mais je reconnais que certaines proviennent de la contrebande. Vous pouvez toujours me faire payer une amende pour ça, si cela vous fait plaisir, ricana-t-il.

    - Vous devez avoir un papier quelconque prouvant que vous les avez achetées à l’empire… Montrez-moi ça. »

    Après avoir fouillé dans un tas de feuillets que les soldats avaient renversé, le Dunmer lui tendit la facture. L’officier impérial y jeta un coup d’œil et continua d’un ton glacial :

    « Oui, ça m’a l’air d’être légal… Par contre, ça serait vraiment dommage si ce papier venait à disparaître parce que du coup, cela voudrait dire que toutes vos cargaisons d’alcool viennent de la contrebande…

    - Quoi ?! C’est absurde ! Il y a des documents à Coeurébène qui certifient nos achats !

    - Figurez-vous qu’un de mes amis hauts placés dans l’administration de la Compagnie de l’Empire Oriental m’a dit qu’il y avait beaucoup de courants d’air à Coeurébène et qu’ils leur arrivaient souvent de perdre des documents, déclara l’Impérial. Apportez-moi une torche, ordonna-t-il à un de ses soldats.

   - Mais … ?! Je vais porter plainte !

   - A vrai dire, je vous souhaite bonne chance. Ce sera la parole d’un officier de la légion contre celle d’un voleur hlaalu, dit-il avec un sourire cruel tout en saisissant la torche qu’on lui apportait.

    - A..attendez !...

    Tétrius approchait doucement la torche du document. La flamme était juste en dessous du papier dont les bords commençaient à se recourber légèrement sous l’effet de la chaleur.

    - Toujours pas décidé à coopérer ?

    - Attendez, attendez ! Très bien, je vais parler. Nous … nous n’avons rien à voir avec ces disparitions mais depuis quelques temps, nos guetteurs ont repéré un navire … un navire qui semble patrouiller dans les environs…

    - Un navire ? répéta l’Impérial.

    - Oui … la dernière fois qu’il a été vu, c’était il y a un peu plus d’une semaine et il longeait la côte vers le Nord. Il … il nous a intrigué car il ne porte pas l’étendard impérial mais un étendard rouge écarlate.

    L’officier lança le précieux parchemin au Dunmer et remit la torche sur son socle. Il sortit de la pièce sous l’œil sidéré de ses hommes, dont tous étaient troublés par les méthodes brutales de leur nouvel officier.


    Kattlea avait observé toute la scène depuis le couloir. Quand le régiment sortit de la forteresse au moment où le jour commençait à décliner, elle s’approcha de l’Impérial et lui lança un regard noir :

    « Je trouve vos méthodes vraiment trop violentes….

    - Agent Kattlea Ulsirim, d’une part je ne vous demande pas votre avis et d’autre part, il est peut-être temps que vous appreniez ce qu’est le bluff. Oui, ce n’était que du bluff, un peu musclé, certes. Je suis arrivé en Vvardenfell il y a à peine trois semaines et je ne connais personne à Coeurébène. Et si j’avais brûlé ce document, je me serais peut-être même fait rétrogradé, lui avoua-t-il avec amusement.

    - Peut-être. Mais c’est avec ce genre de comportements que les Dunmers vont continuer à détester l’empire.

    - Non, ce n’est pas l’empire qu’ils vont détester, mais moi. Tant pis, j’assume, lui avait-il fait remarquer en s’éloignant.


* * * * * *


    Le régiment partit donc vers le Nord. Les deux premiers jours de voyage furent difficiles car il leur fallait tracer leur propre chemin à travers les montagnes. Ensuite, le paysage rocheux disparut pour laisser place aux plaines désertes où ils continuèrent leur marche sous la pluie en suivant ce qui semblait avoir été jadis une route. Au début de l’après-midi du troisième jour dans les plaines, un éclaireur s’approcha de Tétrius Maggnat : un navire avec un étendard rouge avait été repéré au large.


    Les soldats impériaux montèrent un campement derrière une petite colline afin de rester hors de portée de vue des occupants du navire mais des éclaireurs se relayaient continuellement pour espionner le bateau et ainsi avertir l’officier au cas où il ferait voile. Tétrius Maggnat aurait aimé pouvoir investir le navire dès qu’il avait été vu mais il se trouvait assez loin en mer, si loin qu’il était difficile de distinguer s’il y avait ou non une quelconque activité sur le pont. On avait tenté d’élaborer différentes stratégies en utilisant au mieux les aptitudes des mages à lancer leurs sorts de marche sur l’eau mais l’idée avait été abandonnée car trop risquée, la moindre défaillance des mages aurait entraîné la noyade des soldats.

    L’officier Maggnat forma donc un petit groupe d’éclaireurs et de soldats endurants. Ils devaient remonter vers Gnisis le plus vite possible pour trouver un bateau ou une barque afin de s’approcher du navire. Tétrius n’était pas ravi d’envoyer seuls quinze de ses hommes car Kattlea lui avait parlé sur la route d’Andasreth de la disparition des vingt-deux gardes hlaalus. Aussi ordonna-t-il à un mage de guerre de partir avec eux après avoir lancé un sort de marque. En cas d’attaque, le mage se téléporterait et le bataillon impérial lèverait le camp pour marcher vers le Nord afin d’essayer de secourir le groupe.


    La petite troupe quitta le camp en fin d’après-midi tandis que le reste des soldats allait pouvoir se reposer un peu. Kattlea regagna sa tente avec fatigue. Les longues marches l’avaient épuisée. De plus, bien qu’ils leur restaient encore des vivres, Maggnat avait décidé que l’on commencerait à économiser la nourriture et par conséquent, la viande de chien de Nix sauvage, bien moins bonne que celle des bêtes élevées, envahissait progressivement leurs assiettes. Elle plongea facilement dans un sommeil sans rêve.


* * * * * *


    « Vous dîtes que vous avez retrouvé le corps d’un des soldats hlaalus ?

    - C’est exact », lui répondit Waalhya.

    L’Orque venait d’arriver au Fort Silène. Après avoir fait son rapport à Balmora, il s’était rendu à la Guilde des Mages qui l’avait transporté à Ald’Ruhn. Il avait d’abord été déçu d’apprendre que sa collègue Kattlea était absente car il aurait aimé partager ses découvertes avec elle. Ils avaient travaillé plusieurs fois ensemble avec efficacité car leurs talents étaient complémentaires. Il savait qu’elle était courageuse et digne de confiance mais n’ignorait pas combien elle était fragile. D’ailleurs, la dernière fois qu’ils avaient fait équipe, c’étaient dans les îles ascaladiennes où elle avait contracté l’arthrite auprès d’un braillard des falaises. Malgré toutes les missions qu’ils avaient effectuées ensemble, elle avait souvent des difficultés à entamer une conversation et fuyait toujours son regard. Waalhya avait compris que c’était là l’œuvre de sa timidité naturelle et, finalement, il s’y était habitué.

    « C’est intéressant, poursuivit le commandant Raesa Pullia. D’autant plus que cela confirme une information que j’ai reçue récemment.

    - Une information ?

    - J’ai reçu hier un message du Fort Darius. Il y a quelques jours, un Dunmer habillé en loques et à demi-mort est apparu par téléportation magique devant le temple de Gnisis. Il a été porté chez les guérisseurs qui, malgré tous leurs efforts, n’ont pas réussi à le sauver. Il avait en outre de nombreuses plaies et ils ont trouvé des traces de toxine dans son sang.

    - En quoi cela concerne notre histoire ?

    - J’y viens, lui répondit-elle. Avant de mourir cet homme a dit quelque chose d’inquiétant. Dans son délire, il a bredouillé quelques mots comme quoi il était un soldat hlaalu et qu’il s’était enfui d’une grotte, une sorte de prison apparemment. Cette espèce de grotte serait semble-t-il dissimulée derrière une épave de bateau échoué sur la côte Ouest. Le commandant Darius n’est pas au courant de l’affaire sur laquelle vous travaillez et s’il a envoyé un messager, c’est seulement pour avertir les Hlaalus. Mais maintenant que vous me parlez de vos découvertes, je me dis que tout cela est peut-être lié…

   - Se pourrait-il que certains de ces gardes disparus se soient faits emprisonnés ? réfléchit l’Orque. C’est probable, mais je suppose que les soldats impériaux qui ont été envoyés dans la Faille de l’Ouest trouveront cette grotte. Nous serons bientôt fixé…

    - Non. Ils ne la trouveront pas car ils ne sont pas au courant de son existence. Je ne leur ai pas encore envoyé de messager car Imsin La Réveuse et moi-même n’étions pas certaines que tout cela avait un rapport.

    - Dans ce cas, je vais aller les prévenir. Depuis quand sont-ils partis ?

    - Il y a un peu moins d’une semaine. Si vous partez en échassier des marais pour Andasreth dès maintenant, vous aurez peut-être une chance de les retrouver soit à la place forte, soit sur le chemin du retour vers Ald’Ruhn s’ils ont trouvé quelque chose. Dans le cas contraire, j’imagine qu’ils ont du remonté vers le Nord pour compléter les recherches des Rédorans.

    - Très bien, j’y vais. Une grotte derrière une épave de bateau. Je m’en souviendrais.

    Waalhya prit le chemin d’Ald’Ruhn en courant. Vvardenfell pourrait être une si belle région si ces insectes géants n’étaient pas le seul moyen de transport ! En arrivant en ville, il prit le premier échassier qui se présenta à lui.

    Grave erreur. Car le cocher était absolument insupportable et ne cachait pas son mépris pour les Orques. Il ne décrocha pas un mot pendant tout le voyage. Et comme Andasreth n’était pas sur les routes couramment empruntée, il demanda à Waalhya une somme énorme et refusa toute négociation.

    Le capitaine orque lui avait demandé d’aller le plus vite possible. Mais comme le chauffeur ne voulait pas fatiguer sa monture mais qu’il souhaitait aussi surtout contrarier son passager, il maintint un rythme lent si bien qu’il leur fallut presque quatre jours pour arriver à la place forte.

    Quand Andasreth fut visible, le conducteur s’arrêta, prétextant qu’il ne voulait pas aller plus loin à cause de la mauvaise réputation du lieu. Waalhya descendit de l’animal, qu’il trouvait désormais beaucoup plus sympathique que son cocher, puis il demanda à son chauffeur de l’attendre pendant qu’il se dirigeait vers la forteresse au pas de course.


* * * * * *


    Waalhya frappa à la lourde porte en bois. Un vieux Dunmer ébouriffé fit timidement son apparition, puis, voyant que l’Orque portant un uniforme impérial, il referma la porte en sanglotant et en laissant échappé un « Oh non ! Pitié, pas encore ! ». Cette réponse suffit au capitaine orque. Les Impériaux devaient être au Nord désormais. Il retourna en courant vers l’échassier des marais.


    « Espèce de sale fumier ! » hurla-t-il longuement dans les montagnes. L’échassier et son conducteur étaient partis entre-temps, bien qu’il lui ait explicitement stipulé de l’attendre. Cette pourriture l’avait laissé là, au milieu du désert, sans nourriture et surtout sans abri pour la nuit qui commençait à tomber. Il n’avait aucun bagage, aucune tente car la carapace de l’échassier était un abri confortable en plus d’être sûr, ces animaux ayant l’ouïe fine et des mandibules acérées.

    Que faire ? Poursuivre le conducteur était inutile, Waalhya se doutait bien qu’il devait se déplacer à toute vitesse pour le semer. Demander l’hospitalité aux habitants d’Andasreth était comme courir au suicide, étant donné la réaction du Dunmer qui avait ouvert. Il ne restait qu’une seule solution, il fallait partir sur les traces des soldats en espérant qu’ils n’étaient pas trop loin. C’est ainsi que Waalhya se dirigea en courant vers ce qui lui semblait être le Nord.


    Est-ce les aventures et les découvertes des jours précédents qui avaient développé sa paranoïa ? Le soleil se couchait à l’horizon, faisant danser les ombres des plantes et des arbres desséchés. Waalhya se sentait observé. Pour avancer plus vite, il avait abandonné à regret une bonne partie de son équipement et n’avait gardé que sa hache, sa cuirasse et ses bottes.


    La nuit était maintenant tombée et Waalhya courait sous la pâle lueur de Masser et Secunda qui brillaient faiblement dans le ciel. Il jetait souvent des coups d’œil derrière lui. A plusieurs reprises, il lui avait semblé entendre des bruits de pas ou apercevoir une silhouette derrière un buisson. Il songea avec amertume qu’il se trouvait peut-être dans la même situation des gardes hlaalus sur lesquels il enquêtait.


* * * * * *


    Le petit groupe qui était parti chercher une embarcation revint au bout de cinq jours. Ils avaient marché intensément vers le Nord pendant trois jours. Puis, quand ils étaient arrivés près de la Caverne de Koal, il avait trouvé un vieux pêcheur. Le Dunmer avait d’abord refusé de prêter son bateau malgré l’obéissance dont il aurait du faire preuve envers des soldats impériaux. Mais quand on lui avait parlé d’une récompense, ses yeux s’étaient mis à briller et ils avaient tout de suite accepté de coopérer. Ainsi, les quinze soldats et le vieil homme avaient fait voile vers le campement impérial, tout en restant près de la côte pour garder leurs distances avec le navire au pavillon rouge.

    Tétrius Maggnat avait décidé que lui et ses hommes investirait le navire dès le lendemain matin. Kattlea devait participer à l’opération. Pendant que leurs compagnons d’armes cherchaient un bateau, les soldats du campement avaient fabriqué des grappins à l’aide de cordes et de branches. Ils avaient aussi regroupé des couvertures pour dissimuler les hommes qui embarqueraient afin qu’ils ne se fassent pas repérés par les occupants du navire.


    Tétrius, Kattela, une dizaine de soldats et deux autres mages de guerre embarquèrent le lendemain avant le levé du soleil. Ils avaient laissé le pêcheur au campement qui avait d’abord crié au scandale et au vol mais Maggnat l’avait rapidement calmé. Selon les ordres de l’officier, ils devaient faire un détour afin d’arriver du côté de la poupe du navire. Ainsi, les soldats s’approchaient lentement du vaisseau, cachés sous les couvertures où ils étouffaient, en espérant que si les occupants du navire découvraient l’embarcation, ils croiraient qu’elle serait simplement perdue à la dérive.

    Ils finirent par arriver à une distance convenable du navire. Ils attendirent un moment, cherchant à percevoir le moindre bruit sur le galion. Puis ils se décidèrent à sortir et lancèrent silencieusement leurs grappins de fortune. Ils se hissèrent sur le bateau. Le pont était désert mais on pouvait entendre des rires venant des salles à l’intérieur. Marcher silencieusement avec leurs armures lourdes étant impossible, Tétrius Maggnat donna l’ordre de charger et d’investir le navire. Entendant le bruit lourd des bottes sur le pont, les marins, orques et nordiques pour la plupart, avaient sorti leurs sabres et leurs haches mais l’officier impérial les avait calmé en utilisant une fois de plus ses paroles brutales :

    « Nous ne sommes pas des pirates venus vous trucider mais nous allons le devenir si vous ne déposez pas vos armes immédiatement ! »

    La dizaine de marins qui se trouvaient sur le navire s’était rendue rapidement car ils n’étaient pas assez équipés pour lutter contre des adversaires en armure lourde. Le capitaine semblait absent aussi Tétrius interrogea-t-il les prisonniers. Ils avouèrent qu’ils avaient participé à des enlèvements au cours des derniers mois mais ils ne savaient apparemment ni pour qui, ni pourquoi. L’officier ordonna ensuite la fouille complète du navire. L’Impérial aurait aimé pénétrer dans la cabine du capitaine mais la porte était fermée et semblait blindée car elle résista à tous leurs efforts. Il commençait à s’énerver car il était persuadé que les réponses qu’il cherchait se trouvaient à l’intérieur. Les fouilles du navire furent assez longues car elles s’achevèrent peu après l’heure du déjeuner et sans grande découverte majeure.


    L’officier tournait en rond sur le pont, pestant de ne pouvoir ouvrir la porte, tandis que ses hommes observaient la scène en silence. Soudain, une grosse voix se fit entendre à tribord :

    « Hého les gars ! C’est nous, faîtes descendre l’échelle ! »

    Tétrius se pencha au dessus de la rambarde. Il y avait là une petite embarcation où se trouvaient un gros Orque en amure orque, ainsi qu’un Nordique et un Impérial qui tenaient les rames et deux carcasses de chiens de Nix.

    « Salut, fit simplement l’officier impérial.

    - Quoi ?! Qu’est-ce c’est ? » beugla le gros Orque.

    Puis, voyant l’armure complète de templier impérial qui étincelait au soleil, il continua :

    « Les gardes-côtes ?

    - Oui, si ça peut vous faire plaisir, lui répondit l’officier. Etes-vous le capitaine ?

    - Oui, c’est moi.

    - Très bien. Nous allons vous envoyer une corde pour vous faire monter à bord. Vous seulement. Mais d’abord, déposez toutes vos armes. Non d’ailleurs, jetez-les à la mer.

    - Quoi ?! hurla l’Orque.

    - Jetez vos armes à la mer ou j’ordonne à mes archers de vous abattre ! »

    Sur ces paroles, Maggnat lança un petit sourire arrogant à Kattlea : une fois de plus, c’était du bluff car il n’avait emmené aucun archer, seulement des lanciers.

    Les trois hommes obéirent en râlant tandis que l’officier faisait venir les prisonniers pour qu’ils tirent le capitaine. Quand cela fut fait, il les fit enfermer à nouveau dans la cale. Une fois à bord, l’homme jeta un regard sombre à tous les soldats qui l’encerclaient. Tétrius poursuivit :

    « Bien. Commençons par le plus simple. Avez-vous ou non une autorisation de circuler dans les eaux impériales ?

    - Mais bien évidemment, commença l’Orque. La voilà … »

    Il se jeta brusquement sur le soldat le plus proche, c’est-à-dire Kattlea. D’un geste violent, il la fit basculer par-dessus bord, s’emparant au passage de l’épée qu’elle gardait à sa ceinture. Le capitaine se retourna et fit face aux autres soldats, faisant danser sa nouvelle arme devant eux. En bas, dans l’embarcation, les deux hommes avaient retiré leurs armures puis ils avaient sorti les couteaux qu’ils avaient gardés dissimulés sous leurs vêtements avant de les placer entre leurs dents et de plonger dans l’eau dans un but bien différent que celui de sauver la jeune femme.


* * * * * *

#3 PoufLeCascadeur

PoufLeCascadeur

Posté 26 juin 2007 - 10:49

CHAPITRE IV




    Atchaaa ! Kattlea grelottait, blottie dans une couverture devant le feu. Elle avait échappé à ses poursuivants, mais pas au froid. Quand elle était tombée à l’eau, elle avait eu le bon réflexe de se débarrasser immédiatement de son armure. Elle avait ensuite lancé un sort de nage rapide puis elle avait nagé, nagé et encore nagé et avait fini par atteindre à la côte à bout de souffle où des soldats impériaux l’avait recueillie. Elle se perdait dans la contemplation des flammes quand l’ombre d’une imposante silhouette recouvrit le sol. Tétrius Maggnat était revenu du navire.

    L’officier tendit silencieusement un objet à la Dunmer. Elle mit quelques secondes avant de comprendre qu’il s’agissait de l’arme qui lui avait été dérobée. Elle s’empara prudemment de l’épée et déposa au sol. L’Impérial resta muet. Rien dans son attitude ne permettait à la Dunmer de déterminer s’il était en colère contre elle ou au contraire soulagé de la voir en vie. Kattlea s’attendait à ce qu’il parle mais il lui tourna le dos et s’en alla. Elle l’interpella :

    « Que s’est-il passé sur le navire ? »

    Il s’immobilisa et se retourna lentement.

    « Hé bien…, commença-t-il, le gros capitane orque n’a pas déposé les armes. Il s’est battu jusqu’à la mort. Mais j’ai trouvé sur son corps la clé de la cabine et j’ai donc pu y accéder. »

    Tétrius se tut. Comme il ne semblait pas décidé à reprendre son récit, Kattlea risqua une autre question :

    « Et… suis-je autorisée à savoir ce que vous y avez découvert ? »

    L’officier hésita puis répondit :

    « De nombreuses preuves des activités illégales de ce capitaine. Et surtout des papiers évoquant des … des commandes d’êtres vivants. Ces types n’étaient manifestement que les fournisseurs. »

    Un silence s’installa à nouveau. Il fut rompu par les ronchonnements d’un Dunmer qui se dirigeait dans leur direction. C’était le vieux pêcheur qui avait prêté son bateau. Il se planta devant l’officier impérial et ordonna qu’on lui rende son bien. Maggnat resta pensif un moment, partagé entre l’envie de récompenser l’homme qui leur avait bien rendu service et celle d’écraser le vieillard arrogant qui ne lui arrivait même pas aux épaules et qui se permettait de lui parler comme à un valet. L’Impérial soupira puis accepta de lui rendre son embarcation. Tétrius regarda le vieux Dunmer grincheux s’éloigner et sourit de voir à quel point cet elfe était caricatural.


    Le navire appartenait désormais à la légion. Le drapeau rouge avait été enlevé et remplacé par l’étendard de l’empire. Les mains croisées dans le dos, Tétrius contemplait le vaisseau, magnifique sur cette mer qui se colorait au fur à mesure que le soleil descendait dans le ciel. Il fut tiré de ses rêveries par un de ses soldats. C’était le chef du groupe qui avait été envoyé chercher un bateau. Un Impérial, éclaireur hors paire, tireur d’élite et athlète exceptionnel. Ce que l’armée faisait de mieux aujourd’hui. Ce Colovien n’avait même pas atteint la trentaine d’années que son visage arborait déjà plusieurs cicatrices. Le soldat salua impeccablement et commença :

    « Monsieur, j’aimerais m’entretenir avec vous d’une discussion que j’ai eu avec le pêcheur que nous avons rencontré. »

    L’officier fronça les sourcils. Ce vieil homme allait semble-t-il encore lui poser des soucis.

    « Toutes mes excuses, Monsieur, mais, à vrai dire, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter votre conversation avec l’agent Dunmer sur la route d’Andasreth. Je parle de la disparition des gardes hlaalus.

    - Nous sommes tous plus ou moins curieux, répondit froidement l’officier. Mais vous devriez surveiller vos oreilles, éclaireur. Poursuivez. »

    Le soldat impérial hésita quelques secondes puis continua prudemment :

     « A Gnisis, il semblerait qu’il circule une rumeur concernant la mort d’un soldat hlaalu. Le pêcheur ne savait pas grand-chose à propos de cette affaire, pour ainsi dire rien du tout mais il croyait que nous avions été envoyés pour enquêter là-dessus. Je me suis dit que cela vous intéresserait. »


    La disparition des gardes hlaalus. L’Impérial y songea. Il se remémora les lettres découvertes dans la cabine du navire. Un Dunmer en bonne santé pour le 22 de Sombreciel. Un être vivant, humain ou Mer, de sexe féminin pour le 10 de Primétoile. Un humain bien en chair pour le 5 de Clairciel. Des factures de ce genre, il y en avait trouvé des dizaines dans la cabine. Bien plus que le nombre de disparitions recensées. Les maraudeurs devaient s’attaquer le plus souvent aux contrebandiers ou aux voleurs. Mais quand ils ne trouvaient pas ce qu’il cherchait, il leur fallait s’en prendre aux citoyens impériaux. Pourtant rien dans ces papiers n’évoquait les soldats hlaalus disparus, rien n’évoquait une commande plus importante.

    Tétrius s’adressa à l’éclaireur :

     « Retournez au camp et annoncez aux hommes que nous lèverons le camp demain pour naviguer vers Gnisis. »


* * * * * *


    Gnisis était un vaste village de la Faille de l’Ouest. Ils l’atteignirent rapidement en navire. Sa mine d’œufs ainsi que ses nombreuses fermes lui assuraient la prospérité et les légionnaires du Fort Darius la sécurité. Une pluie fine tombait sur le village, tout le monde pataugeait dans la boue. Tétrius Maggnat rencontra le commandant à l’auberge locale. L’officier impérial fut extrêmement irrité de découvrir que la taverne faisait office de quartier général aussi décida-t-il qu’il mépriserait ce commandant Darius.

    « Vous vous intéressez à ce Dunmer décédé ? lui dit Darius. J’ai envoyé la nouvelle au Fort Silène il y a plus d’une semaine et j’ai reçu une réponse récemment comme quoi un messager vous avait été envoyé. Un Orque parait-il. C’est curieux que vous ne l’ayez pas rencontré…

    - Peu importe, rétorqua Maggnat. Vous auriez du charger quelqu’un d’enquêter sur cette affaire.

     - Nos effectifs sont très réduits ici, à Gnisis. Nous n’avons pas la possibilité d’envoyer des troupes battre la campagne. De toute façon, le Dunmer avait évoqué une grotte sur la Côte Ouest et cela fait partie du domaine sous la protection du Fort Silène.

    - Oui …, lui répondit-il sans être réellement convaincu. Je vais faire porter mon rapport au Fort Silène et le message comme quoi vous m’avez informé de cette histoire. Je prends cette affaire en main désormais. Et si ce messager s’est fait enlevé, nous le trouverons aussi sûrement là-bas.

    - Dans ce cas, souvenez-vous : il s’agirait d’une grotte dissimulée derrière une épave de bateau le long de la côte. »


    Tétrius Maggnat quitta le bâtiment avec détermination et reprit le chemin du navire grâce auquel ils pourraient explorer la côte beaucoup plus rapidement. Suivant les ordres de leur officier, les soldats chargèrent en vitesse les provisions dans le vaisseau et prirent rapidement la mer vers le Sud.


* * * * * *


    Il ouvrit les yeux avec difficulté. Il était allongé sur un sol glacial, les mains ligotées par une grosse ficelle.

    Waalhya se traîna douloureusement et s’adossa contre le mur de pierre tout proche. Une petite lucarne au plafond délivrait un faible faisceau de lumière mais ses yeux finirent par s’habituer à l’obscurité. Il se trouvait manifestement dans une cellule. L’endroit était vide, lugubre et humide, une énorme porte métallique était fixée dans le mur à quelques mètres en face de lui.

    Il lui fallut un petit moment pour recouvrer ses esprits. Il était solidement attaché, ses poignets en souffraient. Tous ses membres lui faisaient mal, surtout sa jambe droite. Il la massa comme il put et tenta de se lever. Il aligna quelques pas, se rattrapa au mur puis se rassit. Il comprit avec soulagement qu’elle n’était pas cassée, ce devait être un gros bleu.

    Il rassembla ses souvenirs. La course nocturne dans les montagnes et cette impression d’être suivi. Il s’était engagé avec précipitation sur un pont de corde qui avait cédé sous son poids. Et il était tombé. Une interminable chute puis une série de chocs violents qui lui avaient fait perdre connaissance.

    L’Orque examina son état : il ne portait que ses vêtements, désormais déchirés et poussiéreux, son armure et son arme avaient évidemment disparue. Il se frotta le visage tant bien que mal et découvrit qu’il avait plusieurs blessures au front et à la tempe. Du sang coagulé colorait son visage. Ses bras, son dos et ses côtes lui lançaient, d’autres bleus sans doute. En plus de ça, il était affamé.

    Il resta recroquevillé sur le sol et perdit la notion du temps. Il eut l’impression que des heures et des heures s’étaient écoulées puis finit par tomber dans un sommeil léger.



     La lourde porte s’ouvrit en grinçant, lentement, très lentement. Ce fut d’abord la lumière qui pénétra dans la cellule puis une grosse femme orque qui lui jeta une assiette de nourriture et un grand bol d’eau. La porte se referma. Waalhya avala avec dégoût l’horrible mixture qu’on lui avait apporté puis repoussa son assiette du pied.


    Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que la porte ne s’ouvre à nouveau. Un guerrier avait fait son apparition dans l’embrasure. Il pénétra calmement dans la pièce puis referma la porte derrière lui. Waalhya en profita pour l’examiner. C’était un Orque. Il était à peine plus grand que lui mais il sa carrure était plus imposante et surtout, il portait une armure lourde complète. Il la reconnut au premier coup d’œil : c’était une armure orque. Seuls le casque et l’écu manquaient mais ce devait être un choix plutôt qu’un oubli de la part de son porteur. Une superbe claymore était accrochée dans son dos. En acier sans doute, peut-être en argent.

    Le geôlier resta un moment dans l’ombre sans que le capitaine orque puisse voir son visage. Puis il se dévoila en pleine lumière et le prisonnier put l’apercevoir. C’était un Orque relativement âgé. Ses cheveux noirs pendaient négligemment dans sa nuque mais ses sourcils étaient devenus gris. Des petits poils hirsutes, gris, presque blancs, peuplaient ses joues tandis que quelques rides commençaient à apparaître sur le reste de son visage. Ses yeux bleus, bien qu’un peu globuleux, auraient presque pu être beaux s’ils n’avaient pas été aussi injectés de sang. Ce regard rouge et cruel lui donnait un air effrayant de loin mais plutôt maladif de près.


    Waalhya réalisa soudainement que son geôlier l’étudiait aussi. Ce dernier s’approcha du captif et sortit son arme. Du revers de la lame, il fit doucement pivoter la tête de l’Orque à gauche puis à droite pour mieux examiner son visage. Finalement, le guerrier rangea son arme. Il resta immobile pendant quelques secondes puis parla d’une voix grave et posée :

    « Comment t’appelles-tu ? »

     Comme le prisonnier ne répondait pas, il haussa le ton :

    « Comment t’appelles-tu ?!

    - Waalhya, dit-il faiblement.

    - Dis-moi, Waalhya, fit-il en insistant sur ce nom, fais-tu partie de la légion impériale ?

    - Oui…

    - Bien. Malheureusement, cela ne va pas changer grand-chose pour toi. Nous allons te garder ici un moment puis nous aviserons que faire de toi. D’ici là… occupe-toi comme tu peux. » ricana-t-il en sortant de la pièce.


    Waalhya se retrouva seul. Mais il préférait mille fois la compagnie du silence à celle du mystérieux guerrier orque. Il posa doucement sa tête contre le mur glacial et ferma les yeux pour mieux réfléchir. L’air moqueur et sadique de son geôlier réapparut dans son esprit, cet homme respirait la traîtrise et la malhonnêteté, cela ne présageait rien de bon. Waalhya soupira longuement. Il ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre pour le moment.


* * * * * *


    Tout comme la plupart des soldats, Kattlea commençait à se lasser de ce paysage désertique. Les côtes rocheuses se présentaient à eux depuis trois jours de navigation. Quelques épaves jonchaient les récifs mais aucune d’elles ne recelait de cachette. Le vent et la pluie se levèrent le quatrième jour alors qu’ils se trouvaient à seulement une dizaine de lieues au Nord d’Andasreth. L’exploration fut plus difficile mais elle se révéla plus productive. Au cours de l’après-midi de ce jour pluvieux, un éclaireur Rougegarde envoya un signal au navire depuis la côte.


    Cette zone était particulièrement accidentée. Un profond ravin et des rochers aiguisés séparaient la terre ferme de la mer. Au fond de ce gouffre, une vielle épave s’était fracassée. Il était dangereux voire même impossible d’y descendre depuis le rivage, aussi les légionnaires l’atteignirent-ils en barque après avoir contourné la falaise. La pluie tombait avec fureur, rendant la navigation dangereuse mais les éclaireurs accostèrent finalement ce qui semblait avoir été jadis un galion marchand.

    L’épave était très ancienne. Le navire s’était littéralement encastré dans la roche du côté de la proue. Les soldats se frayèrent un chemin parmi les planches pourries et les fragments des mâts. La ruine était sinistre et inquiétante ; chacun de leurs pas s’accompagnaient d’un grincement sonore. Ils pénétrèrent dans la cale dans laquelle résonnait bruyamment le bruit de la pluie sur le pont. Sombre et humide, elle était en partie submergée et il fut difficile d’atteindre le niveau inférieur mais finalement, dans les confins de la structure endommagée, ils découvrirent un amoncellement de tonneaux usés. Derrière, la roche et une solide porte de bois renforcée.


     Tétrius Maggnat fut informé de la découverte. Il souhaitait participer lui-même à l’investissement. Il se fit accompagner d’une vingtaine de lanciers, d’une demi-douzaine d’archers et de quelques mages de guerre dont Kattlea. Il fut aisé de franchir la porte dissimulée : elle n’était pas verrouillée. Le début de l’exploration fut pénible, la grotte commençait par un tunnel d’origine naturelle à moitié rempli d’eau de mer. Déjà ralentis par leurs armures, les soldats s’emmêlaient en plus dans les nombreuses algues qui pullulaient sous la surface de l’eau. Les légionnaires avancèrent ainsi pendant une dizaine de minutes puis le décor changea complètement.


    Derrière ce corridor vaseux se trouvait une structure radicalement différente et aucunement naturelle. Un large couloir qui se perdait dans l’obscurité s’offrait à eux. L’architecture était de type dunmer, similaire à celle que l’officier avait vu dans la place forte d’Andasreth. Une pierre grise et noire, solide, froide. Le couloir donnait sur des pièces régulièrement espacées,  toutes étaient vides mais elles témoignaient d’une récente activité. L’atmosphère était glaciale et terrifiante. Un silence lourd pesait sur les intrus. Un silence parfait. Pas le bruit de d’une goutte d’eau qui tombe d’un plafond humide. Pas le bruit de l’air qui s’engouffre dans des petites ouvertures. Des torches étaient disposées régulièrement le long des murs. Elles offraient une lumière rougeoyante et angoissante.

    Nul n’était rassuré. Il y avait moins d’une dizaine de pièces, elles étaient toutes identiques : petites et vides. Elles contenaient le plus souvent des matelas, des râteliers d’armes et des supports pour armures. Impeccablement rangées. Pas une particule de poussière ou de saleté. La troupe traversa prudemment le long couloir. Chaque brique des murs menaçait de receler un piège mais rien ne vint troubler leur progression. Ils finirent par déboucher sur une vaste pièce carrée, toujours aussi silencieuse et pareillement éclairée, une large colonne ouvragée en pierre trônant en son centre. Le chemin tout droit redevenait un couloir et continuait dans les profondeurs de l’édifice. Une imposante porte en bois décorait le mur de gauche. Elle était verrouillée mais un éclaireur sortit du matériel et brisa la serrure sans la moindre difficulté. L’officier entra dans la pièce, suivi de ses hommes. Son visage se crispa.


    Ils étaient une dizaine. Enchaînés, presque écartelés au mur. Des hommes et des femmes, toutes races confondues, se mourraient et déliraient. Ils portaient des loques et affichaient une maigreur maladive. La salle était jonchée de gamelles et de restes de nourriture. Un tonneau dans un coin empestait l’urine et les excréments. La plupart des prisonniers ne remarquèrent même pas l’entrée de la troupe impériale tant ils étaient exténués et anéantis. Les soldats s’empressèrent de les délivrer mais les obligèrent à rester silencieux. Un vieux Nordique barbu souffla en direction de l’officier avant de s’évanouir : « Prisonniers d’un sorcier ».

    Quelques soldats restèrent en compagnie des blessés mais Tétrius rassembla la plupart de ses hommes dans la salle à la colonne puis ils s’engagèrent dans la seule direction qu’ils n’avaient pas explorée.


    Les sorciers. Maggnat les détestaient. Des vieillards chétifs et rongés par l’avidité de pouvoir, qui pouvait vous tuer un soldat entraîné d’un seul geste. Des tricheurs. Doublés de lâches. Cette haine motiva l’Impérial. Il hâta le pas et sortit son arme par simple précaution. Ses soldats retrouvèrent leur courage et l’imitèrent.


* * * * * *



    Les Impériaux avançaient avec détermination. Le couloir s’arrêta brusquement sur une porte renforcée par des barreaux en fer. Un des mages de guerre qui marchait auprès de Kattlea leva la main pour attirer l’attention du groupe : il avait sentit qu’elle était piégée magiquement.

    Suivant les gestes silencieux que leur faisait l’officier, les soldats firent quelques pas en arrière et levèrent leurs boucliers. Abrité derrière ce rempart, le mage invoqua une formule de télékinésie pour tenter d’ouvrir la porte à distance. Au moment même où il appliquait une force sur la lourde poignée métallique, celle-ci se mit à rougeoyer légèrement. Le phénomène s’amplifia quand il assura sa prise puis se propagea sur le battant. La porte était à peine entrouverte que les barreaux de fer tournaient déjà à l’écarlate tandis une chaleur étouffante entourait peu à peu la troupe. Le magicien hésita quelques secondes puis balaya brusquement l’air de la main. La porte s’ouvrit en grand et frappa le mur avec violence. Elle s’embrasa d’un feu maléfique. Les flammes montèrent au plafond puis se dissipèrent soudainement dans un imperceptible nuage de fumée. Les soldats entrèrent en vitesse mais avec prudence.


    La pièce était vaste et insuffisamment éclairée, il s’agissait d’une sorte de laboratoire. Le long des murs couverts de toiles d’araignées s’entassaient des étagères remplies de livres, des pyramides de bocaux et d’urnes, des plantes vénéneuses qui avaient poussé depuis leurs pots dans tous les sens ; plusieurs tables sur lesquelles s’empilaient de gros volumes poussiéreux et des bougies usagées étaient disposées au milieu de la salle ; au fond de la pièce, on pouvait voir un amoncellement de matériel et de machines ensanglantées. Le désordre qui régnait ici contrastait avec la propreté qu’ils avaient observée dans les pièces précédentes. Et au centre de cette chambre, une silhouette voûtée s’appuyait sur une canne et leur tournait le dos.


    « Vous, là-bas ! » hurla Tétrius.

    L’interpellé se retourna lentement. C’était un très vieil homme. Chétif et bossu, il portait une robe grisâtre usée, presque en lambeaux. La canne qui le soutenait avait été somptueusement sculptée dans un bois sombre et solide. Cet être était manifestement humain, bréton ou cyrodiiléén. Son teint livide, sa longue barbe blanche et son sourire édenté le rendait pitoyable. Il plissa ses yeux pâles pour scruter l’officier puis s’appuya sur sa canne en titubant. Il fut alors pris d’une quinte de toux phénoménale au cours de laquelle il manqua de cracher ses poumons. Il finit par rependre son souffle et il remit lentement sa longue tignasse grise en place.

    Pendant ce temps, Maggnat s’était rapproché avec ses hommes de l’individu : ils ne se trouvaient plus qu’à quelques mètres de lui. Un sorcier ? Cette épave ambulante ? Tétrius avait appris à ne jamais sous-estimer l’adversaire aussi garda-t-il son arme à portée de main mais le vieillard qui se tenait en face paraissait très affaibli, mourrant même.


    « Vous êtes ce fameux sorcier, je suppose ? »

    L’homme ne répondit pas. Il bredouillait quelques mots pour lui-même dans sa barbe. Il semblait sénile. L’officier continua :

    « Très bien, je prends cela comme un aveu. Soldat, cria-t-il à l’un des légionnaires, attachez-lui les mains et énoncez-lui ses droits. Faîtes doucement, il a l’air fragile… »

    Le soldat en question obéit et se munit de cordes. Il s’avança vers le vieillard, décidé à le ligoter, et lui récita le texte par cœur : obligation de se soumettre à l’autorité impériale, droit de garder le silence…


    Son discours fut avorté par l’explosion soudaine d’un éclair à ses pieds. Le vieil homme, manifestement content de sa farce, émit un ricanement étouffé qui ressemblait tout autant à une nouvelle quinte de toux. Son rire malsain et insupportable s’éternisa mais fut brusquement interrompu par la pluie de flèches et de boules de feu qui s’abattit sur lui. Le vieillard afficha une mine terrorisée avant de prendre ses jambes à son cou en poussant des gémissements effrayés et s’enfuit vers le fond de la salle, les légionnaires à ses trousses.

    Grâce à ses pouvoirs magiques, il bondit agilement sur le mobilier et prit facilement ses distances avec ses poursuivants puis atterrit gracieusement au sol devant une imposante étagère. Il effleura ensuite un livre épais sur l’un des rayons mais comme rien ne se produisait, il se mit à tambouriner avec panique sur le meuble et le mécanisme se déclencha enfin. Une portion de mur coulissa, dévoilant ainsi un couloir secret. Il s’y engouffra.


* * * * * *


    Plusieurs jours avaient passé depuis que Waalhya s’était éveillé dans cette cellule glaciale. Ses journées étaient régulées par les oscillations de la lumière du soleil par delà la petite lucarne et les repas toujours plus immondes qu’on lui servait. L’Orque était très affaibli, brisé par cet emprisonnement exténuant. Il dormait à même le sol, tout son corps lui faisait mal à chaque réveil.

    Durant deux jours, peut-être trois, il resta assis à demi-conscient. Puis il finit par reprendre ses esprits. Il se cala dans un angle de la pièce et tenta une technique de méditation qu’un moine Khajiit lui avait brièvement enseigné il y a quelques années sur le navire qu’il avait prit pour Vvardenfell. Il n’eut évidemment aucune impression de changement en lui mais au moins, cela le relaxa et l’occupa. Le matin suivant, la porte métallique s’ouvrit à nouveau.


    Le même guerrier orque entra sans se presser d’une démarche incroyablement rythmée qui résonnait lourdement dans la pièce. Il bouscula du pied son prisonnier pour le réveiller. L’Orque sortit de sa torpeur et rampa en arrière dés qu’il reconnut l’homme aux yeux injectés.

    « Bien dormi ? railla-t-il.

    - Qui êtes-vous ? lui hurla Waalhya malgré le peu de forces qui lui restaient.

    - Haha… mon nom ne te dira rien. Mais tu peux m’appeler Baltagoth, répondit-il d’une voix grave.

    - Pourquoi m’avez-vous enfermé ici ?! Je suppose que vous savez ce que cela implique, de séquestrer un soldat impérial…

    - Bien sûr, jeune homme. Je sais absolument ce que je fais. J’ai porté l’uniforme de la légion moi aussi durant ma toute jeunesse mais … ça n’a duré que quelques mois. Se plier à des règlements aussi stricts qu’inutiles, ça n’a jamais vraiment été mon truc, tu vois… Pour expliquer ta présence ici, je dirais simplement … la malchance. La malchance de t’être trouvé sur ma route.

    - Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?

    - Rien. Absolument rien. C’est tombé sur toi, ça aurait pu tomber sur un autre. Ma troupe et moi-même t’avons trouvé et ramené ici. C’est fini pour toi, voilà tout.

    - Une troupe ? Du crime organisé ?

    - Hmm … oui. En quelque sorte… » répondit le geôlier en affichant un sourire inquiétant.

    Il fit une pause puis expliqua sur un ton extrêmement calme :

    « Vois-tu, depuis que j’ai quitté le culte de Malacath, j’ai réuni quelques mercenaires et j’ai monté ma petite bande. Certains de mes anciens amis ont fait de même. Nous avons donc formé une petite entreprise… »

     Baltagoth se gratta la barbe et continua d’un air moqueur :

    « Inutile de préciser que notre activité n’est pas tout à fait légale… Désormais tu es réduit à l’état de marchandise. Nous travaillons actuellement pour un client assez particulier. Il lui faut des êtres vivants alors nous lui en fournissons. C’est un commerce comme un autre, non ? Rentable, qui plus est. »

    Voyant que son prisonnier ne répondait pas à la provocation, le guerrier se retourna et se dirigea vers la porte. Waalhya l’interpella :

    « Avez-vous un rapport avec la disparition des gardes hlaalus ?

    - Hoho…, fit-il en pivotant, tu m’as l’air bien renseigné ! »

    La surprise se lisait sur son visage. Un sourire amusé apparut sur sa face puis se figea en un rictus malfaisant. Ses yeux brillèrent d’une lueur malsaine. Il se rapprocha lentement du capitaine orque puis posa un genou à terre pour être à sa hauteur. Il le fixa quelques secondes dans les yeux puis saisit brusquement son prisonnier par les épaules.

    Waalhya sentit son geôlier appliquer une pression monumentale sur ses clavicules. Une douleur insupportable, l’horrible sensation que ses os pouvaient se briser d’un moment à l’autre. Il hurla et se débattit en vain. Son adversaire était un professionnel. Il s’écroula à terre dès l’instant où son assaillant lâcha prise. Il ferma les paupières et sentit la douleur se dissiper. Baltagoth s’était relevé et semblait content de lui.

    « Dans ce cas, ce n’est plus utile de te cacher quoi que ce soit. Je vais satisfaire ta curiosité… »

    Waalhya gémissait au sol mais écoutait attentivement le guerrier.

    « Un soir j’avais décidé d’emprunter à Gnaar Mok un pêcheur ou un éleveur de netchs qui se serait attardé un peu trop tard dans la nuit… Par chance, ou peut-être à cause d’un mauvais pressentiment, j’avais réuni pour cette tâche le gros de mes forces. L’intervention des Hlaalus n’était pas du tout prévue. Nous avons tout de même pu bénéficier de l’effet de surprise et attaquer sur plusieurs fronts. Une première volée de carreaux en a éliminé un paquet puis la lutte s’est poursuivie au corps à corps. Pour chaque soldat tué, je perdais un de mes hommes... »

     La voix de Baltagoth s’était faite plus basse, c’était presque un souffle.

    « Mais nous possédions une chose qu’eux n’avaient pas : le moral. Quand il y eut plus de combattants à terre que debout, les gardes hlaalus ont tenté de fuir mais nous les avons rattrapé. Nous avons passé le restant de la nuit à transporter les corps et les prisonniers. Morts ou vivants, finalement cela importe assez peu à notre client… »

    Le guerrier considéra un moment son prisonnier affalé au sol puis se dirigea vers la sortie en ricanant :

    « Tu comprends que si je te raconte ça, c’est sûrement parce que tu n’en a plus pour très longtemps... »


    Waalhya entendit la porte se refermer puis les bruits de pas s’éloigner. Il songea au cadavre qu’ils avaient découvert dans le tombeau. Les hommes de Baltagoth n’étaient aussi compétents qu’ils le laissaient paraître. Un soldat leur avait échappé durant la nuit puis un autre s’était enfui de sa prison par magie. Mais cette découverte avait-elle changé quelque chose dans l’affaire ? Non.

    Si. C’était à cause d’elle qu’il s’était aventuré dans la région de la Faille de l’Ouest et s’il croupissait ici aujourd’hui.


* * * * * *


    Les légionnaires impériaux s’engagèrent dans le tunnel, torche à la main, à la poursuite du sorcier. Cette partie de la structure redevenait rocheuse et ils devaient parfois zigzaguer entre les stalactites, les flaques d’eau et les herbes grimpantes. Ils débouchèrent dans une caverne naturelle haute de plusieurs dizaines de mètres.

    Dans cette grotte humide, l’unique progression envisageable était l’escalade et le sorcier montait déjà vers le plafond, plus précisément vers une petite ouverture par laquelle filtrait timidement la lumière du jour. La paroi était presque verticale mais les nombreuses imperfections de la roche ainsi que les diverses plantes et racines qui sortaient de la pierre offraient des prises faciles. Cependant, de petits filets d’eau coulaient le long de la façade et la rendaient dangereusement glissante par endroit. Suivant les directives de leur supérieur, les éclaireurs commencèrent à escalader prudemment.


    Mais le vieil homme avançait bien plus vite et prenait beaucoup d’avance, en puisant sûrement encore dans ses ressources magiques. A leur rythme, les légionnaires ne pourraient jamais le rattraper, Maggnat ordonna donc un tir et les archers s’exécutèrent sur le champ.

    Une volée de flèches s’abattit tout autour du sorcier. L’une d’entre elles se planta dans son mollet droit. Il lâcha un cri de douleur, jeta un coup d’œil rageur en contrebas puis lança un petit sortilège de soin sur sa plaie qui cessa immédiatement de saigner. Il reprit son ascension avec le même rythme comme s’il ne s’agissait que d’une égratignure.

    L’officier passa le relais aux mages de guerre. Plusieurs boules de feu et de foudre explosèrent bruyamment sur le fugitif et un nuage d’éclats le recouvrit. Quand la poussière se dissipa, le vieil homme, manifestement peu touché par l’attaque, se retourna pour narguer l’officier. S’apercevant que les Impériaux gagnaient du terrain, il reprit sa montée avec précipitation.


    L’opération tournait à l’échec. De là où il se trouvait, Maggnat ne pouvait rien faire d’autre qu’observer le vieillard s’approcher de plus en plus de la sortie. Bientôt il serait hors d’atteinte. Mais les sorts des mages de guerre avaient eu un effet imprévu : ils avaient affaibli la roche tout autour du fugitif. Au cours de sa progression, il s’agrippa à un rocher qui céda sous son poids.

    Le sorcier chuta en battant l’air de ses bras et s’écrasa finalement au sol dans un effroyable bruit d’os brisés.


* * * * * *


    Le soleil se couchait à l’horizon quand Tétrius Maggnat et ses hommes sortirent de la caverne puis de l’épave en tirant derrière eux le corps désormais sans vie du sorcier. L’officier avait espéré capturer le vieil homme vivant mais il dut se rendre à l’évidence qu’il ne se serait jamais rendu. Il valait mieux que ce sorcier soit mort que vivant et en liberté dans la nature.

    La cachette du sorcier recelait de nombreux trésors qui appartenaient désormais à l’empire. Une quantité importante d’objets dwemers, en ébonite, des artefacts précieux, des plantes exotiques inconnues, des œuvres d’art disparues… Tout cela fut emporté et mis sous bonne garde dans la cale du navire. Une autre partie des soldats était retournée au campement qu’ils avaient construit sur la plage.


     Tandis que les derniers rayons de soleil disparaissaient, un éclaireur Rougegarde fit son apparition et déclara à l’officier :

    « Monsieur, les hommes et les femmes trouvés là-dessous ont été libérés et menés au camp. Par contre, aucune trace du légionnaire orque envoyé par le Fort Silène. Ils ont dit qu’il n’y avait pas eu de nouveau prisonnier depuis des semaines.  »

    Kattlea écouta plus attentivement la conversation. Elle ignorait ce détail sur la race du messager disparu, Tétrius n’avait sûrement pas jugé nécessaire de l’en informer. Mais elle ne connaissait qu’un seul Orque suffisamment inconscient pour pouvoir s’aventurer seul dans cette région désertique. Qu’est-ce qui avait bien pu arriver à son cher collègue ? Elle tenta d’en discuter avec l’officier mais ce dernier l’avait ignorée.

    « On verra ça demain. » avait-il braillé.


    La nuit silencieuse fut troublée par les ronflements des soldats exténués par cette journée. Kattlea trouva difficilement le sommeil, ses craintes que Waalhya soit ce soldat disparu et les images de la face hideuse du sorcier la maintinrent éveillée pendant une bonne partie de la nuit.


    Tétrius Maggnat réveilla tôt les soldats. Il voulait que le camp soit levé rapidement afin de pouvoir prendre les voiles au plus vite vers Coeurébène. Sur le pont, les préparatifs étaient presque terminés quand Kattlea s’approcha timidement de l’officier.

    « Monsieur, ne devrions-nous pas rester un moment dans la région pour chercher le messager disparu ?

    - Non, lui répondit-il avec assurance. Nous avons entièrement exploré le repaire du sorcier et nous n’avons trouvé aucune trace de lui. Et les rescapés disent qu’il n’y a eut aucun nouveau prisonnier depuis plusieurs semaines. Donc, ce messager n’a manifestement pas été enlevé. Il a du se perdre. Tant pis pour lui.

    - Mais peut-être que le sorcier avait aussi une seconde cachette ?

    - Peut-être. Mais maintenant qu’il est mort, nous ne le saurons jamais. Nous ne pouvons pas explorer cette région pendant des mois. »

    Kattlea comprit que son supérieur avait raison. Mais le retour vers Coeurébène signifierait inévitablement la fin de tout espoir pour le messager disparu. Elle insista :

    « Quand nous avons investi le navire, il y avait des marins que nous avons fait prisonniers. Peut-être pourrions-nous les faire parler…

    - Nous les avons déjà interrogés. Ce sont de simples et stupides matelots, ils ignoraient tout de leurs actions, ils ne faisaient qu’obéir aux ordres. »

    La jeune Dunmer réfléchit un moment.

    « Mais les deux marins qui se trouvaient dans la barque avec le gros capitaine orque. Ceux-là même qui se sont jetés à mes trousses quand je suis tombée à l’eau. Vous les avez repêchés parait-t-il. Eux ne semblaient pas simplement obéir aux ordres. Ils devaient avoir un rôle plus important. Les avez-vous questionné ?

    - Effectivement… » reconnut-il après quelques secondes de réflexion.

    Tétrius se dirigea brusquement vers la cale où étaient enfermés les matelots prisonniers. Kattlea resta sur le pont, elle ne souhaitait pas assister à cette scène violente mais elle faisait confiance à l’officier. Si les deux marins détenaient des informations, Maggnat les obtiendrait tôt ou tard.

    L’Impérial refit surface moins d’une demi-heure plus tard. Il s’arrêta sur le pont et hurla à ses hommes :

    « Vers le Nord ! »

   Puis il se tourna vers la Dunmer.

    « Vous aviez raison » lui dit-il en se frottant les mains.


* * * * * *


    Waalhya tournait en rond dans sa cage. Plusieurs jours avaient passé et ses épaules ne lui faisaient plus mal. Désormais, il avait retrouvé des forces et médité sur un plan d’évasion. Il avait décidé de l’appliquer dès que la cuisinière orque reviendrait.

    L’heure du fatidique repas approchait. Waalhya s’échauffa les poignets et répéta plusieurs fois la scène. Il se tiendrait caché juste à côté de la porte et quand l’Orque entrerait, il l’attaquerait par derrière. Il avait prévu de l’étrangler avec ses cordages. Ensuite, il lui faudrait quitter ce lieu dont il ne connaissait rien. Il improviserait.

    Ce plan n’était ni brillant ni original mais c’était la seule chose qu’il avait pu bricoler. Les paroles de son geôlier lui avaient fait clairement comprendre que ses jours étaient comptés : il devait agir maintenant. Il se mit en position, respira calmement pour se détendre et essuya la sueur de son front du revers de son bras.


    Il attendit quelques minutes appuyé contre le mur glacial. Il entendit enfin un bruit de pas dans le couloir puis le cliquetis d’une grosse clé dans la serrure métallique. Waalhya retint son souffle. La porte s’ouvrit en grinçant et quelqu’un avança dans l’embrasure. Une gamelle de nourriture fut jetée au centre de la pièce mais le gardien dut remarquer l’absence du prisonnier et marqua un temps d’arrêt. C’est alors que Waalhya se lança.

    Il  renversa son adversaire d’un coup d’épaule, se glissa dans son dos et passa ses mains ligotées sous la gorge de son gardien pour l’étrangler. La lutte qui s’en suivit fut complètement désordonnée. Par chance, il ne s’agissait pas de la grosse femme orque qui venait d’habitude mais d’un Impérial bien moins imposant. Waalhya réussit donc à prendre l’avantage, son adversaire tomba à genoux et commença à se débattre moins vaillamment.

    L’homme faiblissait, Waalhya gagnerait bientôt. Mais une poigne puissante saisit soudainement l’Orque par le col et l’envoya au fond de sa cellule. Baltagoth sortit de l’ombre et considéra le gardien blessé avec mépris et colère, il ne l’aida même pas à se relever.

    « Dégage. » siffla-t-il.

    Le geôlier s’approcha lentement de son prisonnier. Waalhya rampa et se releva en s’appuyant contre le mur. Ses poignets avaient souffert durant le combat, les cordages les avaient lacérés. Baltagoth le frappa sauvagement au visage.

    « Alors on veut s’en aller ? On n’est pas bien ici ? Tu sais, normalement, nous ne retenons pas nos prisonniers ici, mais une troupe d’Impériaux patrouillait près de notre repaire habituel alors nous sommes installés autre part temporairement.

    - Quel est cet endroit ? lui demanda Waalhya en essuyant sa lèvre ensanglantée.

    - C’est une vieille forteresse dunmer abandonnée. Bérandas. Seul ce niveau est habitable, les souterrains là-dessous grouillent de monstres daedriques mais nous avons bloqué l’accès aux niveaux inférieurs, nous sommes en sécurité pour un temps.

    - Je plains ces Daedras de devoir cohabiter avec une pourriture telle que toi. », l’insulta-t-il en affrontant son regard injecté.

    
    Le sourire sadique et provocateur s’effaça du visage du guerrier. Il grinça des dents et tendit la main son dos pour effleurer la poignée de son épée. Il hésita :

    « Je devrais peut-être de tuer sur le champ… »

     Et puis il se décida. Il affirma sa prise et sortit progressivement la claymore de son fourreau dans un bruit métallique. Mais il fut interrompu par l’arrivée d’un Nordique borgne en armure d’acier.

    « On a un problème. » informa l’homme.

    Baltagoth se retourna et rangea son arme. Lui et le mercenaire échangèrent quelques mots que le capitaine ne put entendre. Le guerrier orque fit quelques gestes rapides de ses mains, le Nordique acquiesça et quitta la pièce en courant. Après le départ du messager, Baltagoth resta un moment dans ses pensées, les sourcils froncés.

    « Merde !!! » hurla-t-il.

    Waalhya put découvrir une expression qu’il n’avait jamais vu sur le visage de son ravisseur : celle d’une colère mêlée à la panique. Ce dernier serra la dents, rugit à nouveau puis se précipita à grandes foulées vers le capitaine orque. Il le saisit violemment par la nuque et le força à marcher.

    « Avance ! » lui ordonna-t-il en hurlant, le visage défiguré par la colère.

    Il poussa son prisonnier à travers les sombres couloirs. Les torches étaient trop peu nombreuses et offraient un éclairage vraiment insuffisant. L’Orque boitait car la douleur au pied et à la jambe droite se manifestait toujours. Il trébucha et se cogna à plusieurs reprises contre les angles et les murs. Baltagoth maintenait une prise ferme sur sa nuque, il sentait sa peau lui brûler et ses articulations souffrir. Il serra la mâchoire pour supporter la douleur, cette même douleur qu’il avait ressenti aux épaules quelques jours auparavant.


    Waalhya ignorait ce qui préoccupait Baltagoth, mais il conclut que ce devait être important. L’impatience, la colère et la violence de son geôlier lui firent comprendre qu’il comptait l’emporter avec lui dans sa chute. Le capitaine se dit qu’il n’avait plus rien à perdre. Il se débattit et bouscula son adversaire mais il reçut un puissant coup de coude dans le dos en guise de punition.

    Ils montèrent un escalier et arrivèrent devant une porte usée en bois. Baltagoth l’ouvrit et projeta son captif par l’ouverture. Waalhya fut immédiatement ébloui par la lumière du jour puis, après s’y être habitué, il regarda tout autour de lui. Bérandas avait une architecture différente des autres places fortes dunmers, elle était totalement construite sous terre. A l’extérieur, il y avait seulement le dôme par lequel ils venaient de sortir ainsi qu’un petit bâtiment carré un peu plus loin. Une brise légère fit frissonner le capitaine orque. La bouffée d’air pur qu’il respira brûla ses poumons et le fit tousser.


     Baltagoth discutait avec ses mercenaires qui se trouvaient là. Ils étaient six en plus de leur chef brutal : trois hommes nordiques, deux femmes orques ainsi que l’Impérial que Waalhya avait maltraité. Le capitaine orque se redressa fébrilement, sa tête lui tournait. Il tituba sur la pierre grise et froide puis s’appuya sur les fortifications. Il comprit ce qui préoccupait ses ravisseurs.


    En contrebas, une cinquantaine, peut-être une centaine, de soldats impériaux marchaient vers la forteresse. Ils seraient là d’ici quelques minutes.


* * * * * *

#4 PoufLeCascadeur

PoufLeCascadeur

Posté 26 juin 2007 - 10:49

CHAPITRE V




    Waalhya observa la colonne de soldats pendant quelques instants puis une main le saisit par les cheveux et le tira en arrière. Baltagoth traîna son prisonnier loin des remparts puis retourna s’entretenir avec ses hommes. Le capitaine se massa le cuir chevelu en grommelant puis il s’assit au sol.

    La tension commençait à se faire sentir chez les mercenaires. Certains tournaient en rond ou répétaient des tics nerveux. Les discussions se faisaient plus âpres, la peur se sentait dans les voix et les regards. La marche rythmée des soldats se fit entendre plus distinctement. Les Impériaux arrivaient du Sud et avaient fait un léger détour vers l’Ouest pour contourner les collines abruptes. Ils devaient être en train de gravir le chemin qui menait à la place forte ; ils seraient ici d’un instant à l’autre. Waalhya n’arrivait pas à se réjouir, il se doutait que son geôlier avait préparé quelque chose. Le ciel se chargea de nuages gris, la bourrasque qui balayait les lieux s’intensifia et devint glaciale, c’était comme si la nature elle-même pressentait l’affrontement qui se préparait. Waalhya se courba pour se protéger du froid cependant il ne put s’empêcher de grelotter et de claquer des dents.

    Tandis que les autres étaient occupés à sortir et à empiler des tonneaux et des caisses, Baltagoth, le Nordique borgne et une guerrière orque travaillaient autour d’une vieille carte en tissu déchirée par endroit. Ils se disputaient et se retournaient souvent pour observer les plaines à l’Est. Waalhya ne put comprendre l’intégralité de leurs paroles mais il les vit finalement faire plusieurs hochements de tête et ranger la carte.

    C’est alors qu’un mercenaire interpella son chef d’une voix paniquée. Baltagoth l’encouragea vivement à garder son sang froid. Le bataillon impérial avait surgit de derrière le dernier rocher qui les séparait de Bérandas, il ne se trouvait plus qu’à une trentaine de mètres de la place forte. L’Orque attrapa à nouveau son captif par la nuque et le mena près des fortifications pour faire face aux Impériaux.

    Ils s’arrêtèrent juste devant les remparts. Baltagoth saisit la tignasse de son prisonnier de la main droite. Il lui délivra un violent coup de botte dans l’arrière de la cuisse pour qu’il se mette à genoux puis dégaina silencieusement son arme.


* * * * * *


    Tétrius Maggnat donna l’ordre de ralentir la marche. Là-haut, un guerrier orque avait traîné un de ses congénères et le menaçait désormais de sa lame. Puis, suivant l’ordre de l’officier, la colonne de soldats se déploya en ligne devant les murs de pierre. Les archers armèrent leurs arcs ; les lanciers se mirent au garde-à-vous et pointèrent leurs lances vers le ciel ; les mages de guerre, éclaireurs et autres soldats spécialisés rejoignirent les extrémités gauche et droite de la rangée de soldats et se préparèrent à leur tour.

    L’officier fit quelques pas en avant et se plaça devant ses hommes. Il jeta un rapide coup d’œil sévère à la formation puis pivota sur place pour faire face à la forteresse. Il étudia la zone quelques instants. Bérandas n’était pas prévue pour résister à un siège. Les remparts, qui présentaient d’ailleurs des fissures un peu partout, n’étaient que de simples murs en pierre à peine plus élevés que le niveau du sol. Moins d’un mètre de hauteur estima-t-il. Les hommes n’auraient aucun problème pour les escalader, la bataille n’allait pas être aussi difficile que prévue.

    Baltagoth parla en premier. D’une voix forte, il annonça :

    « Chers Impériaux. Avant de commencer les hostilités, j’aimerais vous convaincre de rebrousser votre chemin. »

    Il tira sur les cheveux de Waalhya pour que celui-ci remonte la tête et soit visible de la troupe. Il continua :

    « Voyez-vous, j’ai ici un des vôtres. Ce légionnaire prétend s’appeler Waalhya. Je vous encourage donc à repartir d’où vous êtes venus sans quoi j’abattrai cet homme. »

    L’officier réfléchit un moment. Rebrousser chemin ? Cela n’était pas envisageable. Ils étaient à la guerre, et à la guerre, il y a toujours des victimes. Tétrius refusa le chantage du guerrier mais il essaya tout de même de gagner du temps. Il lui répondit avec assurance :

    « Mon cher ami, j’ai le malheur de vous annoncer que votre petit univers s’est totalement effondré. Le sorcier qui faisait vivre votre industrie a été éliminé il y a quelques jours. Soyez raisonnable et déposez vos armes.

    - Ce vieillard misérable ? lui répondit l’Orque en s’esclaffant. Sa mort m’importe peu !

    - Vous importe-t-elle plus que celle du capitaine de votre navire ? »

    Baltagoth cessa de rire à l’instant même où il entendit ses paroles. Sa joue gauche cligna et son sourire se figea. Waalhya sentit sa poigne se resserrer encore plus fort sur ses cheveux. Il lui sembla même qu’il tremblait de rage.

    L’Impérial poursuivit d’une voix qui se voulait rassurante :

    « Je vous disais bien que tout était fini. Allons, n’aggravez pas votre cas et rendez-vous pacifiquement. »

    Le guerrier orque resta silencieux un moment, sans doute pour attendre que sa colère passe. Il desserra les dents et dit d’une voix qui paraissait calme :

    « Je ne vous le redirais plus. Partez ou il meurt.

    - Non, nous restons.

    - Alors il meurt. »


* * * * * *


    En une fraction de seconde, le guerrier lâcha la tête de son otage, saisit sa claymore à deux mains, arma le coup et l’assena. Waalhya vit la lame s’abattre sur lui. Baltagoth s’arrêta dans son élan à une vingtaine de centimètres de la tête du capitaine. Ce dernier anticipa le choc et s’affala au sol. Son geôlier resta immobile. Waalhya aperçut alors sa collègue Kattlea à quelques mètres de lui.

    Son sort d’invisibilité s’était dissipé et elle était tombée à genoux au sol. Le sort de paralysie majeure l’avait vidée de ses forces mais au moins, Baltagoth n’avait pas pu y résister. Plusieurs mercenaires se dirigeaient déjà vers la Dunmer épuisée. Waalhya leva ses mains ligotées et trancha en vitesse ses cordages grâce à la lame de son adversaire désormais immobile. Plus il se précipita vers elle le plus vite possible malgré sa jambe blessée et l’empoigna par le bras pour l’éloigner des guerriers qui accouraient. Sans même réfléchir, il la mena vers le premier abri qu’il vit : le haut bâtiment carré en pierre qui se trouvait au Nord de la place forte.


    Baltagoth retrouva sa capacité de mouvement au moment même où une pluie de flèches s’abattait sur lui. Il s’accroupit derrière le rempart tandis que ses hommes levaient leurs boucliers pour parer. Les Impériaux chargèrent vers la forteresse. Le chef orque donna l’ordre à ses mercenaires de contenir les soldats pendant que lui s’occupait des fugitifs. Les guerriers émirent leur cri de guerre puis coururent vers les remparts que les légionnaires commençaient à gravir. Là, ils renversèrent les caisses et les tonneaux qu’ils avaient empilés il y a quelques minutes. Les soldats furent submergés par un flot de nourriture, d’eau, d’armes et d’armures, ce qui ralentit leur progression pendant un moment.


    Waalhya déposa la Dunmer contre le mur et tenta d’ouvrir la porte en bois. Mais elle était coincée. Il tapa des poings sur le battant puis essaya de l’enfoncer : rien à faire. Kattlea l’appela faiblement. En se retournant, il vit Baltagoth qui attendait patiemment qu’il cesse de s’acharner sur la porte.

    Pendant ce temps, les soldats peinaient à investir la place forte, la nourriture et l’eau ayant rendu les remparts glissants. Des légionnaires commençaient à contourner la zone pour escalader une autre partie du mur mais les guerriers les attendaient en haut et parvinrent à en repousser quelques uns.

    Baltagoth tenait son arme à deux mains et faisait tourner la lame dans l’air avec un bruit sourd. A l’instant où il s’apprêtait à attaquer, la voix de l’officier se fit entendre dans son dos. Tétrius Maggnat et deux de ses hommes avaient fait un détour dès qu’ils avaient vu les mercenaires déverser les tonneaux sur les soldats, ils avaient atteint un pan de mur plus éloigné qu’ils avaient escaladé discrètement. Ils arrivaient pile au bon moment.

    Profitant de la surprise de son ancien geôlier, Waalhya se faufila vers Kattlea, l’aida à se relever et la conduisit loin de la bataille qui se préparait. L’officier voulait régler ça seul. Les deux adversaires brandirent leurs claymores et se toisèrent quelques instants en silence. Puis le combat commença.

    Ce fut Maggnat qui attaqua le premier mais Baltagoth riposta avec énergie. Ils échangèrent quelques passes sous le vacarme assourdissant de leurs lames qui s’entrechoquaient. Chacun était un épéiste d’exception et aucun des deux combattants ne laissait à l’autre une seconde de répit. L’Impérial semblait prendre le dessus, il enchaînait ses attaques, il était plus jeune donc plus vif ; de son côté, l’Orque s’engagea dans une technique plus défensive mais contre-attaquait dangereusement, lui était plus expérimenté.

    Tétrius poussait son adversaire à battre en retraite vers le centre de la place. Mais c’était ce que Baltagoth voulait : l’éloigner de ses hommes. A l’attaque suivante, l’Orque para agilement et exécuta un habile mouvement de hanche que Waalhya ne parvint pas à distinguer. Quoi qu’il en soit, l’Impérial se retrouva déstabilisé et en position de faiblesse. La poigne de l’Orque se referma solidement sur sa gorge. Il resserra sa prise pour forcer l’officier à se mettre à genoux et le désarma d’un coup de pied. Il approcha doucement la lame de sa joue.


    Mais c’était trop tard. Les soldats commençaient à envahir la place force et accouraient déjà vers lui. Ses hommes ne pouvaient plus les contenir. L’un d’entre eux, l’Impérial, gisait à terre tandis qu’un des Nordiques était immobilisé au sol.

    Tout cela était prévu, Baltagoth libéra l’officier et fit un petit geste au Nordique borgne et à la guerrière orque avec qui il avait discuté et ils bondirent soudainement par-dessus le rempart Est pour s’enfuir dans les plaines. Le Nordique restant et la cuisinière orque furent surpris de ce brusque désistement et les soldats les maîtrisèrent rapidement avant de se mettre en chasse des trois autres.


* * * * * *


    A peine eut-il repris ses esprits que Tétrius Maggnat ordonna que l’on parte vers l’Est. L’officier lança la totalité de ses éclaireurs à la poursuite des fugitifs tandis qu’il regroupait ses forces. Les soldats commencèrent rapidement leur marche dans les plaines en suivant la piste que les éclaireurs leur avaient laissée. Maggnat les obligea à garder un bon rythme malgré la fatigue qu’ils éprouvaient.

     Dans les premiers temps, les pisteurs parvinrent aisément à retrouver la trace de guerriers en fuite. Les fuyards avaient dévêtu leurs armures lourdes au fur et à mesure de leur progression, laissant ainsi une piste facile à suivre. Mais après que les trois fugitifs se soient débarrassés de tout leur équipement, la tâche devint bien ardue pour les Impériaux. Leurs proies désormais moins encombrées avaient pris de l’avance sur les éclaireurs mais surtout sur les légionnaires qui accumulaient désormais de plus en plus de retard.

     Tétrius marchaient devant ses soldats qui peinaient à maintenir le rythme rapide que leur imposait leur officier. Il poussait ses hommes à accélérer car les signaux des pisteurs se faisaient de plus en plus lointains. Quand le jour se coucha, il fit envoyer quelques mages de guerre en avant pour qu’ils puissent faire bénéficier les éclaireurs de leurs sorts de vision nocturne.

    La colonne d’Impériaux progressa ensuite à la lueur des torches. Un capitaine osa plusieurs fois demander à l’officier la permission de monter le campement. Son supérieur refusa à nombreuses reprises mais il dut finalement se rendre à l’évidence. Il offrit quelques heures de repos à ses hommes puis la troupe se remit à nouveau en marche dans la noirceur de la nuit.


* * * * * *


    De leur côté, Kattlea, Waalhya et les quelques autres blessés avaient été reconduits vers Gnisis où ils devaient également demander des renforts à Darius. En vérité, le commandant n’avait absolument aucun ordre à recevoir de l’antipathique officier et aussi fut-il d’abord tenté de refuser la requête autoritaire de son homologue mais il finit par comprendre l’importance de la situation et céda. Une cinquantaine de soldats, pour la plupart éclaireurs et archers, fut envoyée à l’Est du village. Ils devaient maintenir ce cap afin de d’abord bloquer la route aux fugitifs s’ils tentaient de remonter vers le Nord puis descendre lentement vers le Sud pour retrouver les hommes de Maggnat.

    La Dunmer avait été courroucée par l’attitude de l’officier car il déployait désormais les efforts considérables qu’il avait refusé de mener pour rechercher Waalhya quelques jours plus tôt. Il ne s’agissait pas seulement de zèle : elle avait bien compris que l’Impérial voulait avant tout retrouver et faire payer l’adversaire qui l’avait mis en difficulté.


    Si Kattlea avait rapidement retrouvé ses forces, son collègue avait du être conduit contre son gré jusqu’aux guérisseurs.

    « Je me sens bien et je n’ai pas besoin de leur stupide magie ! » avait ronchonné l’Orque.

     Les soldats impériaux l’avaient cependant saisi par les bras et emporté jusqu’au temple de Gnisis. Dans la région, on savait pertinemment que les guérisseurs dunmers du village surpassaient amplement ceux de la légion car après tout, le temple abritait ici une relique qui inspirait en outre la magie des guérisseurs locaux.

    Le capitaine orque se débattait avec le peu de force qu’il lui restait tandis que les légionnaires le traînaient non sans quelques difficultés dans les couloirs de la structure sous le regard étonné des pèlerins qui s’agglutinaient dans l’escalier qui menait vers la salle du Masque de Vivec. Ils s’engagèrent dans un couloir qui descendait et dévalèrent prudemment les marches qui menaient dans la partie inférieure du temple. Ils croisèrent en route un prêtre sûrement moins pieux que commerçant qui leur proposa des représentations du Masque mais Waalhya fut prit d’un excès de rage et renversa l’homme dans sa boutique. Les soldats s’excusèrent avec gêne avant de reprendre leur chemin.


     Ils atteignirent finalement les étages inférieurs. L’endroit était beaucoup plus calme et donnait sur plusieurs pièces tranquilles où les guérisseurs s’occupaient silencieusement de leurs patients. Waalhya ne s’était toujours pas calmé mais présentait maintenant des signes de fatigue qui rendaient sa colère moins violente. Mis à part un légionnaire Rougegarde qui délirait dans un rêve, il n’y avait aujourd’hui aucun malade et l’Orque fut rapidement pris en charge.

    Ce fut même la prêtresse supérieure qui s’occupa de lui. Mehra Drora était une Dunmer calme qui portait une robe excessivement décorée sans doute hors de prix. Sa voix douce et rassurante s’accompagnait légèrement de l’accent du continent. Waalhya fut déposé sur un lit moelleux. L’Orque se débattait toujours mais il se calma quand la guérisseuse se pencha sur lui et lui parla doucement. Il avala docilement la mixture à base de plantes qu’on lui apporta. Le calmant fit son effet et le capitaine ronchon s’endormit paisiblement.


     Kattlea observa son collègue. Il avait beaucoup changé physiquement depuis son emprisonnement. Son visage livide était couvert de sang séché que la prêtresse nettoyait délicatement et ses immenses cernes le défiguraient. Il avait aussi perdu beaucoup de poids. La guérisseuse examina rapidement son état puis les congédia en les informant que le blessé avait avant tout besoin de repos. Les soldats impériaux remontèrent à l’étage pendant que quelques prêtres portaient l’Orque somnolant vers une autre pièce pour sans doute lui donner le bain dont il avait bien besoin.


* * * * * *


    Waalhya dormit tout le restant de la journée et se réveilla le lendemain en fin de matinée. Il mit quelques temps à se remémorer où il se trouvait et, chose assez rare chez lui, il resta un moment au lit. Ce brusque retour au confort lui faisait tourner la tête. Finalement il s’assit doucement sur le matelas en se frottant le visage et les yeux puis examina les bandages qu’il portait sur le corps. Il se releva maladroitement, aligna quelques pas puis se rattrapa à un meuble qui se renversa sous son poids dans un vacarme assourdissant. Il voulut ramasser son contenu mais son corps meurtri ne parvint pas à se baisser.

     Un vieux prêtre dunmer alerté par le bruit entra dans la chambre et redressa le meuble en vitesse pendant que l’Orque s’excusait de sa maladresse.

    « Vous pensez pouvoir marcher ? » lui demanda le vieil homme.

    Waalhya fit prudemment quelques pas puis hocha de la tête.

    « Je vais vous apporter quelque chose à manger. » lui dit l’homme d’une voix grave et apaisante.

     Quelques minutes plus tard, l’Orque dévorait le bol de nourriture qu’on lui avait préparé. Il s’agissait d’un plat simple à base d’œuf de kwama mais Waalhya eut l’impression qu’il n’avait jamais rien avalé d’aussi délicieux. Puis il retira la blouse qu’on lui avait enfilée la veille et s’habilla des vêtements que le prêtre lui avait apportés en même temps que la nourriture.

    Il s’apprêtait à sortir par la porte quand celle-ci s’ouvrit doucement. La tête du vieux prêtre entra discrètement puis, voyant que l’Orque avait fini de s’habiller, il se retourna et fit un geste derrière lui. Le vieil homme ouvrit la porte et invita une autre personne à la franchir. Il s’agissait de la guérisseuse de la veille. Waalhya n’avait d’elle qu’un souvenir flou mais il reconnut son visage.

     Elle lui détailla avec compassion ses différentes blessures : des plaies plus ou moins importantes à la tête et aux poignets, quelques côtes fêlées, un gros hématome à la cuisse droite, deux orteils cassés et une légère inflammation à la gorge résultant du rhume qu’il avait attrapé. Il s’en remettrait vite. Waalhya remercia chaleureusement ses médecins pour leur accueil puis décida qu’il était temps pour lui de partir.

    Il s’arrêta un moment à l’extérieur dans la cour du temple et inspira profondément l’air frais mais ne s’attarda pas car une petite pluie commençait à tomber. Il traversa le marché de Gnisis où il demanda à une commerçante qui pliait son échoppe le chemin vers la caserne. Il suivit ses indications et aperçut après quelques minutes de marche ce qui semblait être la caserne : un immense bâtiment de style vélothi en forme d’insecte. Il souffla un moment : même s’il boitait moins, il était encore très fatigué. Il s’assit en soupirant sur un tonneau en bois.


    Un légionnaire orque passa par là. Waalhya l’interpella et lui demanda s’il connaissait une Dunmer de la légion nommée Kattlea. Il lui décrivit la jeune femme et le garde, voyant les bandages qu’il portait sur la tête, proposa gentiment d’aller voir si elle se trouvait à la caserne. Waalhya observa le légionnaire s’éloigner.


    Quelques minutes plus tard, la porte du bâtiment s’ouvrit et une Dunmer fit son apparition. Elle chercha le capitaine orque du regard, l’aperçut enfin et se dirigea vers lui en courant. Waalhya se leva difficilement de son siège puis avança lentement vers elle.

    Ils se rencontrèrent à la hauteur d’un enclôt de guars de meute. Kattlea avait à peine commencé le salut auquel elle devait procéder en présence d’un supérieur hiérarchique que Waalhya brisait déjà le protocole en lui serrant chaleureusement la main. Malgré tous ses efforts, elle n’avait jamais réussi à abandonner sa rigueur et à considérer l’Orque comme un ami plutôt qu’un supérieur. Leur tutoiement restait toujours quelque chose d’assez difficile pour elle. Après avoir discuté un court moment, Kattlea recula de quelques pas pour observer l’accoutrement de son collègue. Il portait une longue toge de prêtre impeccablement blanche. Cela ne lui allait pas du tout. Elle ne put s’empêcher de laisser échapper un petit sourire moqueur. Waalhya le vit et fronça tout d’abord les sourcils avant de rire à son tour mais ses côtes douloureuses le ramenèrent à la dure réalité.


* * * * * *


    Bien qu’il ne soit pas particulièrement glouton, Waalhya préférait tout de même la bonne nourriture aussi Kattlea lui conseilla-t-elle de dîner à l’auberge locale plutôt qu’à la caserne. L’auberge de Fenas Madach était sans doute le plus grand bâtiment du village. L’étage faisait office de grande cantine où les clients pouvaient soit s’installer à une table pour manger soit rester au comptoir pour s’abreuver. La structure s’étendait ensuite sur plusieurs étages souterrains qui accueillaient les nombreuses chambres de l’hôtel mais aussi les quartiers du commandant Darius.

     Waalhya s’était ennuyé toute l’après-midi. Il avait d’abord traîné à la caserne pour faire connaissance avec les légionnaires du coin. Il y avait retrouvé avec joie sa cuirasse et ses bottes et en avait profité pour se débarrasser de cette robe blanche et enfiler des vêtements qui lui convenaient mieux. Ensuite, il s’était promené en ville et avait fini par s’occuper à lancer des cailloux dans la rivière jusqu’à ce que le soleil se couche à l’horizon. Au cours de cette interminable journée, sa bonne humeur s’était peu à peu dissipée mais l’arrivée dans la chaleureuse taverne le rendit plus joyeux.

    Les deux collègues s’installèrent à une petite table au milieu du réfectoire. Kattlea fit un signe pour attirer l’attention d’un serveur débordé. Il y avait beaucoup de clients ce soir : des pèlerins, touristes et marchands mais aussi nombre d’autres légionnaires qui fuyaient tout comme eux la cuisine de la caserne.


    Suivant les recommandations du serveur, ils optèrent tous les deux pour une soupe de légumes accompagnée de viande scrib. Waalhya aurait apprécié une petite bouteille de flin mais la Dunmer lui refusa ce plaisir et demanda plutôt une carafe d’eau. L’attente fut longue, surtout pour l’Orque qui avait déjeuner léger, mais elle en valut la peine.

    Comme elle mangeait toujours vite et peu, Kattlea attendit patiemment que son collègue finisse son bol puis ils entamèrent la conversation.

    « Content de retrouver la civilisation, à ce que je vois, sourit-elle.

    - Plus que jamais, lui répondit-il en finissant avidement son verre.

    - Combien de temps avant que tu reprennes le service ?

    - Au moins deux semaines d’après les guérisseurs. En temps normal j’aurais apprécié ces quelques jours de vacances mais je crois que je vais surtout m’ennuyer dans ce bled paumé…

    - C’est sûr qu’il n’y a pas grand-chose de passionnant à faire ici… Et encore il n’a pas plu aujourd’hui. Je partirais peut-être demain avec un groupe retrouver les Impériaux dans les plaines, dit-elle sans masquer son manque d’enthousiasme.

    - Où ça, plus précisément ?

    - C’est bien ça la subtilité de la mission : nous n’en savons absolument rien ! Nous allons donc devoir ratisser la région pour retrouver la trace des soldats…

    - Si tu veux mon avis, tu les trouveras plus vite en les attendant ici. Ton officier ne mettra jamais la main sur Baltagoth. Il est trop malin. Et de toute façon, il est impossible de manoeuvrer correctement une escorte de légionnaires dans ce désert. Crois-moi, ils vont revenir penauds d’ici quelques jours…

    - Peut-être mais c’est mon supérieur et je dois respecter ses directives.

    - Allons, dit-il en ricanant, on pourra trouver une excuse. Je suis aussi ton supérieur dans un certain sens, je dirais que je t’ai obligée à rester ici.

    - Et pour quelle raison crédible ? demanda-t-elle d’un air amusé en insistant sur le dernier mot.

    - Hé bien … je dirais que je t’ai ordonné d’assurer ma sécurité pendant ma convalescence. Ca me semble crédible, non ?

    - Moi ? Ton garde du corps ? fit-elle en riant et en levant les yeux au ciel. Je doute que ce soit très convaincant…

     - Envoyer un bataillon dans les plaines pour poursuivre des fugitifs en cavale, c’est aussi stupide que suicidaire, annonça-t-il en retrouvant tout son sérieux. Au pire, j’irais dire moi-même à ton officier ma façon de penser.

    - Ouille … je doute que ce soit une bonne idée… Il est assez … caractériel, tu comprends… »


    Waalhya finit tout de même par la persuader qu’obéir au doigt et à l’œil à cet officier capricieux n’était pas non plus une excellente idée. Il réussit à la convaincre de rester à Gnisis quelques jours de plus avant de partir dans les plaines. L’Orque avait vu juste : Maggnat et ses hommes rentrèrent trois jours plus tard.


* * * * * *


    L’officier impérial était d’une humeur massacrante. Et encore, selon ses hommes, elle avait été encore pire les jours précédents. Fort heureusement sa colère ne se déchaîna pas sur Kattlea qui aurait du partir le rejoindre mais plutôt sur les soldats de Darius qui, selon lui, avaient échoué dans leur mission. Pourtant les éclaireurs partis de Gnisis avaient fait un excellent travail. Ils avaient avancé vers l’Est en couvrant un maximum de terrain avant de redescendre vers le Sud et de retrouver les légionnaires de Maggnat qui, de leur côté, avaient perdu la trace des fuyards depuis bien longtemps.

    Comme Waalhya l’avait prévu, l’officier ne supportait pas la défaite. Il avait poussé ses hommes jusqu’à l’épuisement, même au-delà, et c’était peut-être seulement la terreur qu’il infligeait aux soldats qui avait évité une rébellion. L’Orque avait imaginé pouvoir discuter avec l’officier mais cette envie lui passa à l’instant même où il croisa le regard froid de l’Impérial. Et de toute façon, Tétrius se serait contenté de le mépriser. Un soldat qui se fait capturer est un mauvais soldat, lui aurait-il craché.


    Maggnat ne laissa aucun repos à ses légionnaires et fit préparer le navire dés son retour. Il comptait repartir pour Coeurébène avant la tombée de la nuit. Puisqu’il abandonnait les recherches dans la région, Kattlea n’était techniquement plus sous son commandement mais l’officier aurait préféré une obéissance absolue de la part de la jeune femme. Cet abus d’autorité avait bien évidemment provoqué une petite altercation entre lui et Waalhya.


    « En restant ici, elle obéit à mes ordres, l’avait informé Waalhya.

    - Vos ordres ?! Vous n’êtes qu’un simple capitaine, lui avait-il répondit avec mépris. Et je suis un officier. Mes ordres passent avant les vôtres.

    - L’agent Ulsirim était sous votre commandement pour cette mission. Mais maintenant que vous quittez la région, cette obligation s’annule. Elle doit désormais s’acquitter de la nouvelle tâche que je lui ai confiée, c’est-à-dire assurer ma protection. »

    Et tandis qu’ils se foudroyaient mutuellement du regard, l’Orque avait proposé d’un ton calme et serein :

    « Que diriez-vous d’informer le commandant Darius de notre petit différend ? Lui seul sera capable de décider lequel de nous deux peut désormais commander l’agent. »

    Waalhya avait habilement préparé cette réponse. Il savait combien les deux hommes se détestaient. Et si l’Impérial avait quand même accepté cette confrontation, il était persuadé que Darius aurait donné tort à l’officier. Tétrius, fatigué de ses récentes excursions dans les plaines, avait déclaré forfait. Rencontrer à nouveau Darius lui inspirait plus de dégoût que de devoir renoncer à l’obéissance de la Dunmer.

    « Ce ne sera pas nécessaire. Sa présence est dispensable. » avait-il sifflé en reprenant le chemin du navire.


    Les deux collègues observaient le vaisseau s’éloigner dans la nuit.

    « Impressionnant… dit la Dunmer encore sidérée d’avoir vu l’officier ainsi vaincu.

    - Il fallait que je cloue le bec à cette pourriture qui m’aurait laissé mourir à Bérandas. » lui répondit-il.

Il ajouta en baillant :

    « Maintenant, je me sens soulagé. »


* * * * * *


    Waalhya et Kattlea restèrent enquêter à Gnisis pour deux raisons : d’une part parce qu’ils étaient persuadés que retourner à Coeurébène ne servirait à rien sinon faciliter la fuite des anciens geôliers, et d’autre part parce qu’une information avait ravivé leurs espoirs : Baltagoth était déjà connu par la légion de Gnisis pour ses méfaits dans la région. Les légionnaires collaient déjà son portrait sur les murs de la ville.

    Les deux collègues se levèrent aux aurores pour étudier son dossier. Le guerrier orque était soupçonné d’avoir participer à plusieurs opérations illicites au cours des dernières années mais rien qui n’égalait son trafic d’êtres vivants. Baltagoth avait mené quelques vols et braquages à l’aide d’autres hors-la-loi qu’il avait ensuite roulés le plus souvent. Il avait même passé quelques jours en prison au fort mais avait été finalement relâché par manque de preuves.

    Kattlea voulait à présent chercher des renseignements sur le Nordique borgne mais Waalhya était déjà las de ces heures passées à farfouiller dans les registres. Ils se séparèrent et convinrent de se retrouver à l’heure du déjeuner à l’auberge de Madach. Waalhya sortit de la caserne et commença à se promener du côté du marché. Mais une pluie battante se mit à tomber aussi se rendit-il rapidement à l’auberge.

    L’Orque entra et s’essuya les pieds du mieux possible sur le vieux paillasson qui traînait dans le hall. Il monta prudemment les marches rendues glissantes par le passage répété des clients moins consciencieux que lui et s’assit à la table qu’ils occupaient le plus souvent. Il chassa l’eau qui coulait sur son front depuis ses cheveux et soupira avec abattement : il avait au moins une heure d’avance. Pour faire passer le temps, il feuilleta le journal du village et jeta un coup d’œil aux différents articles du papier.


    Il fut tiré da lecture par l’arrivée de trois personnes à sa table qui attirèrent poliment son attention. Il s’agissait d’un Bréton, d’une Impériale et d’une Khajiite. Ce n’était manifestement pas des guerriers ou des légionnaires car ils ne portaient que des vêtements ordinaires. Waalhya les observa avec un air surpris et fit un petit geste du menton pour leur signifier qu’il les écoutait. L’Impériale dirigeait manifestement le groupe. Contrairement à ses deux comparses qui affichaient un air avant tout misérable, elle était élégante et les longues mèches brunes et bouclées qui descendaient soigneusement sur ses épaules trahissaient les heures qu’elle devait passer à se préparer. Le grain de beauté juste au-dessus de sa lèvre lui donnait un petit air coquet.

    Elle s’adressa à l’Orque d’une voix enjouée en affichant un sourire charmeur :

    « Mes amis et moi-même aimerions discuter avec vous, cher monsieur. Serait-ce possible ?

    - De quoi s’agit-il ? » répondit-il en posant son journal.

    Elle regarda autour d’elle pendant un long moment puis se pencha près de lui :

    « C’est un peu bruyant, ici… Allons autre part, d’accord ? »

    Waalhya observa l’Impériale puis les deux autres. Ils ne semblaient pas tellement menaçants après tout. La jeune femme le regarda intensément dans les yeux puis ajouta de la voix plaintive d’une petite fille :

     « S’il vous plait… »

    Waalhya hésita encore quelques secondes. Il avait bien évidemment compris que les manières de la jeune femme n’étaient qu’un leurre pour mieux l’attendrir. Mais comme il était d’une nature particulièrement curieuse, il finit par se lever de sa chaise. Le Bréton et la Khajiite se précipitèrent pour l’aider à se remettre sur ses jambes puis l’Impériale l’invita à le suivre.


* * * * * *


    Le groupe s’engagea dans le petit escalier en retrait qui menait aux cuisines puis au cellier. Waalhya avait discrètement serré les poings et était prêt à se défendre malgré ses blessures mais aucun des trois compères ne fit un quelconque signe d’agressivité ou ne l’obligea à avancer.

    Ils descendirent les marches en faisant bien attention où ils mettaient les pieds puis arrivèrent dans une petite pièce fraîche faiblement éclairée par l’unique lanterne qui pendait au plafond. Le Bréton et la Khajiite se postèrent silencieusement près des marches tandis que l’Impériale cherchait des sièges parmi l’incroyable bazar qui régnait ici outre les empilements de caisses de nourriture et les nombreuses armoires à vin.

    Finalement, elle trouva deux vieux tabourets en bois qu’elle dépoussiéra avec une moue dégoûtée puis qu’elle transporta au centre de la pièce sous la lanterne. Waalhya s’assit doucement et elle s’installa en face de lui. La jeune femme croisa les jambes, se coiffa gracieusement puis reprit la parole en examinant les lieux :

    « Ce n’est peut-être pas très confortable mais au moins, nous sommes loin des oreilles indiscrètes. Mais bon, trêve de bavardages ! s’exclama-t-elle soudainement. J’ai appris qu’un soldat avait été récemment séquestré par de méchants bandits… C’est bien de vous qu’il s’agit, n’est-ce pas ?

    - Oui.

    - Vous allez mieux ? » demanda-t-elle d’un ton exagérément mielleux pour montrer qu’elle n’en avait absolument rien à faire.

    L’Orque ne répondit pas. Elle continua sur un ton à la fois menaçant et bienveillant :

    « Bien. J’aimerais tout autant que cette discussion ne se transforme pas en interrogatoire forcé. Je sais parfaitement que c’est Baltagoth qui vous a maltraité. Je veux sa peau et je suis prête à tout pour y arriver alors vous allez gentiment m’aider à le trouver. D’accord ? »

    Waalhya s’adossa contre la caisse en bois derrière lui et soupira. Il croisa les bras puis lui répondit avec lassitude :

    « Pourquoi ma route était-elle toujours parsemée de dégénérés mentaux ? »

    Elle éclata de rire :

    « Allons, vous n’allez pas me dire que l’idée de vous venger de lui vous est indifférente ?!
J’avais pensé à une entente, une coopération.

    - Voyez avec la légion.

    - Ahah… nan ! La légion et moi sommes en froid depuis … depuis toujours, affirma-t-elle avec amusement. Ce serait tellement plus simple si vous me disiez tout ce que vous savez…

    - Tout ce que je sais ?! Parfait. Il est parti dans les plaines à l’Est de Bérandas avec deux mercenaires. Voilà tout.

    - C’est vraiment tout ? Je suis si déçue, je pensais que vous seriez plus coopératif. »

    Elle marqua un temps d’arrêt puis s’approcha de lui :

    « Je peux être très gentille quand on me rend service, fit-elle en lui caressant sensuellement la joue. Et je peux être aussi très méchante si on me contrarie, enchaîna-t-elle en plaçant soudainement une dague d’acier sous sa gorge.

    - Comme c’est charmant… »

    L’Orque n’avait même pas cligné de l’œil quand elle l’avait menacé. Et pourtant, il pouvait sentir le contact glacé de la lame sur la peau. Mais il avait enduré des épreuves bien plus difficiles ces derniers temps, la situation actuelle ne l’effrayait absolument pas. Il repoussa doucement la pointe de l’arme et continua en dévoilant même un léger sourire :

    « Vous croyez que Baltagoth m’a fait la conversation pendant qu’il me laissait mourir en cage ? La légion en sait bien plus, ils ont un dossier sur lui. Ah si…, dit-il après quelques secondes de réflexion, il est un ancien adorateur du culte de Malacath.

    - Le culte de Malacath ? répéta-t-elle, pensive. Voilà qui est intéressant. Il fallait me le dire plus tôt ! »

    Elle se leva, rangea son arme et se dirigea vers les marches que ses deux compagnons commençaient déjà à gravir. Elle se retourna une dernière fois vers lui pour ajouter d’une voix joviale :

    « Ravie d’avoir fait votre connaissance, mon cher. »

    Sur ces mots, ils disparurent tous les trois dans l’escalier obscur et remontèrent silencieusement à l’étage.


* * * * * *


    Waalhya resta assis un moment puis il se releva en maugréant et remit lentement les deux sièges en place. Puis il se dirigea vers l’escalier. Il s’arrêta quand il entendit quelqu’un descendre les marches et recula avec méfiance en scrutant les ténèbres. Mais ce n’était que Kattlea.

    « Ouah, tu m’as fait peur, lui dit-il.

    - Madach a eu quelques remords après t’avoir livré à ses anciennes connaissances et il s’est inquiété quand il les a vu remonté sans toi. Et comme je suis arrivée à ce moment là, il m’en a parlé. Ils ne t’ont pas trop rudoyé, j’espère…

    - Non, elle a été assez douce.

    - Douce ?... l’interrogea-t-elle en lui lançant un sourire moqueur et un regard lourd de sous-entendus.

    - Euh … non … je voulais dire que cela aurait pu être bien pire… Bon, et si nous remontions ? Car je commence à être affamé.

    - Bien sûr, dit-elle en l’aidant à gravir les marches. Tu n’as pas de chance d’être toujours la cible des crapules en tout genre.

    - Pourquoi cela ? De qui s’agissait-il ?

    - Selon Madach, des membres de la branche locale de la Guilde des Voleurs. Ce n’est guère surprenant, Baltagoth semble s’être fait des ennemis partout… »


     Ils atteignirent enfin l’étage et s’installèrent à nouveau à leur table. Ce fut Fenas Madach en personne qui vint les servir et il leur offrit une bouteille d’un excellent cognac cyrodiiléen pour s’excuser de ne pas avoir décelé tout de suite les mauvaises intensions de ses anciennes « connaissances ». De bons clients qui venaient moins souvent, répétait-t-il mais Waalhya resta perplexe sur la façon dont le propriétaire de l’auberge les avait connus.


    Kattlea attendit que l’homme s’éloigne avant de reprendre la discussion sur leur affaire. Ses recherches sur le Nordique borgne n’avaient rien donné et elle ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps au village, il fallait qu’elle reparte pour Coeurébène. L’enquête piétinait.

     « Ne t’inquiète pas, avait-elle ajouté en voyant la moue triste de son collègue, son portrait a été affiché dans tous les villages de la région. Il ne pourra pas rester caché indéfiniment. Un jour il sortira et ce sera son erreur. »


* * * * * *

Modifié par PoufLeCascadeur, 07 juillet 2007 - 21:26.


#5 PoufLeCascadeur

PoufLeCascadeur

Posté 22 juillet 2007 - 18:37

CHAPITRE VI




    Baltagoth fit effectivement une erreur. Ce fut trois mois plus tard.

    Waalhya avait recouvré entre temps la totalité de ses forces. Contre toute attente, il était resté plusieurs semaines à Gnisis où il avait rencontré Optio Bologra, maître d’armes renommé et premier officier de Darius, un homme rustre et peu civilisé mais loyal et serviable. Les deux Orques s’étaient tout de suite très bien entendus et Waalhya s’était entraîné avec lui, histoire de ne pas trop rouiller pendant sa convalescence. Il était ensuite retourné au Fort Phalène où il avait participé à des escortes de marchands et de voyageurs. Entre deux de ses ennuyeuses missions, il tentait toujours de garder la forme. Durant son emprisonnement à Bérandas, il avait osé rêver d’une confrontation avec Baltagoth mais depuis qu’il l’avait vu se battre si brillamment contre l’officier impérial, cette envie lui avait passé. La différence de niveau était trop importante, il n’aurait aucune chance face au criminel mais il devait néanmoins se préparer à un affrontement avec son ancien geôlier.

     Et puis, une missive du Fort Noctuelle était arrivée pour lui un matin et l’Orque avait prit la route du port impérial.

     Au terme des quelques jours de voyage, Coeurébène s’était finalement offerte à ses yeux, et avec cette vision, une certaine nostalgie se fit ressentir, le sentiment de revenir enfin chez soi. Coeurébène. La première ville du Vvardenfell où il avait mis les pieds. Le siège de l’autorité impériale sur l’île. Waalhya arriva par la porte Nord et dut se frayer un chemin parmi les innombrables employés qui s’occupaient à décharger les marchandises de jour comme de nuit.


    Frald Le Blanc l’attendait au Fort Noctuelle. Waalhya avait débuté sous ses ordres et il éprouvait désormais un grand respect pour le Nordique. Le commandant était toujours peu chaleureux et très officiel, c’est la raison pour laquelle les gens qui le connaissait peu le trouvait désagréable. Il avait la réputation de punir sévèrement l’échec mais de récompenser le succès par sa juste valeur et c’est pourquoi Waalhya, qui l’avait toujours servi fidèlement, avait une bonne impression de son supérieur.

    « J’ai de nouvelles informations concernant votre mission… Ou plutôt, quelqu’un en a. Venez avec moi. »


     Il avait suivi l’homme dans les geôles du Fort Noctuelle, un formidable labyrinthe dans lequel son supérieur semblait s’aiguiller sans aucune difficulté. Mais le capitaine orque avait déjà parcouru ces couloirs glacials auparavant, aussi remarqua-t-il qu’ils se dirigeaient vers les cellules de haute sécurité où étaient emprisonnés les détenus les plus dangereux.

    Ils s’arrêtèrent enfin devant une lourde porte en acier qu’un gardien soumis et rondouillard ouvrit en vitesse après s’être confusément emmêlé dans ses clés. Les deux hommes franchirent le battant en gardant la main sur leur arme. La pièce était assez vaste comparée aux cellules classiques mais bien moins accueillante. Au fond, près du mur, un homme enchaîné était assis en tailleur à même le sol et les toisaient avec froideur.

    Il s’agissait d’un Nordique borgne.


* * * * * *


    Waalhya observa l’homme attentivement et confirma que c’était bien un de ses ravisseurs. Néanmoins le Nordique avait changé, son corps était couvert de blessures. De nombreuses et profondes cicatrices ainsi que d’importants hématomes ornaient son torse et ses bras musclés. Il semblait aussi qu’on lui avait arraché des touffes de cheveux.

    L’Orque s’adressa tout d’abord à son supérieur :

    « A ce que je vois, sa capture n’a pas été chose facile…

    - Vous avez tout faux. La légion l’a trouvé dans cet état. Il s’est livré lui-même au Fort Silène. Surprenant, n’est-ce pas ? Vous feriez mieux de lui parler. »

    Waalhya s’approcha du prisonnier en restant sur ses gardes et s’arrêta à environ un mètre de lui. Le Nordique lui lança un regard glacial et l’Orque remarqua la large coupure qui s’étalait sur sa joue juste en dessous de son seul œil valide : on avait tenté de l’aveugler.

     « Nom ?

    - Jegfill dit Le Borgne, commença-t-il d’une voix rocailleuse. Je vous reconnais, vous. J’ai des informations sur Baltagoth et je vous les transmettrais à condition que vous allégiez ma peine…

    - Ce n’est pas le moment de marchander, coupa Frald Le Blanc. Nous pourrions tout aussi bien les obtenir de force. Contentez-vous de coopérer et cela sera pris en compte lors de votre jugement, je vous le garantis.

    - Cela me convient, répondit le prisonnier.

    - Pour quelle raison nous vendriez-vous Baltagoth ? demanda sévèrement Waalhya qui n’accordait aucune confiance au détenu.

    - Vous voyez ces blessures ? expliqua-t-il en exhibant ses cicatrices. Je pensais que Baltagoth était l’un de mes meilleurs amis. Je pensais que les années passées à travailler ensemble avaient soudé des liens forts et solides entre nous deux. Je le considérais presque comme mon propre frère. » rugit-il en écumant de rage.

    Il fit une pause pour contenir sa colère puis reprit :

    « Ce fils de catin m’a trahi. Un jour, il a tout simplement décidé qu’il se passerait de mes services et il a choisi de me mettre à mort. Mais Karia… la guerrière orque qui avait fui avait nous, est intervenue et s’est interposée entre lui et moi. Baltagoth l’a éliminée sans dire un mot. Mais moi, j’ai pu fuir.

    - Et maintenant vous souhaitez vous venger, c’est cela ? devina l’Orque.

    - Je n’aurais de repos que lorsque le corps de ce chien nourrira les vers. Il ignore que je suis venu jusqu’à vous, il ignore même peut-être que je suis encore en vie. Je sais donc précisément où il se cache actuellement. »


* * * * * *


    Frald Le Blanc attira Waalhya hors de la cellule où ils discutèrent à voix basse. Connaissant le dossier de Baltagoth à Gnisis, l’hypothèse de la trahison était tout à fait crédible et ils voyaient mal le criminel orque élaborer un plan tordu et sacrifier un de ses hommes simplement pour se payer la tête de la légion.

    Finalement, ils pénétrèrent à nouveau dans la pièce :

    « Très bien, parlez.

    - Baltagoth s’est réfugié là où toute sa vie a basculé : Dushariran. C’est un sanctuaire daedrique qui se trouve complètement à l’Est de la place forte de Bérandas et qui accueille des sorciers vénérant Malacath. Baltagoth y a vécu des années durant avant de se tourner vers des activités plus lucratives comme la contrebande et le vol. »

    Waalhya écouta attentivement puis s’approcha doucement du prisonnier. L’homme, qui était resté assis, dut basculer la tête en arrière pour parler à l’Orque :

    « Vous devez connaître vos ennemis. Ceux qui vénèrent les Daedras sont dangereux. A Dushariran, il a un bon nombre d’adorateurs inoffensifs mais certains guerriers orques dont Baltagoth sont redoutables et sans pitié… »

    Le capitaine orque attendit que le Nordique finisse son discours.

    « Très bien. Dans ce cas, nous allons mener une enquête. Mais comprenez bien une chose, fit-il d’un ton menaçant presque sadique que Frald ne lui connaissait pas, si c’est un mensonge ou un piège, je reviendrais dans cette cellule et je vous ferais payer personnellement au centuple vos erreurs. »

    Sur ces paroles, les deux hommes quittèrent la cellule sans se retourner.


* * * * * *


    Frald Le Blanc convoqua Waalhya deux jours plus tard. Dushariran était exactement où le Nordique leur avait dit, le Temple des Tribuns, mieux informé, l’avait confirmé. Le prisonnier n’avait pas menti sur ce point. L’Orque allait donc repartir en mission. Son supérieur la lui expliqua : lui et un petit groupe de soldats devaient partir vers le sanctuaire pour repérer Baltagoth, qui était désormais l’un des criminels les plus recherchés dans la région de la Faille de l’Ouest. Les méfaits de plus en plus terribles qu’il avait commis ces dernières années, l’offensive qu’il avait menée contre les gardes impériaux à Bérandas et son appartenance à un culte daedrique étaient amplement suffisants pour lui valoir la peine capitale.

    Mais Frald l’avait clairement stipulé au capitaine orque : ils ne devaient pas agir directement contre le fugitif en cavale, il était trop dangereux ; ils étaient envoyés dans l’unique but de trouver la réponse à la question : Baltagoth se trouvait-il ou non à Dushariran ? Si c’était le cas, ils devaient en informer la légion au Fort Silène qui se chargerait de son arrestation.

    Le capitaine parcourut des yeux le parchemin qui détaillait ses ordres. Mis à part sa collègue, Kattlea, il ne connaissait personne du groupe mais le commandant nordique l’informa qu’il s’agissait des meilleurs éléments disponibles actuellement et qu’ils avaient toujours fait honneur à l’Ordre de Coeurébène.


     Waalhya quitta la caserne et prit la direction du port car il devait rencontrer ses nouveaux coéquipiers à l’auberge des Six Poissons, le bâtiment préféré des soldats du fort. Il marcha longuement dans les rues mouvementées. Il avait plu la nuit dernière, l’eau s’était accumulée sur le bord des routes, mais ce matin, le soleil brillait dans le ciel. L’Orque croisa de nombreux passants, tous affichaient une mine réjouie : c’était la fin d’une saison pluvieuse et le beau temps allait revenir d’ici peu.

    L’auberge des Six Poissons était un lieu très agréable, à l’intérieur de l’enceinte de la ville mais tout de même assez proche du fort. Beaucoup de légionnaires passaient une grande partie de leur temps libre dans cet endroit accueillent aussi le Fort Noctuelle avait-il obtenu du propriétaire, un Nordique très bavard qui connaissait tous les ragots du coin, de tenir un registre complet sur les soldats trop assidus. Waalhya franchit l’épaisse porte en bois et s’installa au comptoir où l’attendaient déjà quelques membres de sa nouvelle équipe. Les autres arrivèrent peu de temps après. Ils discutèrent et firent connaissance autour d’une chope de greef : deux femmes Rougegardes et deux hommes Impériaux. Seule Kattlea arriva en retard, près d’un quart d’heure après l’heure de rendez-vous. Mais Waalhya vit qu’elle était joliment habillée et maquillée, il comprit qu’elle avait du s’attarder chez son amant de toujours, son marchand hlaalu affilié à la Compagnie de l’Empire Oriental. Il se refusa de la disputer pour si peu.


    Quand les présentations furent terminées, ils sortirent de la taverne et prirent la direction du port pour trouver le bateau qui les mènerait à Vivec.


* * * * * *


     Il leur fallut un peu plus de deux jours en échassiers depuis Ald’Ruhn pour atteindre là où devait se trouver la ruine de Dushariran. Quand l’édifice fut visible, ils descendirent de la monture pour continuer le chemin à pied. Cette fois-ci, Waalhya utilisa son autorité de capitaine de la légion pour ordonner au conducteur de les attendre. Ce n’était pas le même cocher qui l’avait abandonné à Andasreth quelques mois plus tôt mais l’Orque gardait un si mauvais souvenir de cette mésaventure qu’il avait décidé de ne pas prendre de risque.


    Des ruines daedriques, l’Orque en avait entraperçut seulement une fois auparavant : Bal Fel à l’Est de Vivec, lors d’un voyage en bateau. Mais Dushariran était bien moins majestueuse, beaucoup plus endommagée. De là où il se trouvait, Waalhya pouvait voir les murs biscornus en pierre sombre violacée et les dessins indéchiffrables qui les décoraient. Une colonne magnifiquement ouvragée s’était écrasée sur un dôme, plus loin une arche bancale surplombait un énorme morceau de pierre taillée en pointe dirigé vers le ciel.

    Ce n’était guère étonnant si cet endroit mystique inspirait la crainte des autochtones. Car au-delà de son apparence glaciale et abandonnée, ce monument dédié à la puissance daedrique empestait la mort par chacune des pierres qui le composaient. Mais c’était une matinée ensoleillée. La lumière et le chant des oiseaux calmaient l’aspect terrifiant du bâtiment. Le vent léger qui leur caressait les cheveux sifflait doucement entre les fissures des briques mais il en aurait fallu bien plus pour effrayer le groupe.



     Les soldats s’engagèrent dans la ruine au pas de course et Waalhya et ses compagnons investirent rapidement les lieux. Frald avait dit vrai : ils étaient des professionnels. Ils longeaient les murs, pivotaient habilement autour des colonnes et restaient constamment sur leurs gardes. Le capitaine orque en était encore plus motivé, il se trouvait enfin avec des agents du même niveau que lui et non pas avec les gardes impériaux confus et maladroits qu’on lui refilait souvent.

    Le groupe arrivait par le Sud, cette zone fut rapidement sécurisée. Deux galopins qui se couraient l’un après l’autre apparurent soudainement au détour d’un rocher et reçurent chacun une flèche d’argent dans la nuque avant même d’avoir pu s’apercevoir de la présence des intrus. En grimpant discrètement sur une colonne, l’une des archères les informa qu’il y avait une porte ovale dans la partie Nord de la ruine. Elle devait sans doute mener à l’intérieur du sanctuaire puisqu’elle était gardée par un combattant.


    Maîtriser le guerrier orque fut étonnamment enfantin. Il portait pourtant une imposante armure lourde. Quand une partie du groupe l’avait interpellé, le gardien avait sursauté et bégayé. Dans les secondes suivantes, les autres soldats avaient bondi dans son dos et l’avaient assommé. Trop facile, avait songé Waalhya avec suspicion.


* * * * * *


    Les soldats impériaux pénétrèrent à l’intérieur de la structure. Waalhya s’était imaginé que le sanctuaire serait un véritable labyrinthe reflétant la complexité de l’esprit des Daedras mais c’était tout le contraire : un simple couloir qui descendait d’abord sous terre puis remontait dans les profondeurs de la montagne.

    Comme toujours, les murs étaient sombres et assemblés de la manière la plus chaotique possible. Une sorte de chant, d’hymne daedrique résonnait depuis chaque brique de l’édifice tandis que des flambeaux se consumaient rageusement depuis leurs piédestaux, délivrant ainsi une lumière oscillante qui faisait danser les ombres. L’atmosphère était propice pour avoir peur. Mais il n’y avait pas de quoi : aucun monstre, aucun adversaire. Ils se contentèrent de suivre le corridor et atteignirent bientôt le cœur du temple : une vaste salle surplombée par une gigantesque statue qui devait représenter le Daedra Malacath.


    Il y avait là un petit groupe d’Orques mais une fois encore, ce fut excessivement simple de les maîtriser. Les adorateurs étaient un peu près aussi nombreux que le groupe de légionnaires mais ils étaient moins bien équipés. Ils déposèrent les armes sans même guerroyer. Le capitaine remarqua qu’ils semblaient découragés, qu’ils n’avaient plus aucune envie de se battre.

    Le capitaine vit tout de suite que Baltagoth n’était pas là. Un vieil Orque se confia à lui. Ce n’était pas du tout l’idée que ce faisait Waalhya d’un sorcier vénérant les Daedras. Non, ce vieux prêtre en toge avait les yeux bleus et le cheveu grisonnant en pagaille, il ressemblait bien plus à un grand-père affectif qu’à quoi que ce soit d’autre. Comme tous les autres ici présents, il était épuisé moralement.

    « Oh que oui, ce diable de Baltagoth est revenu il y a environ trois mois ! Et à notre plus grand malheur. Ici à Dushariran, nous ne sommes qu’une petite communauté plus ou moins pacifique. Mais il est venu tout chambouler. D’abord il a réquisitionné tous nos vaillants guerriers. Un seul nous est resté fidèle… et en vous voyant là je crains qu’il ne soit mort…

    - Non, il a juste reçu un bon coup sur la tête, le rassura Waalhya.

    - Ah, bien. Je disais un seul de ces guerriers nous est resté fidèle, les trois autres l’ont suivi. Mais ce n’est guère étonnant puisqu’il a été leur mentor. Avec cette nouvelle force, il a pris le pouvoir ici. Ce type ne vit que pour la guerre, il ne supportait que l’on puisse mener une existence non belliqueuse. Notre vie est devenue horrible sous la tutelle de ce chef brutal et tyrannique.

    - N’y a-t-il pas eu un problème avec un Nordique ?

    - Si. Cela veut donc dire qu’il a survécu. Encore un malheur. Un véritable boucher, ce Nordique. Mais il l’a cherché, son châtiment.  Il a une liaison un peu poussée avec une combattante orque… trop poussée pour plaire à Baltagoth qui considère que les Orques ne doivent pas mêler leur sang aux « autres »… »

    Quelle pensée primaire, songea le capitaine orque, pour qui la vie sentimentale ces dernières années n’avait été que métissages. Quoi qu’il en soit, le criminel avait à nouveau quelques hommes de main, il était toujours une menace. Maintenant qu’il était sûr d’avoir un peu près acquis la sympathie du prêtre, Waalhya lui demanda avec un ton autoritaire:

    « Où est Baltagoth à l’heure actuelle ?

    - J’en sais rien… gémit le vieil homme. Le plus loin possible par pitié. Il y a trois semaines, des affrontements contre un ennemi inconnu ont commencé ici. Moi et mes partisans ne sommes pas intervenus et finalement Baltagoth et ses trois gardes ont du déposer les armes.

    - Il s’est rendu ? conclut Waalhya sans y croire.

    - Ils n’ont pas eu le choix quand deux douzaines d’archers les ont encerclés et ont pointé leurs flèches sur eux. Ils lui ont tiré dans la cuisse pour le mettre à terre puis l’ont enchaîné avant de le frapper un moment et de l’emmener. Je ne sais pas où et je ne cherche même pas à le savoir !

    - Des archers ?! Qui ça, plus précisément ?

    - Je ne sais pas tellement, pleurnicha l’Orque. Mais Baltagoth avait des problèmes, des gros problèmes semble-t-il, avec la Guilde des Voleurs et c’est vrai que ces archers avaient l’air de voleurs. »


    Voyant qu’il ne pourrait plus rien tirer de cet homme, Waalhya regroupa sa troupe et quitta le sanctuaire. Trop tard, ils arrivaient trop tard et c’était de sa faute ! Quand il avait révélé aux voleurs que le criminel vénérait Malacath, leur Guilde, qui connaissait sûrement bien la région, avait pu retrouver facilement sa trace. Voyant la déception et la colère sur le visage de son collègue, Kattlea lui dit pour le réconforter :

    « Allons, rentrons à Ald’Ruhn. Là-bas, nous essayerons de prendre contact avec la Guilde des Voleurs. Au moins nous avons une piste désormais…

    - Mouais… Tu vas voir, avec la chance et le retard qu’on a, on va apprendre qu’ils l’on emmener à l’autre bout de Tamriel ! »


* * * * * *


    CHAPITRE VII





    Le ciel se violaçait doucement tandis qu’un souffle léger balayait les rues de la capitale des Rédorans. Waalhya et ses soldats se trouvaient devant le portillon de l’auberge de la Marmite du Rat. Le Fort Silène savait pertinemment que ce bâtiment peu fréquentable était le quartier général de la Guilde des Voleurs d’Ald’Ruhn mais aucune preuve suffisante n’avait jamais pu être récoltée pour justifier la fermeture de cet établissement publique. Et il fallait bien le reconnaître : à l’heure actuelle, la Guilde était le cadet des soucis de la légion.

    Waalhya ajusta sa toge et lança un dernier regard à ses hommes. Ils s’étaient déguisés en voyageurs mais avaient gardé leurs uniformes sous ces vêtements au cas où la situation tournait mal. L’Orque comptait entrer le premier, puis il serait suivi par Kattlea et un épéiste impérial qui devaient seulement s’assurer du bon déroulement des choses. Le reste du groupe attendrait à l’extérieur. En théorie, tout devait bien se passer mais ils avaient tout de même prévu une stratégie de repli en cas de problème, les voleurs étant des gens parfois imprévisibles … tout comme l’était le capitaine orque quand il était d’une aussi mauvaise humeur que ce soir-là.


    Waalhya franchit les portes et s’arrêta quelques instants sur le seuil pour repérer les lieux. La Marmite du Rat était d’une architecture rédorane classique. Le rez-de-chaussée était réservé à la consommation de boissons tandis que l’étage inférieur faisait office de restaurant. Il se dirigea vers le bar où il demanda un verre de matze pour se faire passer pour un simple client. Puis il s’adossa au comptoir et examina le reste de la pièce. Il y avait beaucoup de monde ce soir mais ils avaient volontairement choisi de venir à une heure de forte affluence. La clientèle était essentiellement de basse classe sociale. Les ouvriers et travailleurs qui se retrouvaient ici entamaient bruyamment leurs conversations, ce qui provoquait un brouhaha assourdissant. L’ambiance ici n’était pas du tout apaisante, mais plutôt festive.


    L’Orque toisa toute cette foule avec un regard noir. L’interminable attente au fort avait fini de gâter sa journée, son excitation pour cette enquête s’était transformée en impatience. Il devait entrer en contact avec un Bosmer moustachu richement vêtu qui s’était fait remarqué de la légion après plusieurs plaintes de citoyens. Apparemment, il aurait proposé de les enrôler dans la Guilde des Voleurs. Donc s’il s’occupait du recrutement, il devait avoir un poste important dans cette faction. Comme Waalhya apercevait beaucoup de Bosmers mais aucun qui ne correspondait à la description, il décida de descendre à l’étage en dessous.


    La vaste pièce du bas était éclairée par une lumière tamisée qui ne facilitait pas l’analyse des visages. Il y avait un autre petit bar ici et l’Orque s’y installa. Il échangea quelques mots avec le tavernier à propos de la pluie et du beau temps mais se consacra surtout sur son observation. Enfin, il remarqua une table circulaire où étaient assises quatre personnes intéressantes : deux Bosmers, une femme et un homme qui pouvait être celui recherché, et deux Impériaux, un homme froid et impassible mais surtout une jeune femme au visage familier.

    Il semblait s’agir de la voleuse impériale rencontrée à Gnisis. Waalhya posa son verre et quitta sa position pour pouvoir l’étudier sous un autre angle. Oui, c’était bien elle, et ce ne pouvait pas être une simple coïncidence si elle se trouvait ici. Elle était toujours aussi ravissante mais ce n’était plus cette élégante dame haute en couleur mais une guerrière distinguée dans son armure de cuir de netch. Elle et ses voisins débattaient avec véhémence.


    L’Orque devait s’approcher d’eux. Mais d’abord, il fallait trouver un moyen de s’imposer à leur table. Ce soir, il n’était guère d’humeur à faire courbettes, il n’avait pas envie de se montrer amical ou coopératif. Cela faisait plusieurs jours qu’il se sentait responsable de la disparition de Baltagoth et qu’il avait l’impression qu’on s’était joué de lui. Il détestait cela.


* * * * * *


    Pendant que le capitaine ruminait dans ses pensées, la Bosmer qui était assise se leva pour aller chercher à boire. Waalhya le vit et s’approcha tranquillement de la table. Au moment où elle revint, il l’empoigna par l’épaule et l’éloigna doucement mais fermement.

    « Ca ne sera pas long, dit-il si sèchement qu’elle n’insista même pas. Je peux me joindre à vous ? » enchaîna-t-il à l’intention des trois autres.

    Sans même attendre leur réponse, il s’assit et les fixa dans les yeux. Brièvement ceux des deux hommes mais plus longuement ceux de la voleuse. Il remarqua dans son regard pétillant qu’elle cherchait où elle l’avait déjà vu.

    « Qu’est-ce que cela signifie ? demanda le Bosmer qui resta silencieux durant toute la suite de la conversation.

    - Vous ? Ici ? coupa brusquement l’Impériale sur un ton théâtral.

    - Oui, moi, ici, rétorqua l’Orque sur un ton au contraire absolument glacial.

    - De qui s’agit-il ? demanda son congénère.

    - Un légionnaire de Gnisis qui nous a été bien utile… »

    Waalhya comprenait parfaitement à quoi elle faisait référence. Elle se moquait de lui. Il ne le supportait pas.

    « Où est Baltagoth ?

    - Pourquoi devrions-nous vous répondre ?

    - Où est-il ?! insista-t-il avec une voix encore un peu plus autoritaire.

    - Nous l’avons enfermé, dit doucement l’Impériale pour détendre la situation.

    - Pour tout vous dire, nous comptons procéder à une exécution publique au sein de notre Guilde, précisa son voisin.

    - Très bien. Je suis ici pour vous demander de remettre le criminel à la légion. Il sera jugé et condamné à mort. Pour vous cela ne changera rien. Pour nous, cela nous permettra de donner un bon exemple à tout ceux avec qui il a travaillé.

    - Vous n’avez pas bien compris, Baltagoth est à nous désormais. Nous sommes allés le trouver là où il se cachait. Il est hors de question que la légion récolte le fruit de notre labeur. »


    L’homme avait à peine finit sa phrase que Waalhya s’était déjà relevé de son siège. Il se pencha au dessus de la table et leur dit sans masquer sa colère :

    « Ecoutez-moi bien : si je ne peux remplir les geôles de Coeurébène avec Baltagoth et ses complices, ce sera avec vous et tous vos compagnons ! C’est clair ?!

    - Chut, du calme… murmura la jeune femme en faisant signe aux autres clients surpris par l’excès de voix de se retourner. Nous pourrions peut-être trouver un arrangement… »

    L’Impérial s’apprêtait à refuser mais elle lui jeta un regard si froid qu’il la laissa finalement parler. Elle continua :

    « Baltagoth est en lieu sûr et très étroitement surveillé. Il est vivant, quelque peu rudoyé et mal nourri certes, mais vivant. Avec lui, nous avions ramené trois guerriers qui lui étaient fidèles. Nous avons négligé leur surveillance. Ces trois-là se sont enfuis en faisant prisonnier deux des nos membres. Dont l’un qui compte beaucoup pour moi. Ils vont sûrement nous proposer un échange mais nous n’aimerions vraiment pas abandonner notre captif. Si vous nous aidez à récupérer les otages sains et saufs, nous pourrions envisager de vous livrer Baltagoth. »


   Elle interrogea ses confrères du regard et ils ne semblèrent pas contre cette offre. Pendant que Waalhya réfléchissait en se grattant le menton, elle précisa :

    « Nous sommes des voleurs, pas des combattants. Au sanctuaire daedrique, nous avions l’avantage de la surprise et de l’espace pour les encercler. Mais dans les ruelles ou dans les grottes, nous ne pouvons pas les maîtriser. Avec une lame et un bouclier, ils sont déjà plus forts que n’importe lequel de nos guerriers. Cependant, vos gardes devraient pouvoir lutter avec eux. Ce serait seulement l’affaire de quelques soldats…

    - Cette proposition me semble correcte, à supposer bien sûr que des personnes telles que vous puissent tenir leurs promesses… Mais je ne peux pas prendre cette décision seul et je dois en parler avec mes supérieurs.

    - Parfait ! s’exclama-t-elle avec joie. Rendez-vous ici à la même heure dans trois jours et nous discuterons de cette histoire autour d’une table.

    - Non, pas ici. Je préférais en territoire neutre. L’auberge d’Ald-Skar est sous la tutelle de la Maison Rédoran. Ce sera peut-être plus cher mais sans aucun doute de bien meilleure qualité…

    - Accordé. Dans trois jours à l’heure du dîner à l’auberge d’Ald-Skar.

    - Alors, à dans trois jours. » dit-il froidement en se levant et en quittant le bâtiment sans se retourner.


* * * * * *


    Et trois jours plus tard, Waalhya s’apprêtait à pénétrer dans l’auberge d’Ald-Skar. Une fois encore, il était déguisé en voyageur mais cette fois-ci, il était venu seul. En entrant dans le bâtiment, une première chose le frappa : bien que soit construit de la même manière que la Marmite du Rat, ce lieu était déjà bien différent, mieux fréquenté et bien plus tranquille.

    Suivant les indications d’un serveur, il trouva facilement la table où les deux Impériaux l’attendaient déjà. Le Bosmer moustachu était absent et il ne semblait pas y avoir de couverts pour lui : il ne viendrait sûrement pas mais cela n’avait absolument aucune importance. L’Orque les salua tous les deux pendant qu’il s’installait à sa place. Il regretta de ne pas avoir enfiler quelque chose de plus élégant que cette simple robe grisâtre qui recouvrait sa cuirasse car il lui sembla que ses correspondants s’étaient préparés pour cette rencontre. Non, l’homme n’avait que des vêtements ordinaires, c’était seulement la femme qui était bien habillée. Elle ne portait pas une tenue de soirée particulièrement excessive, elle avait juste fait un petit effort vestimentaire et cela fit sourire le capitaine.

    « Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-elle avec impatience.

    - Plutôt bonnes. Nous acceptons une coopération.

    - Formidable ! Bien, puisque nous serons contraints de travailler ensemble, autant faire les présentations. Je suis Solniléa Astrius et voici Tellian Ponnius, dit-elle en désignant son voisin. Nous sommes tous deux chefs de cellule de la Guilde des Voleurs.

      - Waalhya, capitaine de la légion impériale et membre de l’Ordre de Coeurébène. Soyons clairs sur un point : nous ferons front commun mais nous guiderons nos groupes séparément. Je mène mes soldats, vous les vôtres.

    - Bien sûr, intervint l’Impérial. Combien de légionnaires se joindront à nous ?

    - Quatre en plus des cinq qui sont déjà sous mon contrôle. Je ne peux pas demander plus sans quoi ils pourraient placer la mission entre les mains quelqu’un de plus gradé mais de peut-être moins compréhensif, les informa-t-il en ne pouvant s’empêcher de penser à Tétrius Maggnat.

    - Cela devrait suffire, dit la voleuse qui ne pouvait plus masquer son enthousiasme. Il est temps de vous exposer en détail la situation mais d’abord nous allons commander nos plats, voulez-vous ? »


    La discussion se suivit autour d’un verre de flin puis de l’excellente nourriture de l’établissement. Si la jeune femme faisait de son mieux pour détendre l’atmosphère, affichant ses sourires discrets et charmeurs ou ponctuant ses phrases de petits gestes légers et  attendrissants, Waalhya et Ponnius restaient indéniablement glacials et ce n’est qu’après une heure de bavardages qu’ils se détendirent.

    Les trois fidèles de Baltagoth avaient réussi leur évasion il y a un peu plus d’une semaine en emportant avec eux deux voleurs. Ils s’étaient d’abord réfugiés dans le quartier pauvre de la ville, derrière le Temple, où les archers de la Guilde n’avaient pas pu se déployer sans attirer l’attention des gardes rédorans. Après avoir trouvé de l’équipement, les trois guerriers avaient quitté Ald’Ruhn pour s’enfuir dans les montagnes aux alentours. Ils restaient constamment mouvement mais ne s’éloignaient jamais trop de la ville où était emprisonné leur chef. La veille, les pisteurs de la Guilde des Voleurs, qui ne lâchaient pas les fuyards d’une semelle, étaient revenus avec des informations comme quoi les malfrats s’étaient abrités dans une caverne au Nord.


    Il fallait donc agir vite avant qu’ils ne s’en aillent à nouveau. Il fut décidé que la coalition partirait le lendemain à l’heure du déjeuner. Officiellement, ce serait une escorte de marchands itinérants vers Maar Gan. Ils arrivaient à la grotte le soir et interviendrait le matin suivant. L’expérience militaire de Waalhya fit la différence : il leur expliqua qu’il ne fallait pas lancer le gros des forces contre leurs ennemis, sans quoi ils se réfugieraient derrière leurs otages et la situation pourrait mal tourner. Il proposa d’envoyer seulement un petit groupe de combattants dans la caverne, suffisamment fort pour résister aux hommes de main du criminel mais suffisamment faible pour donner un espoir à leur ennemi de les repousser. Pendant ce temps, lames noirs et magelames utiliseraient leurs sorts d’invisibilité pour aller libérer les prisonniers. Une fois qu’ils seraient en sûreté, le reste des soldats pourraient s’engouffrer dans la caverne et maîtriser sans difficulté les trois guerriers. Aucun des de ses deux interlocuteurs m’émit une quelconque objection face à ce plan brillant.

    Le reste de la soirée se poursuivit dans la bonne humeur. Si Tellian Ponnius restait définitivement peu bavard, Solniléa et Waalhya dialoguèrent avec ferveur. Elle tentait de lui expliquer que gardes et voleurs étaient respectivement l’ordre et le désordre, deux points diamétralement opposés sur un cercle qui se couraient l’un après l’autre sans jamais s’attraper mais qui étaient nécessaires pour maintenir l’équilibre de ce cercle. L’Orque ironisait en disant que cette théorie imagée servait simplement à trouver une justification à la présence de voleurs dans une société.


    Ils quittèrent le restaurant à une heure convenable. L’opération commençait le lendemain et ils devraient être en forme. Ils se donnèrent rendez-vous en fin de matinée devant la Marmite du Rat. L’Impériale avait salué le capitaine avec entrain tandis que son voisin s’était au contraire simplement contenté d’un hochement de tête solennel. Sur le chemin du Fort Silène, Waalhya songea à cette soirée et à ses deux nouveaux alliés.

    Ces quelques heures de négociations avaient été suffisantes à l’Orque pour comprendre ce qui préoccupait tant ce Ponnius : il était éperdument amoureux de Solniléa Astrius, ce qui était tout à fait compréhensible car non seulement elle était belle, mais elle avait aussi une personnalité bien à elle : une aptitude à s’éloigner de n’importe quel sujet de conversion, un manque perpétuel de sérieux qui la rendait parfois fatigante mais aussi terriblement attachante. Cet amour était à sens unique, elle ne lui rendait pas, elle l’ignorait et peut-être même s’en servait-elle pour le manipuler. Et l’Impérial en souffrait, son masque de rigidité et d’autorité n’était qu’un moyen pour dissimuler à quel point il était aigri et jaloux. Waalhya eut presque de la compassion pour lui, il comprenait sa douleur car il savait que l’indifférence était parfois pire que le rejet, qu’elle stimulait l’espoir, l’espoir qui le rongeait depuis l’intérieur. Néanmoins, l’Orque garda ce détail en mémoire : l’Impérial avait une faiblesse, il pourrait être judicieux de jouer là-dessus si l’opération tournait mal.


* * * * * *


    La troupe composée d’une dizaine de légionnaires et d’une autre dizaine d’archers de la Guilde des Voleurs partit à l’heure convenue. Pour atteindre cette caverne, il fallait suivre le chemin de Maar Gan puis quitter rapidement la route pour s’enfoncer dans les montagnes. La grotte était repérée sur les cartes mais ils n’avaient aucune donnée sur sa structure à l’intérieur. Son existence datait de l’époque où la Maison Rédoran avait décidé de creuser dans son sol pour trouver des ressources en ébonite mais l’absence de résultats avait laissé ce site à l’abandon.

    Ils y arrivèrent un peu avant la tombée de la nuit. Ils auraient pu l’investir de suite mais ils préférèrent monter un campement à bonne distance près d’un minuscule ruisseau qui s’échappait de la roche. Ils attaqueraient le lendemain au milieu de la matinée en espérant que leurs adversaires seraient reposés et motivés pour combattre. Toujours dans la perspective de protéger les otages. Plusieurs guetteurs se relayèrent de manière à ne jamais quitter des yeux la vieille porte de bois moisi.


    Waalhya s’assit autour du feu en face des deux chefs impériaux et ils répétèrent ensemble une dernière fois le plan du lendemain. Quand Ponnius quitta la réunion à contrecoeur pour aller préparer le matériel de ses troupes, Waalhya put discuter avec Solniléa :

        « Vous ne m’avez toujours pas expliqué ce que Baltagoth vous avait fait. Je suppose qu’il a trahi votre Guilde…

    - Il a volé la Guilde et même si cela est grave, nous n’aurions jamais déployé ces moyens pour si peu, commença-t-elle en chassant une boucle rebelle de son visage. Depuis le jour où je l’ai vu pour la première fois, j’ai su que cet homme n’était pas digne de confiance. Il y a un an, il a pris contact avec nous pour une affaire de vol que je ne vais pas vous détailler. Mais il a trahi nos membres, il les a vendu à notre ennemi. Je ne vous parle pas des gardes. Ce ne sont pas réellement nos ennemis… vous vous souvenez de ce que je vous ai raconté, ma petite histoire du cercle ?

    - Oui.

    - Nous avons un ennemi bien plus dangereux en Vvardenfell. Un ennemi aussi riche que brutal dont la puissance provient seulement du haut fait que son chef appartient à la lignée ducale.

    - Je crois comprendre de qui vous parlez.

     - Baltagoth leur a vendu nos compagnons d’armes. Evidemment, nous ne les avons jamais revus et je n’imagine même pas quels tourments cet ennemi a du leur infliger pour les faire parler. Cela a été un véritable coup de couteau dans notre dos, nombreux ont été les nôtres qui se sont faits volontaires pour participer à cette opération et faire payer ce sale traître. Je pense que vous comprenez mes motivations…

- Oui.»

    Il lui expliqua rapidement les siennes. Toutes ces histoires d’enlèvements et ce que la troupe dirigée par l’officier avait trouvé dans la Faille de l’Ouest mais il ne lui détailla pas les macabres découvertes dans la cache du sorcier. Kattlea avait été presque traumatisée par ces abominables machines ensanglantées, rouillées et cloutées dont elle lui avait parlé. Baltagoth était pourri jusqu’à la moelle, il avait le potentiel pour nuire à tout Morrowind si cela lui chantait. Après tout, c’était une motivation suffisante pour le consciencieux représentant de la loi qu’était Waalhya.


* * * * * *


    Le soleil brillait faiblement dans le ciel quand l’alliance décida de lancer l’offensive. Waalhya et deux autres légionnaires passeraient devant, suivis de trois archers voleurs. Kattlea, une mage de guerre brétonne et deux lames noires avançaient derrière ce groupe, attendant le signal du capitaine.

    Aucune lumière ne filtrait dans cette grotte. Il aurait été impossible d’avancer sans torche ou sort de vision. Son flambeau à la main, l’Orque guidait la troupe dans l’étroit tunnel bosselé. Le sol et les murs étaient friables, un tapis de graviers accompagnait chacun de leur pas. Ce n’était pas très rassurant. Ils marchèrent aussi prudemment que silencieusement pendant une petite minute jusqu’à atteindre une salle assez vaste. Tout droit, le couloir continuait normalement dans les ténèbres mais une large zone avait été creusée sur leur gauche et donnait sur l’étage inférieur plusieurs mètres en dessous.

    Cette partie en contrebas était étendue et donnait sur plusieurs autres tunnels dont l’un était légèrement éclairé. Waalhya se pencha au dessus du vieil escalier en bois qui descendait et parla d’une voix forte qui résonna dans les cavités rocheuses :

     « Orques, au nom de la loi impériale, nous vous ordonnons de vous rendre. Si vous déposez les armes sans faire d’histoires, il ne vous sera fait aucun mal. Je vous en donne ma parole en tant que membre de la légion. »

    Il n’y eut pas de réponse mais des bruits de voix étouffés et d’objets déplacés. Une silhouette apparut brièvement dans l’ouverture éclairée et regarda quelques instants dans leur direction avant de disparaître à nouveau. Waalhya donna alors le signal aux mages qui lancèrent leurs sorts de vision puis d’invisibilité. Ils disparurent silencieusement puis l’Orque et les deux légionnaires entamèrent la descente des marches usées en bois.


    Mais il y eut un bruit sec et l’escalier céda brusquement. La construction avait supporté le passage des magiciens mais pas celui de trois soldats en armure lourde. Le capitaine sentit le sol se dérober sous ses pieds et n’eut pas le temps de réagir. Lui et ses deux voisins dévalèrent bruyamment la façade avant d’atterrir dans un nuage de poussière et de débris de bois. Waalhya s’appuya sur sa hache et se releva aussi vite que son armure le lui permit. Il y avait plus de peur que de mal. Ils avaient glissé sur des planches brisées et l’inclinaison relativement faible de la pente avait amorti leur chute. Un des deux autres soldats souffrait tout de même à la cheville. Une petite entorse sûrement puisqu’il boitait mais pouvait tout de même marcher.

    La menace était nettement apparue dans le couloir lumineux. Les trois guerriers s’étaient armés et étaient décidés à combattre. Si les élèves de Baltagoth étaient aussi doués que leur professeur, les minutes à venir s’annonceraient particulièrement longues et difficiles. Waalhya jeta un rapide coup d’œil à l’étage supérieur. Les archers ne pouvaient pas tirer car il faisait trop sombre, l’un retournait à l’extérieur pour aller chercher des renforts espéra-t-il, les autres s’engageaient dans le couloir restant. C’était la meilleure chose à faire, l’escalade était trop périlleuse et il devait forcément un couloir qui descendait même s’il était plus long.

    Les légionnaires adoptèrent une technique exclusivement défensive. Ils restaient derrière les boucliers et attaquaient moins souvent que leurs adversaires. Dans les deux camps, le manque de luminosité gênait les manœuvres. Waalhya et ses deux soldats parvinrent à rester groupés mais ils reculaient de plus en plus vers l’éboulement. Rapidement, ils furent rejoints par deux archers puis deux autres soldats et la situation tourna à leur avantage.


    Un sifflement à l’étage attira l’attention du capitaine. C’était Kattlea et outre l’attroupement de soldats qui attendait prêt à intervenir, plusieurs silhouettes apparurent tout à tour derrière elle. Elle lui fit signe que leur opération était un succès. Alors Waalhya hurla l’ordre de charger.


* * * * * *


     Submergés par le nombre, les Orques avaient tout de suite déposé les armes. Les soldats les avaient plaqués au sol et solidement attachés. Aucun d’eux ne s’était débattu pendant tout le temps qu’on les avait conduit à l’extérieur.

    En sortant de l’étouffante caverne, Waalhya avait été presque aveuglé par le soleil. Il avait pu respirer une bouffée d’air pur et observer les joyeuses retrouvailles entre Solniléa et l’otage impérial. Son petit frère, expliqua-t-elle à l’Orque.


    « Et maintenant, allez-vous tenir votre part du marché ? avait demandé le capitaine avec méfiance.

    - Oui. » l’avait-elle rassuré en l’embrassant sur la joue pour le remercier.

    Il avait été surpris par ce brusque geste de tendresse. Un simple baiser qui avait pourtant fait frissonner tout son corps tant ses lèvres étaient douces et fraîches. Il avait affiché une mine déconcertée et elle en avait rit.


    Baltagoth fut livré au Fort Silène le lendemain matin par les représentants de la Guilde des Voleurs. La légion dut reconnaître leur efficacité dans la capture du criminel et les en félicita. Le vieil Orque était toujours le même, malgré les quelques coups qu’il avait reçus. Il avait voulu se montrer insolent et affronter tous les soldats de son regard injecté mais il avait fini par s’incliner. Il était fini.

    Waalhya ne garda pas un souvenir très net de cet événement pourtant mémorable. Il n’avait pu détacher ses yeux de Solniléa. Son baiser avait éveillé ses sentiments pour elle, son cœur s’envolait à chaque fois qu’il croisait son regard ou son sourire. Avec amertume, il songea qu’il était désormais dans le même traquenard que Ponnius, pris au piège, emberlificoté dans la toile de la passion. Mais non, ce n’était pas un simple piège. Ces sentiments étaient apparemment partagés comme le lui prouvèrent les quelques mots qu’il échangea avec l’Impériale un peu plus tard dans la journée et puisqu’ils convinrent de se revoir.


    Baltagoth fut enchaîné et traîné dans les villes d’Ald’Ruhn et de Balmora où les familles des victimes avaient été les plus nombreuses. Il était le dernier cerveau encore en vie de cette sordide histoire. Il n’avait pas tué ces gens mais il les avait livrés à leur mort, c’était la même chose. Durant son emprisonnement précédant le jugement, il tenta de se faire passer pour fou mais un prêtre expert en psychologie réussit à démontrer qu’il jouait la comédie. L’Orque fut bien évidemment condamné à mort.
    Jegfill le Nordique borgne aurait du subir la même punition mais Frald Le Blanc avait donné sa parole. Il fut condamné à seulement vingt-cinq années d’emprisonnement.
    Comme il n’y avait eu que des blessés légers, les trois guerriers fidèles au criminel durent seulement purger une peine de dix ans de travaux forcés et l’obligation de quitter définitivement le culte de Malacath.

    Waalhya reçut les honneurs de l’Ordre de Coeurébène et insista pour les faire partager avec tous ceux qui l’avaient servi. Il s’installa à Pélagiad quelques années plus tard où il entreprit la rédaction du récit de ses aventures.



(FIN)




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