Bombe adoucissante
(ne pas agiter avant usage)
20 Soirétoile 3E425, 21H15
Une cascade de bulles dansaient à sa surface de l’onde, tourbillonnant en une valse turbulente au rythme de ses bras. Un pain de savon, évanescent chef d’orchestre, allait et venait, imprimant son tempo aux eaux, dans un bruissement musical. Quelle idée grandiose, ce bain ! Maelicia était aux anges.
Une telle délicatesse effaçait tout. Voilà qui la changeait agréablement de la pesante ambiance de l’après léproserie. Danse-mot avait en effet très mal porté son nom au cours de la dernière demi-heure, s’avérant aussi peu loquace que volubile, épargnant sa salive jusqu’au strict minimum. La brétonne, qui elle même ruminait encore les implications du dernier éclat, n’en avait pas fait davantage : à peine une ou deux exclamations indignées lors du remorquage le long des palissades, quelques protestations entre deux transports de brétonne-bagage, et ce fut tout.
Tout avait changé depuis la gifle. Ou plutôt, la façade maniérée que s’était forgé le lézard s’était-elle estompée, laissant entrevoir un individu rude, pragmatique et calculateur. Il s’était borné à appliquer les étapes d’une trajectoire prédéfinie, auprès de contacts précis et selon une procédure certainement déjà bien rodée. Son geste n’avait pas été sans conséquences, songea Maelicia, mais malgré tout le roublard restait correct.
Le lézard entra dès la neuvième minute, et trouva sa compagne propre, et enveloppée par la serviette de coton prévue à cet effet. Il déposa une gamme raisonnable d’atours féminins, puis s’en fut pudiquement, sans même répondre aux remerciements de la brétonne. Tout en revêtant l’épaisse robe brune brodée doublée d’une gorgerette de coton, les collants sombres, ainsi que ses bottes, elle continua à réfléchir. L’arrivée discrètement prématurée du lézard, de même que la mise hors d’usage de ses vêtements de mage, visaient certainement à s’assurer qu’elle ne recelle pas trop d’objets insolites. En effet, là où certains auraient vu une audace impudente, la rouquine y lisait un penchant avéré pour la paranoïa.
Revêtant son châle, elle se trouva coincée avec ses gantelets : habituellement dissimulés par d’amples manches, ils juraient avec le reste de son nouvel ensemble. Gênée, elle se contenta de les pendre à sa ceinture. Le même scrupule lui vint pour ses binocles, qu’elle enfila néanmoins après une courte hésitation.
L’argonien entra sur ces entrefaites, s’attabla, et attaqua les divers mets qu’il avait lui même assemblés. Maelicia espérait que le caractère intact du pichet adoucirait quelques peu son humeur. Elle même grignota poliment une portion respectable du pain et de la tourte, et vida son propre broc d’eau.
— Essayons-nous d'établir une tactique d'approche dès ce soir ou aborderons-nous cette tâche l'esprit reposé ? lança-t’il en déplaçant mobiliers divers et variés, et en fixant les hamacs.
— On peut s’en occuper maintenant, si vous voulez, répondit-elle, en se levant de même.
S'approchant pour l'aider dans ses entreprises de ficelage mural, elle se pinça les lèvres un instant, puis baissa les yeux.
« ‘coutez, euh... d’abord, j’voudrais m’excuser pour tout à l’heure. La gifle, j’veux dire, déglutit-elle péniblement. Et puis pour la léproserie aussi. Mais... c’est juste que j’avais cru que... euh...
Elle leva les yeux au plafond, tout en entortillant distraitement un filament déjà solidement noué. L’effort était plus difficile que ce qu’elle n’avait pensé. On aurait dit qu’elle séchait en mysticisme devant le professeur Dreslobet.
« ... c’est juste que j’avais cru qu’c’était vous qu’aviez zigouillé les lépreux d’l’entrée ! Voyez, c’est bête, hein ? Mais z’êtiez à côté... et z’aviez l’air allumé, alors et j’ai sauté aux conclusions. Elle souffla un bon coup. Z’avez toujours été très correct jusqu’ici, et j’suis sure z’auriez jamais fait une chose pareille même pour des sous, donc j’m’excuse pour ma réaction. C'était... puéril.
Cessant enfin d’observer consciencieusement les moellons muraux, elle soupira. C’était dit.
« Bon, c’était les excuses nulles du soir. Maintenant, rapport à demain j’veux dire, j’pense qu’y faudra éviter d’parler du bâton à nos z’invités surprise. La mercenaire en particulier, elle était pas bien claire sur ce qu’elle faisait là. Elle eut une moue de dédain. A mon avis, faudra s’borner à leur décrire les personnes qu’on cherche et puis c’est tout. C’est largement suffisant pour mener une enquête, z’en pensez quoi ?
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Jeux d'enfant – Partie I
Cache-cache
21 Soufflegivre 3E425 , 01H30
Ses solerets, tout de mailles et d'acier mêlés, ébranlant les lamelles de l'étriqué parquet à chaque pas. Son armure de mailles, ceinte du surcot à l'effigie du reptile ailé, éternel prédateur. Son regard, dur et métallique, lointain reflet du bréton qu’il était autrefois.
Le traqueur parcourait le hall, où s'entassaient prostituées forcées et clients honteux. Clothilde, accroupie dans sa robe de nuit blanche, adossée aux lattes murales, le suivait discrètement du regard tout en câlinant l’enfant. Elle sentait le rythme cardiaque de la bambine battre dans sa main, plus frénétique qu’à l’accoutumée. La petite nordique, sans doute, avait peur.
Soudain, un elfe vêtu richement mais en hâte dévala l’escalier du fond. La vampire reconnut son gibier. Celui-ci, poussant une exclamation de dépit bien sonore à la vue des soldats, se précipita vers le colimaçon menant aux égoûts et y disparut. L’imbécile, pensa Clothilde, tout en abaissant sa tête ainsi que celle de sa protégée.
Bien lui en prit : trois êtres en armes s’élancèrent à la suite du nobliau. Clothilde frémit en ressentant la formidable puissance du sang parcourant le dernier d’entre eux : un Visionnaire était là ! La palpitante présence s’éloigna, s’engouffrant dans les profondeurs des égouts.
Cependant, alors qu’elle relevait sur la scène ses yeux virides, le même magelame bardé de mailles gardait la pièce, ayant fait halte près du perron fatidique. Seul. Tout seul...
Sourire aux lèvres, elle se leva.
« Tu aimes jouer, Kathie ? Ecoute bien, je vais te montrer un jeu... », murmura-t’elle aux oreilles de l’enfant.
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Eddart tenait sa position dans le hall de la maison close. Tels étaient les ordres du Visionnaire. Telle était sa mission. Là s’arrêtaient le champs des possibles et des éventualités. Jusqu’à de nouvelles instructions.
Une des catins entassées dans l’entrée se leva, poussant délicatement devant elle une blondinette en haillons. Il s’agissait d’une femme de sa race, sa peau d’albâtre à peine dissimulée par une nuisette aux allures de chrysalide, un étrange sourire accroché aux lèvres.
— Salutations, preux chevalier, commença-t’elle, sur un ton envoûtant.
— On ne passe pas, coupa séchement le traqueur, d’une voix bourrue, regagnez votre place !
L’attention de la communauté bigarrée qui peuplait le rez-de-chaussée était désormais rivée sur eux.
— Bien sûr, immédiatement, beau bréton, continua la prostituée d’une voix étrangement sensuelle, qui donna des frissons au soldat. J’y vais de ce pas, acquiesça-t’elle rejetant l’une de ses mèches dorées en arrière. Cependant, cette enfant a oublié son peigne en... Kathie ? Kathie, reviens là !
L'incontrôlable môme, insensible aux négociations entamées par sa tutrice, venait de s’échapper de ses bras pour gravir les marches vers l’étage, et avait déjà disparu. Avec un cri de dépit, la femme s’élança à sa suite, et Eddart fut contraint de les suivre. Parvenu au premier, son regard se posa sur le dos de la prostituée, sur le galbe de ses hanches et la perfection de ses courbes, à peine voilés par une étoffe bien trop fine pour masquer quoique ce soit.
Cachant son trouble, il saisit l’indocile par la main et la ramena à lui, mais celle-ci trébucha et s’affala dans ses bras. Le contact sa chair, bien qu’atténué par son armure, affola le traqueur. Toutefois, loin de s’y refuser, celle-ci se lova contre son torse, braquant sur lui ses yeux froids et charmeurs. Si la voix qu’elle affectait recelait un rien d’étrange sur lequel il n’arrivait pas à mettre le doigt, l’abysse de ses yeux, invitants, incitants, était littéralement captivant.
Oubliant frères, missions et devoirs il caressa la tentatrice, et il lui fut répondu. Il oublia tout, bien trop rapidement troublé pour que ce soit naturel. Cependant, alors que ses mains gantées parcourraient impérieusement le corps de son égérie, les rivets de cuir qui maintenaient la cohérence de sa cotte de mailles se faisaient trancher un à un par des ongles griffus. Ils tombèrent au sol, enlacés.
— Combien pour tes services, ma belle ? lui demanda-t’il, fiévreux.
La succube lui sourit, avant de répondre.
— Cinq litres, chien !
— Hein ?
Le pauvre traqueur, à moitié hébété par l’envoûtement vampirique n’eut même pas le temps de comprendre que les jambes de la vampire lui emprisonnaient le bassin, et que des griffes aiguisées se plantaient invinciblement dans ses côtes. La morsure suivit immédiatement, privant en quelques violents instants sa proie de la quasi-intégralité de son hémoglobine.
Eddart retomba, mort.
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S’emsyl rajusta les plis de son vêtement, maculé par d’éparses gouttelettes de sang. Puis saisissant le cadavre d’une poigne étonnamment forte, elle le traîna dans une chambre où elle le bazarda dans une profonde penderie. Elle s’accorda ensuite quelques instants pour revêtir son ensemble de cuir, et ceindre son arc, dissimulés dans sa propre loge.
Assistée par sa perception vampirique, il ne lui fallut ensuite pas plus de quelques minutes pour retrouver la petite nordique, cachée sous le lit d’une des alcôves.
— Je t’ai trouvée, lança-t’elle simplement, en soulevant l’un des pans du baldaquin.
— Ha ! Ha ! Tu as mis longtemps à me trouver ! J’étais bien cachée, hein ! Hein que je m’étais bien cachée !
— A merveille, Kathie.
Aidant la bambine à se rétablir de sous sa planque, elle entreprit ensuite de lui faire enfiler un épais manteau de laine. Tout en se laissant habiller, l’enfant lui toucha les joues.
— Je peux en avoir aussi ?
— Quoi donc ? répondit distraitement Clothilde.
— Du maquillage. Moi aussi je veux du rouge à lèvres !
Les lèvres pulpeuses luisantes rouge grenat de la vampire se plissèrent en un sourire retors.
— Peut-être. Quand tu seras grande, Kathie... maintenant, ajouta-t’elle en prenant l’enfant par les épaules, on va jouer à un nouveau jeu : les Rois du Silence...
Modifié par Trias, 21 octobre 2009 - 06:43.