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[H] Là dont nul ne revient jamais...


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12 réponses à ce sujet

#1 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 26 novembre 2004 - 12:31

Là dont nul ne revient jamais...

La tempête de sable soufflait sans répit. Voilà plusieurs nuits déjà que le vent semblait s'être donné pour but de grignoter Maar Gan pierre par pierre. Les murs fatigués de la bourgade redoran semblaient crisser sous l'intense morsure du sable enlevé aux collines alentours. Ils se joignaient aux hululement courroucés de l'Echassier des Marais et aux craquements secs de l'enseigne défraichie de l'auberge en une lugubre mélopée qui s'élevait en contrepoint des hurlements du simoun.

Quelque part entre ces deux cris, de haine et de peine mêlées, le garde restait tant bien que mal en faction. Malgré ses tentatives pour se glisser dans une encoignure du mur ou serrer son menton contre sa poitrine, le vent se glissait sournoisement dans les moindres recoins, chariait de toute part quantité de sable urticant. Peu importait la position du dunmer ; sa peau, ses yeux étaient inéluctablement exposés aux mêmes outrages que les murs qu'il devait défendre.

Cette pensée martiale lui réchauffa quelque peu le coeur et le détourna de celle, pernicieuse, que tout le village hormis lui se tenait douillettement niché au coin d'un feu, dormait ou s'entretenait de banalités bien à l'abri sans se soucier un instant du martyre qu'il endurait.

Il était un guerrier, un soldat et un Redoran. Ce vent, comme le Fléau du temps de son enfance, était un ennemi qui assiégeait Maar Gan. Il cherchait à déstabiliser la sentinelle qu'il était, à lui faire baisser la garde pour se ruer sur les civils inconscients du danger et de l'importance de sa tâche.

Tout à ce fantasme qui dépouillait pour un temps sa veille et de son inconfort et de sa pesante inutilité, Hleran Assarmini n'aperçut pas la silhouette qui, derrière lui, se glissait en catimini à l'intérieur du temple.

#2 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 29 novembre 2004 - 18:51

Maar Gan avait longtemps été un avant-poste redoran, refuge pour les voyageurs et les commerçants sur la route menant d'Ald'ruhn à Gnisis. Le démentellement du Rempart Intangible à la fin du Fléau avait vu la réouverture de nombreuses routes sillonnant les contreforts de la Montagne Rouge. Dès lors, le commerce local avait d'année en année décliné, à l'image du nombre de visiteurs. Maar Gan n'était plus à présent qu'un petit village isolé, mais la garnison redoran avait maintenu la vieille habitude de patrouiller à quelque distance des remparts après chaque tempête de sable, au secours d'hypothétiques voyageurs égarés.

L'esprit embrumé par le sommeil, Hleran Assarmini trébuchait à la suite de ses compagnons. Il lui restait cependant suffisamment d'énergie pour pester contre le sort qui l'avait désigné pour faire partie de la patrouille. Dire qu'il n'avait eu que quatre heures de sommeil depuis la fin de sa garde ! Et voilà qu'il devait se farcir cette promenade à l'aube, alors que les douleurs de la nuit ne s'étaient pas encore tout à fait estompées. Dagoth ! Il en avait sa claque d'être toujours de corvée !

.C'est alors qu'ils atteignaient la crète d'une dune à un jet de pierre au sud de l'avant-poste qu'ils découvrirent le corps.

Ce n'était pas, cette fois, un pauvre hère surpris par la tempête qui aurait tourné en rond jusqu'à l'épuisement. L'un des gardes s'agenouilla devant l'altmer, prostrée dans une posture grotesque. De sa main gantée de cuir épais, il la retourna doucement.

"Elle est morte, sergent. Y a plus d'six heures, j'dirais." Il considéra un instant son visage tordu de douleur, la profondeur de ses plaies, ses robes de pélerin lacérées, et demanda par acquis de conscience: "Un alit, peut-être ? Les vieux solitaires sont parfois...
- M'étonnerait, Assan. Fais voir sa bouche.
"

Le garde s'exécuta et saisit le menton de la dépouille avec une certaine rudesse. Il dut s'y reprendre à deux fois pour dégager sa gorge du sable et du sang coagulé, mais comprit tout de suite ce que son supérieur voulait dire.

"On a tranché ses cordes vocales, sergent.
- Comme aux autres...
" rétorqua celui-ci d'un ton douloureux.

#3 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 30 novembre 2004 - 15:26

Fatigue et mauvaise humeur s'étaient évanouies. La femme était morte la nuit précédente. A quelques pas seulement de Maar Gan. Vraisemblablement pendant sa garde. Hleran s'en voulait amèrement pour son comportement puéril. Combien de fois avait-il récriminé contre ces patrouilles, contre la garde nocturne, contre le vent ? Ce qui la veille encore lui paraissait une habitude vide de sens se révélait à présent une cruelle nécessité. Si par malheur il s'était endormi hier, ce qui avait tué l'elfe solitaire aurait pu s'en prendre au village...

"Sergent... commença-t-il.
- Plus tard, p'tit. Nous parl'rons plus tard."

Le sergent Hassour Aranion lança un coup d'oeil alentour, sans que Hleran puisse deviner ce qu'il cherchait vraiment. Finalement, il avisa à quelque distance un taillis épineux où pendaient quelques lambeaux de tissu. Il s'en empara et les rangea dans le creux de son plastron.

"Pas difficile de deviner ce qui s'est passé p'tit, lui chuchota Assan tandis que le sergent revenait vers eux. Elle a sûrement quitté la route sans s'en rendre compte pendant la tempête. T'vois, le vent a renversé les poteaux indicateurs, là-bas. Elle a tourné un moment en rond avant d'avoir l'bon réflexe. Se glisser un peu à l'abri. Et attendre que ça passe. Et c'est là que l'autre lui est tombé d'ssus.
- Ou alors
, intervint Hassour, elle s'est fait attaquer sur la route. Et elle a réussi à lui glisser entre les doigts, va savoir comment. Elle aura essayé de se planquer dans les taillis, là. Mais l'autre l'aura repéré, tiré au-dehors... et voilà. Difficile à savoir ce qui s'est vraiment passé après tout ce vent , Assan.
- L'autre ? Quel autre ? De quoi vous p...
- Bon. P'tit ! Assan ! va falloir la porter un moment. Suivez-moi !
"

P'tit ! p'tit ! songeait avec amertume Hleran en saisissant la morte par les chevilles. C'était toujours pareil. Il était le dernier à avoir été affecté à la garnison de Maar Gan. Le plus jeune, en plus. Du coup on ne lui disait jamais rien. Ou rarement. C'était toujours "P'tit ! va faire ci !", "On en parl'ra plus tard, p'tit." On le traitait comme un gamin. Alors qu'il était garde, comme les autres. Redoran comme les autres. C'était pas juste, voilà.

Les trois gardes s'éloignèrent en direction du sud, avec leur funèbre fardeau.


Ils atteignirent leur but après une marche d'une vingtaine de minutes. Sur le flanc ensablé d'une colline s'ouvrait la porte d'une tombe ancestrale. Laquelle ne portait pas de nom. Le sergent Aranion ramena des tréfonds de son plastron une longue clef métallique ainsi qu'une lampe à huile cabossée. Une fois la porte déverrouillée, il fit un peu de lumière et engagea les autres à le suivre.

Le lieu était agréablement frais. Au-dehors, malgré l'heure matinale, le soleil tapait déjà fort. Le sergent referma la porte et descendit une volée de marche, ses hommes sur les talons. Par moment, un des gardes laissait échapper un grognement d'effort. L'altmer commençait à se faire lourde, et le peu de lumière que dégageait le luminaire poisseux de leur chef ne les aidait pas beaucoup dans leur progression. De temps en temps, on entendait un crissement désagréable, qui n'avait rien à voir avec le crachottement de la lampe d'Hassour ou avec celui des torches qui éclairaient chaque palier. Les bruits se murent progressivement en échos de voix lointaines et désagréables. C'était comme si on murmurait à l'oreille de Hleran des paroles impies dans une langue oubliée. Il s'aperçut avec quelque effroi qu'il fermait la marche, et que la lueur des lampes tissait une sarabande d'ombres dérangeantes derrière lui. Ses compagnons, de dos, ne semblaient pas plus mal à l'aise qu'aux cantonnements. Il se fit violence pour ne rien dire et continuer. On se rirait de lui, sans doute.

La descente s'achevait sur une autre porte. Les voix étaient plus pressantes à ses oreilles, maintenant. Elles appelaient des ténèbres. Elles s'impatientaient. Le cadavre était si froid dans ses mains... Hleran ne put réprimer un frisson.

Le sergent Aranion fit jouer la poignée de la porte avec insouciance.

#4 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 02 décembre 2004 - 10:30

Le courant d'air glacial qui s'échappa de l'ouverture fit vaciller l'ocre lueur dans la main du sergent. Hleran discerna dans le tournoiement d'ombres des formes qui s'extirpaient des murs et des alcôves encadrant de loin en loin l'escalier emprunté. L'une des créatures plana vers lui avec une grâce singulière. Le regard du jeune garde s'éleva des étoffes grisâtres à son visage sans vie, à l'intangible ossature. Son fardeau lui échappa des mains et roula au bas des marches, manquant au passage de renverser un Assan figé par les apparitions. Il recula en trébuchant et tira son épée du fourreau. Hassour Aranion ne détourna pas la tête lorsqu'une main de la dépouille de l'altmer buta contre ses talons. Et pour cause: un gigantesque Cadavre Ambulant lui faisait face.

Avec précaution, le sergent éleva sa lampe et illumina la devise redoran qui ornait son plastron. "Je suis le sergent Hassour Aranion, articula-t-il soigneusement, et ces hommes sont des Redoran en mission. Faites place aux Protecteurs de vos enfants, Gardiens !

Le mort-vivant le fixa un instant, et grinça vaguement des dents. Puis il recula de quelques pas. A regret, pour autant que le laissait supposer l'expression de son visage. Les Fantômes Ancestraux réintégrèrent lentement les recoins où ils aimaient à se tapir.


"J'déteste quand ils font ça, merde ! grommela Assan entre ses dents. Il tendit la main à Hleran pour le relever. Ton épée aurait servi à rien, t'façon. Le fer peut pas les blesser. Il faut un enchantement ou une arme en argent pour les repousser. Enfin, c'était courageux d'ta part. Sot, mais courageux."

Le sergent Aranion lança un regard mauvais dans la salle puis s'en revint vers ses hommes.

"Tout va bien ? demanda-t-il. Ces foutus Gardiens deviennent pire de fois en fois. On voit bien que ça leur démange de nous faire la peau.
- Ils supportent plus les vivants, sergent. M'est avis qu'ils n'aiment plus beaucoup l'Tribunal non plus... J'sais pas sergent... ça m'paraît normal en fin de compte. Garder sans fin d'autres morts qui ont, eux, accédé au repos, ça doit taper sur le système, au final. J'sais pas quels péchés ils ont commis pour être puni comme ça... et j'crois pas avoir vraiment envie de l'savoir.
- Mouais... t'as du bol que le 'prélat' soit pas avec nous aujourd'hui. Y t'aurait fait le sermon de ta vie, pour c'que tu viens de dire. Sûr qu'il te jugerait digne de faire partie d'eux, de suite. Enfin. Récupère-la avec le p'tit. On va la déposer dans la chapelle d'à côté avec les autres.
"

En se baissant pour attraper la femme par ses poignets, Hleran constata que le poing gauche de la femme s'était desserré. Sans doute plusieurs os s'étaient-ils brisés durant la chute. Il ouvrit la main du cadavre.

"Sergent... demanda-t-il d'une toute petite voix, C'est normal, cette pierre dans sa main ?"

#5 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 06 décembre 2004 - 17:57

Les deux gardes redoran avaient déposé le corps de l'altmer sur une stèle. Il se reposaient maintenant un instant, appuyés contre le mur, tandis que le sergent Aranion s'était assis de façon fort irrévérencieuse sur le dernier tombeau libre. Pensif, il faisait sauter dans sa main la pierre trouvée par Hleran.

Ce dernier observa avec curiosité les corps allongés sur la pierre alentour. Il y avait là, en plus de la femme qu'ils venaient d'amener, deux dunmer mâles. Le premier, quelque peu ventripotent, portait les attributs des prêtres du Tribunal ; le second était un vieillard loqueteux. Un mendiant, manifestement. Son visage était dépourvu de toute expression. On lui avait fermé les yeux, comme aux autres.

"C'est l'premier qu'on a ramené, déclara Assan qui suivait le regard de son cadet. Le 'prélat' a tenu à faire sa toilette. Il nous a dit qu'il était sûrement aveugle.
- Tous trois ont eu les cordes vocales tranchées
, marmonait Hassour. Je me demande bien pourquoi... et ce caillou dans la main... Son visage allait d'une victime à l'autre. Ca ne colle pas. Les autres n'avaient pas de pierre en main.
- Elle a p't-être essayé d'se défendre avec, sergent.
"

Le sergent bondit de son siège improvisé et s'approcha de son subalterne. Il lui tendit l'objet.

"Regarde cette pierre, Assan. Tu crois qu'elle l'aurait brandie sous le nez de son agresseur pour le menacer ? Elle l'aurait trouvé où, pour commencer ?"

Ce n'était pas le genre de pierre que l'on trouvait dans les sables autour de Maar Gan, en effet, nota Assan lorsqu'il l'eut en main. Au contraire des monolithes qui rompaient de loin en loin la monotonie des dunes, elle était d'un noir de jais. Il s'agissait moins d'une pierre que d'un éclat de roche. Tranchant, c'est vrai, mais ça n'avait rien d'une arme. Et encore moins d'un bijou, ou d'une amulette que l'on transporte avec soi.

"Ce foutu caillou n'a rien à faire là. Rien. Je m'demande comment il a atterri dans sa main.
- Son aggresseur, sergent ?
- Pourquoi seulement elle, alors ?
" Hassour criait presque, comme chaque fois qu'il avait l'impression qu'un détail lui échappait ; il n'aimait pas les problèmes compliqués. Prendre un voleur la main dans le sac, voilà qui était un travail de garde. Ou poursuivre un assassin, à la rigueur. Mais ce n'était pas à lui de faire ce travail d'enquêteur. Bon sang ! Il y avait sûrement des spécialistes pour ce genre de chose !

"C'est quoi ça ? interrogea Hleran alors que le silence s'appesantisait. Il avait précautionneusement examiné les cadavres, puis aperçu dans un coin de la salle une vaste urne funéraire fendue, d'où dépassaient tissus et saletés diverses.
- La poubelle. Le Cousin (Hleran sursauta d'entendre prononcé ainsi le titre du dignitaire redoran, amputé de l'appendice 'son excellence' dont il était à l'ordinaire accompagné.) tenait à tout prix à ce que les cadavres découverts durant nos patrouilles ne soient pas ramenés dans l'avant-poste. Il nous a indiqué où il faudrait les déposer: ici. Il avait raison, d'un sens. Tu imagines la panique, p'tit, si les habitants apprenaient que durant les dernières tempêtes de sable, quelque chose ou quelqu'un massacre les voyageurs égarés ? J'les entends d'ici, les gens, moi. Finalement, la bonne vieille question "Que font les Redoran ?" parviendrait jusqu'à Ald'ruhn. Au conseil. Ca barderait pour le Cousin. Ca barderait pour moi. Et ça barderait pour vous."

Assan approuvait ce laïus avec force hochements de têtes. Personne n'avait envie que ça barde. Surtout pour soi.

"Alors on a reçu des consignes pour faire disparaître les corps, ainsi que les éventuelles traces de luttes. Morceaux d'étoffe déchirée, bâton de marche, et ainsi de suite, poursuivit le sergent. On les a mis là, en attendant de les brûler.
- J'crois qu'le 'prélat s'en est servi aussi quand il les a décrassés. Pour la toilette funéraire, sergent
", ajouta-t-il obligeamment.

On entendit Hassour retenir soudainement sa respiration. Non !? Cet ahuri n'avait quand même pas... Hleran Assarmini renversait déjà l'urne sur le sol. Après un bref instant, il ramena des détritus deux autres éclats noirs.

Il y avait bien trois pierres, une pour chaque victime.

#6 Not Quite Dead

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    Rincevent


Posté 07 décembre 2004 - 18:15

"... trois pierres, une pour chaque victime." acheva le sergent Aranion qui transpirait à grosses gouttes.

Son excellence le Cousin de la Grande Maison Redoran, Llaredan Veloth, leva un sourcil interrogateur. Mal à l'aise, le sergent gigota sur le siège inconfortable où il avait pris place.

"Nous sommes médusé par vos talents d'enquêteur, sergent. Vous et vos hommes faites honneur à notre Maison", commença son excellence Veloth du ton ambigu qui lui était propre.

Hassour n'osait pas lever les yeux vers son supérieur. Il détaillait pour l'instant les motifs passionnants du tapis. C'était en ces moments qu'il se maudissait pour avoir obtenu de l'avancement, durant ce coup de force contre une base clandestine telvanni, au sud-ouest de la Porte des Ames. Il aurait donné toute sa solde et celle du mois prochain pour pouvoir se trouver hors de ce bureau, à attendre derrière la porte comme Assan et le p'tit. Simple soldat ! Un passé révolu qui avait des airs de paradis dans des moments comme celui-ci. Un silence glacial lui fit lever la tête malgré lui. Le haut dignitaire le fixait, l'air d'attendre. Hassour devint livide : l'autre lui avait sans nul doute posé une question qu'il n'avait pas entendu, trop occupé qu'il était à maudire son triste sort de sous-officier.

"Ahem... Je remercie votre excellence, votre excellence... risqua-t-il au hasard.
- Mais nous vous remercions également, sergent." rétorqua le noble. Chaque syllabe glaça Hassour Aranion jusqu'à la moelle. Il se tassa davantage sur son siège, malgré la rigidité de son armure. "Nous vous remercions de l'intérêt que vous portez à nos propos, du sérieux de vos investigations. De fait, nous songeons sérieusement à accorder une prime spéciale à vos fins limiers.
- ...
coassa le sergent.
- Si, si, nous nous permettons d'insister. Voilà seulement deux semaines qu'un mystérieux individu s'en prend aux voyageurs sur nos route, et vous savez déjà qu'il s'agit vraisemblablement de la même personne parce que, nous nous permettons de vous citer, "les victimes ont toutes la même blessure à la bouche, et tiennent toutes un caillou noir dans la main". Remarquable, vraiment."

Rien dans l'attitude de son excellence ne laissait entendre qu'il allait sous peu applaudir, aussi Hassour persévéra-t-il dans ses efforts pour ne faire qu'un avec la chaise où il était perché. Il aurait bien voulu fermer les yeux, aussi, mais il était de rigueur d'ôter son casque lorsqu'on faisait son rapport.

"Nous regrettons cependant que vous n'ayiez pas la moindre idée sur l'identité de ce maniaque ou sur ses motivations. Mais nous vous sommes assurément gré de vos efforts, car nous savons que vous ferez tout pour qu'il n'y ait pas de nouvelle victime n'est-ce pas ?
- Je... oui, votre excellence.
- Nous ne voudrions pas vous retenir, sergent. Vous avez sans doute énormément de choses à organiser, traquer le criminel, protéger notre bonne cité, ce genre de chose.
"

Son excellence le Cousin se tourna vers la bibliothèque et retira d'un rayon un rouleau de parchemin. L'entretien était apparemment terminé ; Hassour déguerpit sans demander son reste.

Lorsqu'il rejoignit ses hommes dans l'antichambre, le visage défait, il fut soulagé de constater qu'Assan fixait consciencieusement une fenêtre. Il déchanta cependant en croisant le regard inquiet de Hleran.

"Ca a été, sergent ?" demanda le jeune garde innocemment.

Assan leva les yeux aux ciel.

" Bon. Va t'pieuter p'tit ! Tu prends la première garde ce soir avec le 'prélat' ! J'vais lui apprendre à balancer des indices avec les ordures, moi ! Assan ! Avec moi !"

Deux gardes de nuit de suite ! Hleran Assarmini s'apprêtait à se plaindre, mais quelque chose dans les yeux de son supérieur l'en dissuada. Lorsque les deux autres furent partis, il regagna le rez-de-chaussée en trainant les pieds.

#7 Not Quite Dead

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    Rincevent


Posté 09 décembre 2004 - 15:28

Après quelques heures de sommeil, Hleran Assarmini décida de s'offrir un peu de détente avant l'épreuve qu'il devrait affronter durant la nuit. Ajustant encore le lourd plastron qui lui meurtrissait déjà les hanches, il franchit le seuil des cantonnements. Il fut accueilli par une bourrasque de sable; il pesta. Le début de matinée laissait espérer un temps plus clément. Quelques rafales s'essayaient déjà à ébranler les moellons de la vieille Maar Gan. La veille serait doublement pénible: à la déveine de faire équipe avec le 'prélat' s'ajoutait celle de devoir lutter une fois de plus contre les éléments.

Tournant le dos à la première enceinte, Hleran gravit la colline et s'avança résolument vers la mal-nommée Maison de Commerce d'Andus. La douce atmosphère de fumée, de vapeur d'alcool et de bavardage léger glissa sur lui comme un baume. Ici, il pourrait oublier un instant qu'il était garde, et que son service de ce soir serait particulièrement pénible. La taverne (car depuis la mort d'Andus, il y a de cela plusieurs décennies, les lieux avaient été reconvertis en débit de boisson), la taverne donc, était bondée, comme à chaque soir de tempête. Les habitants de Maar Gan répugnaient à rester enfermé chez eux, lorsque résonnaient au dehors les sifflements rageurs du vent; on leur préférait quelques chansons assorties de plusieurs tournées de mazte. Les horreurs du Fléau marquaient encore les esprits, même si les dunmer parmi les plus jeunes n'accordaient guère plus de crédit à l'existence passée de Dagoth Ur qu'à celle d'un croquemitaine qui aurait élu domicile sous leur lit.

Malgré la forte affluence, une table, assez bien placée au demeurant, comptait encore plusieurs tabourets de libre. Hleran Assarmini n'en comprit la raison que trop tard ; il n'eut pas le temps de rebrousser chemin :

"Ah! Mon jeune ami ! Almsivi te bénisse ! Viens donc te joindre à nous !"

Le 'prélat' était en train de sacrifier à son activité de prédilection: la charité selon le coeur du Tribunal. A sa gauche, baffrant sans nuls égards pour son bienfaiteur et avec cette avidité tenace dont seuls les vieux les plus décatis font preuve: le Marmonneur. Le pouilleux le plus puant de Maar Gan. Le vieux le plus timbré de Vvardenfell. Sans doute y avait-il un titre qui lui rendrait justice à l'échelle de Morrowind, mais Hleran ne se sentait pas le courage d'essayer. Devant le franc sourire de son compagnon d'armes, il capitula et s'assit aussi loin que possible de l'indigent impérial, lequel le gratifia d'une grimace édentée :

"Mmmh... Bien le... mmmh... bonsoir, mmmh... l'ami. Il avait, même à cette distance, l'haleine d'une cohorte de Chiens de Nix.
- J'ai été ravi d'apprendre que nous ferions équipe ce soir, jeune Hleran."

D'une certaine manière, songeait ce dernier, "jeune Hleran" était encore pire que "p'tit". C'était de la condescendance en habits de fête. Cela sentait les fumigations d'encens et la St Llothis. Le jeune garde posa son casque à terre, non loin de ses pieds, et commanda une bière. Le 'prélat' se penchait déjà vers lui et chuchotait :

"Il était temps à mon avis que les gardes soient doublées : la situation devient trop... tendue. Trop... Il glissa en regard en coin au Marmonneur qui lorgnait ses oeufs de Kwama frits, lui tendit son assiette et poursuivit : Trop dangereuse. Le sergent Aranion m'a parlé d'une nouvelle victime, mais je n'ai pas eu droit aux détails. Si nous en parlions pendant que nous..."

Le mendiant s'était attribué dans l'intervalle la pinte de Hleran, Vivec sait comment, et l'achevait sur un rot sonore. Il se mit à gratter avec obstination le rebord de l'assiette du 'prélat' pour en décoller les morceaux de coquilles carbonisées. Il ne prêtait pas la moindre attention au reste de l'univers. Le 'prélat' eut un geste compatissant vers lui et poursuivit son conciliabule:

"...pendant que notre ami mange ? Il y a bien trop de bruit ici pour que quiconque nous entende, et la tempête ne nous laissera sans doute pas le loisir de bavarder durant notre faction."

Hleran acquiesca, et fit un rapport détaillé de la situation à son aîné, récit ponctué par les suçotements et les gargouillis infâmes du Marmonneur.

#8 Not Quite Dead

Not Quite Dead

    Rincevent


Posté 14 décembre 2004 - 16:26

La fin du récit de Hleran coïncidait avec la relève de la garde. Son compagnon déposa quelques drakes sur la table, qu'une fille de salle s'empressa d'éloigner des mains crasseuses du mendiant. Après un regard de regret vers la table qu'il venait de quitter, celui-ci emboîta le pas des deux redoran qui se dirigeaient vers la porte en rajustant leur tenue.

Les efforts conjugués du sable et du vent reléguèrent rapidement la douillette atmosphère de la Maison de Commerce au statut de doux rêve finissant. Il leur faudrait à présent affronter le froid, la tempête et la menace du mystérieux assaillant. Avant de descendre la rue pour gagner la porte principale de la bourgade, le 'prélat' s'attarda un instant sous un porche en compagnie du Marmonneur. Ils échangèrent quelques paroles inaudibles, quelques pièces changèrent de propriétaire, et tous deux se séparèrent.

"J'espère qu'il mettra à profit cette somme pour dormir à l'auberge, déclara le garde à son cadet. Il est déjà bien suffisant que nous autres passions la nuit dehors, non ?"

Hleran haussa les épaules. Il fallait presque hurler pour se faire entendre. A quoi bon s'époumoner pour lui dire que cette aumône serait avant la fin de l'heure convertie en un cruchon d'une quelconque vinasse ? Le 'prélat' pouvait dépenser sa solde comme bon lui semblait, après tout. Il avait souvent eu l'occasion de voir durant ses gardes le vieillard drapé dans les vestiges de son manteau, en travers d'un seuil. Manifestement, il préférait l'ivresse à un bon lit assorti d'un bain. Que lui importait ? L'aptitude du 'prélat' à prêcher dans le désert était devenue légendaire. Et il n'allait certainement pas endurer un sermon sur l'importance de la miséricorde pour le simple plaisir de partager son opinion !

Les deux gardes furent bientôt en faction, au croisement des deux rues principales (des deux seules rues, à vrai dire) de Maar Gan. Par temps clair, on pouvait deviner à une extrémité la taverne qu'ils venaient de quitter, alors que l'autre voie s'achevait contre la façade du Temple dunmer. C'est en dirigeant ses regards dans cette direction, le temps d'une courte prière, que le 'prélat' vit une silhouette courtaude se diriger à grand pas dans leur direction. Un vague sentiment de désappointement envahit son âme. Il confia sa lance au jeune Hleran et intercepta le nouvel arrivant alors qu'il tentait de s'échapper en direction de la Maison de Commerce d'Andus.

"Je suis, père Narelos, très déçu par votre attitude... commença-t-il.

Le bosmer s'arrêta, ses robes de prêtre d'Almsivi claquant autour de lui sous l'effet de rafales particulièrement acharnées. Ô Dame Almalexia ! Pourquoi fallait-il que ce soit justement cet illuminé qui gardât les portes ce soir ! Il esquissa un soupir et attendit docilement les remontrances auxquelles il ne pouvait plus espérer échapper. Comme par un fait exprès, le vent faiblit quelque peu.

"Comment ? résonna haute et claire la voix du 'prélat', vous quittez une fois de plus votre poste ? Votre place n'est-elle pas au pied des autels, surtout lorsque soufflent sur les coeurs le vent du désespoir, la bourrasque de la peur, que dis-je ! la tempête du doute ? Comment pouvez-vous, en âme et conscience, abandonner le Temple sacré qui ceint la Roche détournée de Maar Gan par les soins du Tribun lui-même ?
- Mais... le temps n'est pas...
voulut interrompre le père Narelos.
- Et si ce temps, précisément, voyait arriver, transi de froid, quelque pélerin ? Vous laisseriez un fidèle devant une porte close ? Et vous pourriez demeurer, bien au chaud, à siroter une liqueur fine, les pieds bien tranquillement étendus sous la table ? Ce ne serait pas seulement votre porte que vous lui refuseriez, mais le doux réconfort de la Foi, l'appui du Tribunal !"

Lorsque le bosmer reprit d'un pas chancelant sa route. La colère du 'prélat' semblait être retombée. Tout breuvage aurait sans doute ce soir le goût amer de la culpabilité pour le pauvre bougre... On ne pouvait pourtant décemment lui reprocher de déserter comme ses ouailles un lieu dont le culte tombait jour après jour un peu plus en désuétude. On ne voyait guère plus que quelques particuliers pour cheminer à travers Vvardenfell sur les pas de Vivec. Et le sanctuaire de Maar Gan était devenu l'un des plus méconnus. Qui se souciait encore de légendes accomplies il y a des siècles de cela, par des soi-disant dieux que nul n'avait aperçu depuis des générations ? Hleran blémit derrière son casque lorsqu'il perçu le regard pénétrant du 'prélat' posé sur lui ; par moment, ce dagoth de dunmer semblait lire dans les pensées.

La garde se poursuivit pourtant sans un mot. Les deux elfes noirs luttaient en silence contre les éléments. On perdait aisément la notion du temps, au creux de la tempête. Il était facile de perdre sa vigilance, de rester uniquement concentré sur le peu de chaleur qui nous restait. Qui s'enfuyait, petit à petit, à mesure que l'on devenait sable, nuit et froid. Lorsque le vent ne résonnait plus aux oreilles, tant celles-ci s'y étaient hab...

Un coup de coude tira Hleran de sa somnolence. Il était appuyé le rempart, non loin de la voûte. Les sables rugissaient toujours autour d'eux. Il fixa le 'prélat' prêt à s'excuser. D'un geste, celui-ci lui intima le silence. Immobile, attentif, celui-ci guettait à travers la tempête un faible écho. Il sembla soudain à Hleran entendre aussi un cri lointain, presque imperceptible. Les deux dunmer hésitèrent un instant. Fallait-il donner l'alarme, au risque d'avoir été abusés par les rumeurs du simoun ?

Il y eut un soudain grognement dans la tourmente, non loin d'eux. A travers les rafales se devinait une silhouette massive qui ondulait à vive allure droit sur eux. Le 'prélat' tira son katana du fourreau et s'apprêta à soutenir la charge, genoux à demi-fléchis. L'épée de Hleran était déjà au clair, pointée vers l'intru qui galopait dans leur direction.

"Halte ! Redoran !" cria le jeune garde.

Dans un grognement affolé, un guar de bât bouscula les deux soldats et s'engagea sous l'arcade. Hleran saisit ses rênes à la volée, et tira de toutes ses forces. L'animal s'arrêta ; il piaffait nerveusement. Tandis qu'il flattait les flancs de la bête de somme pour la calmer, Hleran remarqua qu'elle avait été blessée, une profonde entaille zébrait sa cuisse gauche et avait déchiré sacoches et harnachement. Plusieurs livres étaient tombés à terre durant ses contorsions pour se libérer de la poigne du jeune dunmer. Le 'prélat' se pencha pour en saisir un, au hasard. C'était un exemplaire écorné des Vies des Saints.

"Ce sont de saints ouvrages du Tribunal ! Quelque pieux marchand a sans doute été attaqué sur la route, derrière les dunes, là-bas. Regarde. Voici les Anticipations, et là, un Sermon de Vivec ! Je dois y aller.
- Un instant ! Je... tu... et notre garde ?
"

Le 'prélat' se précipitait déjà dans le désert, son arme à la main. Hleran resta un instant indécis. Devait-il rester à son poste ? Suivre son aîné ? Merde ! Il courut en direction des cantonnements, ouvrit la porte à la volée et hurla:

"Une attaque sur la route !!!"

avant de s'en retourner à toutes jambes dans la direction qu'avait emprunté le 'prélat'. Coupant à travers les dunes, il regagna la route en contrebas. Il dépassa la dépouille sans vie d'un breton, qu'entouraient une caisse renversée et un ballet de manuscrits et de pages folâtrant dans le vent.

A quelques mètres de là, le corps du 'prélat', appuyé contre un monolithe. Son casque avait été arraché, et les poils roux de sa barbe étaient maculés de sang. Hleran se penchait sur lui lorsqu'il sentit un mouvement derrière lui. Il pivota sur lui-même et se jeta sur la forme qui se glissait dans son dos. Tous deux roulèrent au sol dans un tourbillon de sable. Le jeune garde prit rapidement l'avantage. Un genou sur la poitrine de son adversaire, il posa la lame de son épée sur son cou décharné.

"Garde ta mmmh... colère pour un mmmh... autre, mon garçon. Mmmmh... nous arrivons mmmh... tous deux mmmh...trop tard..."

#9 Not Quite Dead

Not Quite Dead

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Posté 16 décembre 2004 - 14:21

Hleran eut un mouvement de recul. L'haleine putride du Marmonneur était reconnaissable entre toutes. Le vieil impérial dévoila en un sourire piteux quelques chicots noirâtres.

"Mmmh... et si tu enlevais cette mmmh... épée de ma mmmh... gorge ?"

Le jeune redoran faillit obtempérer, puis se ravisa :

"Que fais-tu là, Marmonneur ? interrogea-t-il en raffermissant sa prise.
- Je suis mmmh... comme toi, jeune garde. Mmmh... je veille. Je le fais simplement depuis mmmh... plus longtemps que toi."

Il suivait d'un air amusé les yeux de son assaillant. Hleran Assarmini observait alternativement les cadavres et sa prise. Le mendiant posa sur son poignet une main légèrement tremblante, entourée de bandelettes crasseuses, déchirées ça et là. Vivec seul savait quelle plaie purulente elles dissimulaient.

"Tu ne mmmh... me crois pas capable mmmh... d'avoir à moi seul mmmh... massacré ton ami et ce Breton, mmmh ?"

La situation était par trop absurde. Cet humain pitoyable, tout le monde à Maar Gan le connaissait. L'évitait. On le voyait souvent marmonner tout seul à un coin de rue, cuver sous la rampe de l'Echassier des Marais, s'abriter sous un porche. Nul ne lui prêtait attention. Il faisait partie des murs, pour ainsi dire, revêtu de la meilleure des capes d'invisibilité : l'indifférence. Ils avaient été trop bêtes !

"Tu sais quelque chose, n'est-ce pas ? Tu furètes tout le temps partout, tu as écouté notre discussion tout à l'heure à la taverne. Depuis combien de temps épies-tu les indiscrétions ? Le regard de Hleran s'était durci. Il dressa son poing gauche au-dessus de la tête du vieil homme et répéta: Parle ! Que sais-tu exactement de ces meurtres ? C'est de ta faute si ces gens sont morts !"

Il le frappa une première fois à la tête. La douleur effaça la moue suffisante du mendiant. Chaque question était à présent ponctuée d'un coup. Il saurait ; il devait savoir.

"Pour qui travailles-tu hein ? Sale petit fouineur ! Les Hlaalu ? La Guilde des Voleurs ?
- Non !
coassa le vieux. Pitié, uuuh ! Mmmh, pitié Hleran !"

Le dunmer fixa la main gauche du vieux, maigre protection au-dessus de son visage ensanglanté. Les bandelettes s'étaient défaites et pendouillaient le long de son poignet. Sa rage tomba. Son épée se ficha dans le sable et il se recula, bouche bée.

"Je suis uuuh... trop mmmh... vieux uuuh... Trop vieux mmmh... pour me battre uuuh..." lâcha le Marmonneur, la respiration sifflante. Ses mains s'aventuraient à présent sous son vêtement crasseux avec des mouvements spasmodiques.

Hleran aperçut non loin le flamboiement de torches en prise avec la tempête. Les renforts arrivaient. Il ne broncha pas lorsqu'il entendit le Marmonneur lire un rituel de Rappel. Pas davantage lorsque le sergent Aranion et ses hommes arrivèrent sur place.

Une seule chose occupait tout son esprit. Le vain rempart de cette main levée alors qu'il le frappait. Cette main abîmée par le temps, où brillait sur un doigt arthritique, entre les bandelettes jaunâtres, un anneau reconnaissable entre tous.


L'anneau d'Hortator de la Grande Maison Redoran.

#10 Not Quite Dead

Not Quite Dead

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Posté 20 décembre 2004 - 10:34

L'escadre du sergent Aranion se retrouva au grand complet dans la cour intérieur du temple. C'était un matin frisquet ; le père Narelos, la mine sévère, entammait l'oraison de rigueur avant la crémation. Sur le bûcher funéraire, défait de son armure mais revêtu de ses plus beaux vêtements, le 'prélat' semblait sommeiller.

"Considérez, Tribuns, ce dunmer qui gît devant vous, fier serviteur de ses Ancêtres, fidèle d'entre les fidèles, honorable guerrier de la Grande Maison Redoran, Arelan Llothi, fils de..."

Arelan Llothi.

Hleran se rendit compte que, comme bon nombre de ses collègues, il avait toujours ignoré le nom du 'prélat'. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, ce dernier s'était présenté par le sobriquet sous lequel chacun le connaissait. Le 'prélat'. D'aucuns murmuraient qu'il était devenu redoran par respect de la volonté paternelle, mais qu'en son âme il avait toujours voulu joindre le Temple, entrer dans les ordres. Le 'prélat'. Le 'prélat' qui était mort en préférant son devoir de fidèle à ses obligations de garde. Le 'prélat' qui était mort par sa faute; parce qu'il avait hésité avant de se lancer au secours de son équipier.

"T'en veux pas, Hleran. murmura le sergent Aranion, posant une main sur son épaule. T'as fait tout ton possible.

Celui-ci se pinça les lèvres. Tout son possible... Il n'avait pas empêché le Marmonneur de fuir. Il n'avait pas parlé de sa présence à son supérieur. Il dissimulait des éléments nécessaires à l'enquête. Tout son possible, vraiment. Et tout ça pour quoi ? Pour une bague, vraisemblablement volée ? Il n'y avait plus eu d'Hortator depuis la fin du Fléau. Les Grandes Maisons avaient enterré l'affaire rapidement, de sorte que la seule certitude était que l'Hortator était un étranger et qu'après avoir beaucoup fait parlé de lui il avait disparu sans laisser de trace. Il était trop inconcevable que cet étranger fût le Marmonneur. Et pourtant...

"Cendre, tu redeviens cendre. Puissent les Ancêtres t'accueillir en leur sein, et tes descendants préserver ton autel." acheva le bosmer selon la formule rituelle, en enflammant le bois imbibé d'huile et de parfums.

Lorsque les flammes eurent accompli leur oeuvre purificatrice, les cendres et les ossements furent réunis dans une urne qu'Assan et Hleran portèrent à l'intérieur du temple, tandis que l'assemblée se dispersait. Elle y demeurerait trois lunes durant, jusqu'à ce que des parents la réclament, ou que son contenu soit déposé sur l'Autel aux Cendres commun de Maar Gan.

En pénétrant dans le sanctuaire à la suite du prêtre, Hleran aperçut le Marmonneur, en prière devant la Roche Sacrée. Il lui sembla que celui-ci, le visage encore marqué de coups, lui adressait un léger signe de tête. Il s'en fallut de peu que le jeune garde laissât tomber sa charge pour se jeter sur le vieil impérial qui le narguait.

Une fois la cérémonie de l'Accueil achevée, il gravit à toutes jambes les escaliers. Le mendiant avait disparu en renversant un bol d'offrande. Pestant contre le sort, Hleran alla replacer l'objet de culte à sa place première, au pied de la relique à la gloire de Vivec qui trônait dans le hall d'entrée du Temple.

Il considéra un instant la Roche.

"C'est ici que Mehrunes Dagon a brandi son rocher au-dessus de la tête des Dunmers. Mais Vivec s'est tellement moqué de Mehrunes Dagon que ce dernier a fini par lancer le rocher sur lui au lieu de l'envoyer sur son peuple."

Cette pierre gigantesque, Mehrunes Dagon avait dû la ramener d'Oblivion même: elle était différente des monolithes que l'on pouvait voir autour de Maar Gan. D'un noir de jais, noire comme devait l'être l'âme du daedra lui-même.

Hleran retint sa respiration. Noire comme l'étaient les éclats tranchants retirés des mains du libraire et du 'prélat'...

Il fit glisser ses mains là où il avait vu le mendiant poser les siennes sur la Roche, comme tant de pélerins l'avaient fait avant eux.


En une place, la pierre n'était pas lisse comme elle aurait dû l'être : on avait arraché à la relique cinq éclats, de la taille d'un poing.

#11 Not Quite Dead

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Posté 12 janvier 2005 - 16:22

Après avoir quitté le temple, Hleran arpenta les ruelles de Maar Gan dans l'espoir de mettre la main sur l'affreux mendiant et visita ses retraites habituelles. En vain. Il eut un sourire amer : il s'y attendait.

Le soleil atteignait son zénith lorsqu'il regagna les cantonnements. Hassour Aranion, le visage défait, prenait l'air sur le seuil. Il sortait d'une entrevue pénible avec son excellence le Cousin Veloth, laquelle entrevue s'était taillée une place de choix parmi ses expériences les plus désagréables.

"T'es de r'pos ce soir, Hleran lui glissa-t-il au passage. Les gars et moi on pass'ra la nuit dehors. En patrouille.Le ton du sergent se fit plus dur. Et je l'aurai... oh oui ! J'aurai ce saligaud."

Etendu sur son matelat, les bras croisés derrière la nuque, Hleran réfléchissait en s'efforçant d'ignorer les ronflements sonores de ses collègues. Il retournait quelques détails dans sa tête, comme les éléments particulièrement rétifs d'un puzzle.

Il revit en pensée les trois victimes étendues sur les froides dalles de la tombe ancestrale dépourvue de nom.

Un prêtre dunmer.
Un mendiant, aveugle, de la même race.
L'altmer en pélerinage qu'ils avaient trouvée durant leur patrouille.

Le 'prélat', toilette les corps, prononçant à mi-voix les paroles sacrées d'embaumement. Le murmure indistinct est rassurant, il illumine l'obscène nudité des cadavres, de ces gens devenus choses. Il repousse les ombres menaçantes du tombeau suscitées par les torches. Ce murmure remplit tout, apaisant, avant d'enfler, d'enfler pour devenir fracas de tempête, hurlements, vents et sables sauvagement enlacés, se griffant, se mordant. Là, deux autres corps, grotesques, sont prostrés sur le sol ondulant tandis que tourbillonnent alentour des pages finement enluminées.

Un marchand itinérant. Breton.
Arelan Llothi, le 'prélat'.

Ce dernier tend la main dans sa direction. Une main qui laisse tomber un éclat de Roche, noir comme la Porte d'Oblivion. Malgré le vacarme, malgré ses cordes vocales coupées, il répète distinctement :

"Ce sont de saints ouvrages du Tribunal !"

Hleran se retourne pour rassembler les recueils que les vents dépècent. Il ne voit que le Marmonneur qui esquisse un affreux sourire édenté. Ses mains caressent la relique mutilée, sans qu'il paraisse s'en rendre compte.

"Je mmmh... veille depuis mmmh... si longtemps, si longtemps, SI LONGTEMPS."

Le jeune garde ouvrit brusquement les yeux.

Le Temple.

Il devait être tard. Le fracas de la tempête qui s'était immiscé dans son sommeil résonnait au-dehors depuis quelque temps déjà. Le dortoire était vide. Assan et les autres avaient sans doute déjà rejoint leur poste.

C'était le Temple, le lien.

Hleran s'équipa fébrilement.

Un prêtre. Un mendiant dunmer sur la route de Maar Gan. Une altmer, en pélerinage également. Un marchand d'ouvrages pieux. Le 'prélat'. Chaque victime était liée au Temple et le servait à sa manière.

Hleran se précipita dans la rue, son arme à demi-tirée du fourreau.

Jusqu'à ce matin, cinq fragments de pierres avaient été arrachés à la Roche. Si le Marmonneur tuait encore, il lui faudrait s'en procurer un de plus pendant que le père Narelos, chassé par la tempête, se réfugierait à la taverne.

Il pénétra dans la cour intérieure et poussa la porte du bâtiment.

Sur le dallage de pierre, un corps était étendu, sans connaissance. Le Marmonneur, debout au milieu de la pièce, ne broncha pas malgré l'entrée fracassante du jeune redoran. Une dague luisante à la main, le regard dans le vide, il parlait doucement aux ténèbres lovés dans les recoins de la pièce.

#12 Not Quite Dead

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Posté 17 janvier 2005 - 12:26

Le père Narelos adressait une prière hésitante devant l'Autel aux Cendres de Maar Gan. Cette pièce peu éclairée était un ajout tardif au sanctuaire: lorsque la foi du Tribunal avait connu un bref renouveau, après la disparition de la Sixième Maison et le synode avec les Prêtres Dissidents, le Haut Sanctuaire de Vivec avait alloué des crédits à chaque chapelle de Vvardenfell. A Maar Gan, on les avait utilisés pour creuser à même le flanc de la colline cette petite annexe où les habitants pourraient se recueillir, conformément aux rites orthodoxes.

Le bosmer, en plein benedicite, déplorait la construction hâtive et peu soignée du site. Il la déplorait grandement. Par il ne savait quel défaut accoustique particulièrement retors, toutes les rumeurs du bâtiment étaient canalisées au sous-sol et, les soirs de tempêtes, les échos de celles-ci parvenaient, amplifiés et déformés, dans ce lieu dédié à la prière mais rendu lugubre et inquiétant par les gémissements du vent.

Ah ! Que l'on se sentait seul, lorsqu'on était tenu de veiller toute la nuit, devant les urnes funéraires ! Comme les objets familiers se faisaient menaçants... Cette tapisserie aux couleurs du Temple n'avait-elle pas imperceptiblement ondulé ? Et ce vent ! Toujours ce vent de malheur aux accents d'âmes damnées ! Dire qu'à quelques pas seulement se tenait la Maison de Commerce d'Andus... Là-bas, il y avait des gens, des rires, de la chaleur... Ici tout était vide, inquiétant, froid...

Le père Narelos se redressa et lissa tristement sa robe de fonction. Il était prêtre, et pas un Exalté ! Il n'était pas un héros. Il céderait ce soir encore à la tentation : il allait remonter les marches et laisserait ses craintes derrière lui.

Il gravit les marches d'un pas mesuré, se forçant à ne pas courir. Il pénétra dans la salle supérieure du sanctuaire, tout en se gardant de poser les yeux sur l'affreuse créature dont la présence immobile l'avait tant de fois sursauter. Vivec ! qu'il détestait ce dremora ! Qu'il détestait ce sanctuaire dont il était responsable et tout ce qui lui était lié ! Il se remémora les reproches du 'prélat'. Hah ! à quoi ça lui avait servi, de faire son devoir pour le Temple ? Il était mort à présent et reposait dans cette affreuse salle, en bas, dans une bête urne. Quel intérêt ?

"A quoi rime cette vie que tu mène, si tu ne crois plus ? lui soufflait sa conscience torturée. Tu n'étais pas comme ça, jadis. Souviens-toi de tes élans de foi, à Vivec. De ta profession devant le Grand Chanoine, il n'y a pas si longtemps. Il se tordait les mains de désespoir. De creuses promesses, de belles paroles, du vent que tout cela ? Ressaisis-toi, Ganin ! Quelques échos, quelques effets de lumières auraient raison de tant d'années de sacerdoce ? Le dunmer mort hier, ce 'prélat', était plus digne que toi. Il est mort, c'est vrai. Mais sa vie, elle, a eu un sens. Depuis trop longtemps, tu n'es plus qu'une écorce creuse. Ressaisis-toi, Ganin Narelos ! Ton devoir est de veiller devant les cendres de qui est mort pour sa foi, pour la tienne. S'il est une nuit où tu ne peux quitter ces lieux, c'est bien celle-ci !"

Raffermi par ces pensées, le bosmer s'inclina avec une ferveur renaissante devant la Roche Sacrée.

"Je saurai désormais être aussi solide que toi." dit-il à haute voix. Ces mots résonnèrent, haut et clair dans la salle, avec la force d'un décret d'Ordonnateur. Le père Narelos sourit, soulagé. Tout allait changer, maintenant. Le temps du doute était écoulé; il redeviendrait celui qu'il avait été, celui qu'il aurait dû être.


Aussi n'eut-il guère plus qu'un tressaillement lorsqu'un souffle glacial murmura à son oreille: "Ainsi tu as retrouvé la foi, prêtre ? N'ait crainte ; je saurai l'éprouver par le martyre."

#13 Not Quite Dead

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Posté 31 janvier 2005 - 11:25

Dans le piteux écrin formé par les bandages crasseux du Marmonneur, sa dague semblait animée d'une légère pulsation : elle absorbait la maigre lumière de la pièce pour la restituer par de lents battements. La silhouette du vieil impérial était ainsi soulignée par à-coups, sa dextre engendrant ainsi tour à tour lueur et ténèbre.

Un discours décousu s'échappait de ses lèvres. Il n'était adressé, jugea Hleran, à personne en particulier et c'est son incongruité même qui le retint un instant d'agir ; l'espoir d'y dénicher les clefs de cette sanglante affaire, le mobile de cette haine en apparence gratuite contre le Temple.

"Ce sont mmmh... toutes ces années passées mmmh... sous la coupe des Tribuns, n'est-ce pas ? Le sempiternel mmmh... défilé des fidèles, de pélerins ignares et insolents, mmmh ? Et les mots, sans cesse la ronde des mots mmmh... insultes faites prières, jetées à la face mmmh... jour après jour mmmh... nuit après nuit... Ordurier mmmh...  hommage à Vivec et à ses féaux mmmh..."

Le visage du Marmonneur ébaucha un triste sourire.

"Etre mmmh... prisonnier d'un rite que l'on n'a pas souhaité... Un sentiment qui m'est mmmh... familier, à moi aussi... La nasse du destin qui vous enserre, mmmh... entravé comme par un sortilège mmmh... Nulle part où aller, nulle raison d'être excepté celle que garantit la foi... Et le Temple. Mmmh... Le Temple omniprésent... Le Poète qui s'approprie mmmh... votre être pour ses propres desseins...

Triste reflet des dieux que ce Tribun, mmmh... auquel les rites opposent un mmmh... triste reflet des daedra...  une pâle image de Mehrunes Dagon, mmmh ?
"

Le corps derrière le Marmonneur esquissa un vague gémissement que celui-ci ignora. Hleran tressaillit. Vivant ! Le prêtre était encore en vie !

"Alors on patiente mmmh... usant de la seule vertu qu'apporte l'immortalité... Un jour, mmmh... les rites et les dieux seront oubliés des mortels... Un jour l'étaux du mmmh... destin se desserrera un peu... juste un peu... Mmmh ! Ce jour sera celui d'une juste colère, mmmh... libérée petit à petit sur tous les artisans de nos mmmh... humiliations... Les partisans du Temple, mmmh ? Le Marmonneur éleva un peu la voix dont les accents se presque firent jubilatoires. La Roche mmmh... marque du déclin, outil d'infamie, on la leur rendrait mmmh! Fragment par fragment, n'est-ce pas ? Et le fouet des langues serait éteint... chez chaque tortionnaire, mmmh ! Leur voix arrachées avec leurs vies !"

C'était plus que le jeune garde ne pouvait en supporter. Dans un chuintement métallique, il tira son épée et se jeta sur le mendiant avant qu'il ne puisse frapper. Avant qu'il n'achève, dans sa folie, une victime supplémentaire.

"Par ma Maison et mon honneur !!!" cria-t-il en chargeant.

Le vieillard esquiva l'attaque en se baissant brusquement. Un coup de taille le força à parer et à se retourner pour se défendre.

"Jeune imbécile ! lança-t-il, j'étais..."

Des ténèbres dont le regard du Marmonneur s'était détourné jaillit une forme sombre, armure de noir et de pourpre veinée.

"Ar-Nhuffar Guzdul Maruhnan !"

Les deux combattants furent séparés par le choc du sortilège de Main Noire. Hleran roula sur lui-même. Il aperçut distinctement le dremora invoquant une hache daedrique tandis que le mendiant, à bout de souffle, tentait désespérément de se relever. Sans hésiter, il se jeta sur la créature.

Avant même qu'il ne fût sur elle, celle-ci pivota sur elle-même et lança d'un geste précis l'arme à peine matérialisée. Lorsqu'elle transperça sa cuirasse, Hleran sentit, plus fort encore que la douleur, le froid des limbes d'où elle avait été appelée. Ses genoux soudain privés de forces défaillirent et sa charge se mua en chute. Avisant l'épée que le redoran n'avait pas lâchée, le dremora haussa les épaules avec mépris.

"Le fer n'a pas prise sur les enfants d'Oblivion, petit garde. Ta vie t'échappe en vain."

Cette voix était si froide... Chaque mot résonnait comme un hiver qui aurait terrassé le printemps. Les mains de Hleran Assarmini se refermèrent sur le manche glacé de la hache de bataille... Si froid... Si peu de force...

Le dremora se détourna du redoran à l'agonie dont le sang s'écoulait dans les rainures du dallage pour se retourner vers l'impérial. Le vieillard rampait en arrière, le visage crispé par la douleur. Le rictus du masque daedrique sembla s'élargir tandis que la créature s'agenouillait devant lui.

"Les Tribuns ne sont plus, Nerevarine. Morts ou oubliés, ils n'ont laissé derrière eux que quelques rites devenus creux, murmurés en vitesse, par habitude, sans grande conviction. Voilà quelques temps déjà que la piètre foi des enfants du Tribunal ne peut plus me retenir dans ce temple déserté. Un lourd gantelet se posa sur l'épaule droite du Marmonneur, tandis que le masque se rapprochait encore de son visage. L'armure était glaciale.
- Tu es pourtant resté, mmmh, dremora ? croassa le vieux. Tu n'as pas pu mmmh... quitter le sanctuaire...
- Pour accomplir ma vengeance, mortel ! Chaque insulte faite à Mehrunes Dagon et à moi sera lavée dans le sang et la souffrance ! La Roche sera brisée comme les os des dunmer !
"

Pour éviter de sombrer, Hleran s'accrochait de toute son âme aux paroles échangées par le cyrodil et son ennemi. Il lui sembla soudain que le vieil homme s'étranglait, puis à sa grande surprise, il s'aperçut que celui-ci riait, riait à la face du dremora. Il respira tout à coup plus librement.

"Tu te mens, Anhaedra ! Le dremora tressaillit à la mention de son nom essentiel comme frappé au vif. Il n'y a pas de mmmh... salut pour toi hors de ce rituel ! Pas de liberté à mmmh... recouvrir. Ce Temple que tu hais est mmmh... ta raison d'être ! Sans mmmh... l'humiliation faite à ton Maître, tu n'aurais mmmh... jamais été invoqué... jamais mmmh... quitté les limbes ! Le Marmonneur riait à présent à gorge déployée.
- Mensonges ! hurla la créature d'Oblivion. Tu n'es plus rien, Nerevarine ! Leur Dagoth Ur mort, tes Ashlanders t'ont oublié ! Tu n'es rien ! Tes paroles ne sont rien !"

Avec un craquement sec, la clavicule du mendiant se brisa, broyée par la force gigantesque d'Anhaedra. Le rire du Marmonneur se mua en un gémissement. Dans un sursaut de douleur, sa main s'ouvrit et la dague lui échappa. D'un geste vif, le dremora s'en saisit et tira de son autre main la tête du vieil homme en arrière par ses rares cheveux, le forçant à découvrir sa gorge.

"Ta légende est tombée dans l'oubli et le temps est venu pour toi de la rejoindre !" annonça la créature.

Mais tandis que sa main gauche se relevait pour l'égorger, ses accents triomphaux se muèrent en un hululement suraigu. Le gantelet daedrique fumait au contact de la dague. Les veines pourpres de l'armure semblèrent un instant grésiller avant de se contracter brusquement ; l'immense forme s'affaissa avant de disparaître en une cascade de poussière métallique.

Les échos de sa plainte furent couverts par le tintement de l'arme sur le sol. Le Marmonneur murmura avec une sorte de douceur:

"Lamentation."

Certaines choses ne se laissent pas oublier facilement.

Il glissa doucement en arrière, tandis que le bosmer se relevait en chancelant et titubait vers la sortie du sanctuaire. Les échos de la tempête firent rage un instant, puis la porte se referma sur le silence.

Le Marmonneur tourna la tête vers le jeune garde. Celui-ci rampait avec difficulté dans sa direction. Il lui fallut quelques minutes pour rejoindre le vieux mendiant.

"Tenez bon... Hortator ! murmura Hleran, en adoptant le titre qui lui semblait le plus approprié à la situation. Le père Narelos va revenir bientôt... avec des secours.
- Mmmh... pas pour le vieux Marmonneur... Anhaedra avait mmmh... vu juste sur un mmmh... point. Je me suis mmmh... engagé sur des chemins dont nul ne mmmh... revient, il y a bien longtemps déjà... La vieillesse, Hleran... la vieillesse qui me ronge... qui a raison de mmmh... tout héros... et l'oubli... L'oubli qui engloutit tout mmmh... tout mythe... J'en suis mmmh... heureux... J'ai enfin... gagné un peu de mmmh... repos...
"


Et dans un sourire, le Nerevarine rendit l'âme, tandis que la cour du temple résonnait sous la course de bottes redoran.

FIN
« I was a soldier! I killed people!
- You were a doctor!
- I had bad days! »
John Watson, en train d'étrangler Sherlock Holmes, Sherlock - A Scandal in Belgravia (2012)
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Vous aussi rejoignez les Fervents Partisans de l'Immuabilité Avatarienne!
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VGM impénitent (était-il besoin de le préciser?)
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Paterfamilias niv.IV




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